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L’Afghanistan, pays «oublié», à l’affiche de deux documentaires


Zarifa Ghafari est le sujet du documentaire Netflix In Her Hands. Élue maire à 24 ans, elle était la figure de proue pour la défense des femmes afghanes.

Si la guerre en Ukraine attire toute l’attention, deux documentaires entendent braquer les projecteurs sur l’histoire de victimes du conflit en Afghanistan, plus d’un an après le brusque retrait des troupes américaines.

Le documentaire Retrograde, produit par National Geographic et diffusé aux États-Unis début décembre, suit un général afghan qui a tenté en vain de contenir l’avancée des talibans à l’été 2021. Le film In Her Hands, disponible, lui, sur Netflix, retrace pour sa part l’histoire de l’une des plus jeunes femmes maires en Afghanistan, qui a dû fuir le pays lorsque les islamistes ont pris le pouvoir.

«Nous avons oublié ce qu’il s’est passé» en Afghanistan, souligne le réalisateur de Retrograde, Matthew Heineman. «Il n’y a pas grand monde qui parle de ce pays que nous avons laissé derrière nous», regrette-t-il.

Zarifa Ghafari, l’ancienne maire à l’affiche de In Her Hands, a estimé que sous le règne des talibans, l’Afghanistan est «le seul pays au monde aujourd’hui où une femme peut vendre son corps, ses enfants, tout ce qu’elle veut, mais ne peut pas aller à l’école». Mais, déplore-t-elle, «l’Afghanistan n’est plus le sujet des discussions» dans les réunions diplomatiques internationales.

Les deux films commencent quelques mois avant le retrait des troupes américaines, alors que les protagonistes tentent de bâtir un meilleur avenir pour leur pays. Ils se terminent avec ces derniers, contraints de regarder de l’étranger les talibans détruire ce qu’ils ont tenté de construire.

Témoin du chaos

Dans Retrograde, le général afghan Sami Sadat a accepté que les caméras de Matthew Heineman le suivent alors qu’il dirigeait les opérations pour repousser les talibans, après que les Américains ont quitté une base dans le sud du pays. «Tous les signes disaient : « Arrêtez, abandonnez, c’est fini », et il avait cette foi aveugle que peut-être, juste peut-être, s’il s’accrochait à (la ville de) Lashkar Gah ou à (la province de) Helmand, ils pourraient vaincre les talibans», se souvient le réalisateur.

Sami Sadat a finalement dû s’enfuir dans le chaos de l’aéroport de Kaboul en août 2021, filmé par l’équipe de tournage, alors que les Afghans se massaient aux grilles, espérant trouver une place dans les derniers avions américains en partance. «C’était l’une des choses les plus difficiles dont j’ai été témoin dans ma carrière», raconte Matthew Heineman.

En 2015, le réalisateur avait été nommé aux Oscars pour Cartel Land, documentaire qui examinait le problème de la guerre des drogues d’un côté et de l’autre de la frontière entre les États-Unis et le Mexique, produit par Kathryn Bigelow, réalisatrice de The Hurt Locker (2008) et Zero Dark Thirty (2012).

«Les gens se sentent trahis»

Zarifa Ghafari a survécu à des tentatives d’assassinat et a vu son père abattu par les talibans avant de quitter elle aussi l’Afghanistan lorsque les islamistes se sont installés. «En parlant de ce moment, je ne peux toujours pas m’arrêter de pleurer…», confie l’élue, elle qui s’est attirée l’ire des talibans en défendant l’accès des filles à l’éducation après avoir été nommée maire de Maidan Shahr, près de Kaboul, à 24 ans.

Les réalisateurs de In Her Hands, Tamana Ayazi et Marcel Mettelsiefen, sont retournés depuis en Afghanistan pour filmer Massoum, ancien chauffeur de Zarifa Ghafari désormais au chômage, se rapprocher des talibans, même après qu’ils eurent visé sa cliente dans le passé. «L’histoire de Massoum est celle de l’Afghanistan, où les gens se sentent trahis», ajoute Zarifa Ghafari.

