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Michael Kupperman : mon père, ce génie


«Être un enfant brillant parmi vos pairs n'était pas la meilleure façon de grandir en Amérique», avouera le père de l'auteur. (Photo : la Cinquième Couche)

Michael Kupperman rend hommage à son père Joel, jeune génie des quiz radiophoniques du milieu du XXe siècle que l’Amérique s’est arraché et qui restera traumatisé à vie par cette expérience.

De son père, Michael Kupperman connaissait sa timidité, son inattention, son intelligence aussi et sa carrière, brillante, d’auteur et de professeur de philosophie. Mais planaient au-dessus de cet homme, reclus dans la ville de Mansfield, au fin fond du Connecticut, un secret pesant, des souvenirs dormant dans une boîte fermée.

Un silence que l’auteur va rompre en fouillant le passé dans une urgence imposée par l’état de santé de son géniteur, atteint de démence. Tout un symbole : lui qui a tant de questions laissées sans réponse se heurte à la douce amnésie d’un homme qui, à l’époque, était incollable sur tous les sujets. Mieux : il a été la première célébrité «je-sais-tout» d’Amérique.

L’auteur et caricaturiste, lauréat du prix Eisner en 2013, a l’habitude de faire rire avec ses œuvres absurdes et surréalistes (à l’instar de ses deux héros, Snake’n’Bacon). Pour le coup, c’est avec sérieux qu’il remonte le temps, cherchant à mettre des mots sur le traumatisme de son père, enfant modèle surmédiatisé.

Il captivera Marlene Dietrich et Orson Welles

Sorti en 2018 aux États-Unis (All the Answers : A Graphic Memoir,  publié chez Gallery 13), son livre biographique plonge en pleine Seconde Guerre mondiale, au cœur de l’émission extrêmement populaire Quiz Kids. Doté de la capacité à résoudre des problèmes mathématiques complexes dans sa tête, Joel s’est fait aimer du public dans tout le pays, au point de devenir une obsession nationale.

Dès l’âge de six ans, il va séduire les nombreux auditeurs avec son zézaiement, ses folles prouesses mentales (son QI est estimé à 219) et son insistance à vouloir donner la bonne réponse avant tout le monde – en 1943, il reçoit 10 000 lettres de fans par semaine…

Durant les dix années suivantes et quelque 400 épisodes, il captivera Marlene Dietrich et Orson Welles, plaisantera avec les plus grands humoristes de l’époque, charmera Eleanor Roosevelt et Henry Ford.

«J’ai été fabriqué de toutes pièces»

Parmi ses autres faits d’armes : des publicités en pagaille, un film sur mesure (Chip Off the Old Block, 1944) et une tribune à la première assemblée des Nations unies en tant que porte-parole de la jeunesse américaine. Autant d’histoires mises subitement sous cloche, devenues taboues pour celui que l’on appelait «Bébé Einstein» ou «Mini Euclide».

En effet, tout n’est pas rose derrière ce destin hors norme et cette célébrité tant enviée. Joel Kupperman l’avoue à son fils, dans un de ses moments de lucidité : «Il n’y avait pas de génie dans cette émission» ou encore, plus significatif, «j’ai été fabriqué de toutes pièces».

Par une mère-impresario d’abord, jamais regardante quand il s’agit de «marchander» son enfant. Par la propagande pro-juive ensuite, utilisée pour contrer l’antisémitisme rampant. Par l’effort réclamé pour supporter le conflit mondial – avec ses copains des «Incollables», ils vont vendre pour plus de 125 millions de bons d’épargne de guerre.

Une marionnette de l’industrie du spectacle

Oui, Joel Kupperman a été une marionnette de l’industrie du spectacle, la star d’une émission radiophonique (puis télévisée) qui n’avait ni fin ni récompense. Un candidat à qui l’on posait toujours les «bonnes» questions, qui va voir son monde s’écrouler comme un château de cartes lors du scandale des jeux truqués dans les années 50.

Une tragédie américaine qui va le poursuivre jusqu’à l’université, confronté à la jalousie des autres étudiants, de ce même public qui, à l’époque, l’adorait.

«Être un enfant brillant parmi vos pairs n’était pas la meilleure façon de grandir en Amérique», confia-t-il ainsi en 1982, dans une rare interview donnée au New York Times. Il ne lui restera alors qu’une solution : la fuite, le repli, l’oubli.

Un dessin épuré en noir et blanc

Michael Kupperman, en réanimant cette vie à la fois magnifique et douloureuse, appuie sur de nombreux points : la relation père-fils et le devoir de mémoire, bien sûr, mais également la célébrité, l’exploitation de l’enfance, l’histoire de la culture pop et par extension, le rôle de la radio et de la télévision dans l’Amérique du milieu du XXe siècle.

Avec esprit et cœur, et dans un dessin épuré en noir et blanc (avec l’appui de nombreux documents d’époque), il complète alors les pages manquantes de son livre de famille et se persuade du bien-fondé de sa démarche. Oui, certaines histoires méritent qu’on les raconte. Le lecteur ne pourra que confirmer.

L’Enfant prodige, de Michael Kupperman.
La Cinquième Couche.

L’histoire

Joel Kupperman était l’enfant prodige, le gentil garçon «yankee» pendant la Seconde Guerre mondiale, connu dans tous les foyers américains grâce à ses apparitions remarquées dans la célèbre émission Quiz Kids.

Il résolvait des problèmes de mathématiques en un temps record, mais personne ne lui expliquait la solution d’un autre problème : ce qu’il l’attendrait quand il serait vieux. Enfant, il connaissait toutes les réponses, mais aujourd’hui, atteint de démence, il a du mal à répondre aux questions de son fils.

Pourtant, c’est Michael Kupperman, lauréat du prix Eisner, qui écrira la biographie de son père…

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