Bien que les conflits en Afghanistan et en Ukraine soient de nature très différente, les deux films offrent un récit édifiant sur ce qui peut arriver lorsque l’Occident se détourne d’un affrontement pour un autre. «Il est évident que cela s’est produit tout au long de l’histoire et que cela continuera à se produire à l’avenir. Et donc, que pouvons-nous apprendre de cette expérience ?», s’interroge Matthew Heineman. «Peu importe ce qui se passe en Ukraine et ce qui s’est passé en Ukraine, nous vivons la même chose qu’eux depuis 60 ans» en Afghanistan, affirme Zarifa Ghafari. «Nous partageons leur douleur.»

Retrograde, de Matthew Heineman.

In Her Hands, de Tamana Ayazi et Marcel Mettelsiefen.

Cinéma en Afghanistan : le rêve impossible

Pour tout cinéphile qui l’a vécu, ce moment restera gravé dans les mémoires : le triomphe à l’issue de la projection, en 2017, à la Quinzaine des réalisateurs – section parallèle du festival de Cannes – du documentaire Nothingwood. Moins pour sa réalisatrice, Sonia Kronlund, que pour son sujet : le réalisateur excentrique Salim Shaheen, présenté comme une sorte d’Ed Wood afghan, rapport à ses films tournés à la chaîne et avec trois bouts de ficelle. En l’espace d’une heure trente, il était devenu une sensation.

Dans Nothingwood, la journaliste et documentariste française suit le cinéaste alors qu’il s’apprête à projeter pour la première fois son 110e film (!) et, dans la foulée, à commencer le tournage du suivant. Influencés par le cinéma bollywoodien, les films de Shaheen suivent une même recette : des scènes d’action débridées, une pointe de comédie musicale et une romance dont le réalisateur-scénariste-producteur-monteur-cadreur est aussi le héros. Toujours exubérant, toujours sincère. «Mon rêve est de revenir un jour en sélection (à Cannes) avec un de mes films», avait-il alors déclaré.

Quatre ans après le tapis rouge, les talibans sont revenus au pouvoir et Salim Shaheen, qui s’était dit «prêt à mourir pour le cinéma», vit caché dans Kaboul. Le cinéma «contre la culture afghane et contre la culture islamique» est de nouveau banni et les derniers films du réalisateur, montés en cachette, ne seront peut-être jamais vus par personne.

«Ils sont passés deux fois à mon bureau. Heureusement qu’ils ne m’y ont pas trouvé», avait-il confié au Monde, en septembre 2021. «Avec ma famille, j’ai obtenu une lettre pour partir en France. Mais alors que nous arrivions à l’aéroport, l’attentat (du 27 août 2021, revendiqué par l’État islamique) a endommagé le bus et tout bloqué.»

Shahrbanoo Sadat, elle, a eu plus de chance. La réalisatrice de 32 ans a pu quitter Kaboul après la prise de la capitale par les talibans, direction la France. Son dernier film, la coproduction luxembourgeoise The Orphanage, racontait une enfance cinéphile à l’époque des moudjahidines, quelque part entre Les Quatre Cents Coups et… le cinéma de Salim Shaheen. Jusqu’à sa fuite, elle avait choisi de rester vivre en Afghanistan, pour mieux dénoncer les dérives du pays.

Ex-commandant de l’armée pendant la guerre civile (1989-1992) – continuant quand même de tourner, utilisant ses soldats comme acteurs! –, Salim Shaheen semblait pour la première fois de sa vie avoir peur. Pour lui, mais surtout pour l’art. «Le cinéma est mort en Afghanistan, et Salim Shaheen est mort avec!», clamait-il après le retour au pouvoir des talibans. Avant 2021, il n’existait que deux moyens d’apprendre le métier : la section cinéma de l’université de Kaboul (le parcours suivi par Shahrbanoo Sadat) et les leçons sur le tas, en tournant avec Salim Shaheen. Aujourd’hui, le cinéma est plus que jamais un rêve impossible en Afghanistan.

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