Enracinée depuis 42 ans sur le plateau du Kirchberg, la Cour de justice de l’Union européenne domine le paysage urbain avec ses tours jumelles construites lors de la «grande extension» des années 2000.
À Luxembourg, une exposition se penche actuellement sur un demi-siècle de participation du pays à la construction européenne. Le visiteur s’y trouve confronté à quelques vérités aujourd’hui oubliées. Et notamment le rôle clé qu’y jouait le Grand-Duché, qui accueillit au début de l’aventure toutes les premières institutions européennes. Mais une fois la construction européenne lancée sur de bons rails, le petit membre fondateur dut alors se battre bec et ongles pour en conserver au moins une partie…
D’où la conquête du Kirchberg, entamée au pas de charge par l’État luxembourgeois à partir de 1961. Avec ses victimes collatérales : les maraîchers, qui firent les frais d’une expropriation à la hussarde, ou encore les promeneurs du dimanche, orphelins d’un de leurs lieux de rendez-vous préférés. Mais la fin justifiait visiblement les moyens. Pour conserver une partie au moins de l’activité communautaire – et ne pas « redevenir une capitale miniature, une ville de province » –, le Luxembourg mit ainsi 365 hectares de terrains de jeux à la disposition des eurofonctionnaires. Un super cadeau, et le genre de proposition qui ne se refuse pas.
C’est donc là, au milieu des terrains vagues et des polémiques, que la future CJUE a pris ses quartiers en 1973. À l’époque, celle-ci avait déjà quelques heures de vol. Fondée en 1952, la Cour de justice de la CECA (Communauté du charbon et de l’acier) avait changé d’appellation et de dimension cinq ans plus tard en devenant la Cour de justice des communautés européennes (CJCE).
De 57 à 72, son importance ne cessa de croître, deux domiciliations successives (Villa Vauban, Côte d’Eich) faisant les frais de cette montée en puissance. Au Kirchberg, le nouveau Palais, impressionnante structure tout en métal, «de facture presque japonaise», plantée au milieu des anciens champs de patates, n’allait pas tarder à subir à son tour la boulimie de la Cour. Alimentée il est vrai par l’adjonction continuelle de nouveaux pays membres.
« La spécificité de la CJUE est que cette institution a été construite, reconstruite, étendue et réétendue exactement à la même place. (…) En termes de dimensions, c’est le doublement du doublement du doublement ! »
À l’heure du lancement de la quatrième extension de la Cour (2002-2008), l’architecte Dominique Perrault évoquait le côté «expérimental» du bâtiment.
Un équilibre cohérent
Mais cette fois, plus question de déménager! Plusieurs chantiers d’aménagement se succèdent (1987/88, 1989-92, 1991-93), mais ne seront finalement que des préliminaires à la «grande extension» du troisième millénaire (2002-08). Conditionnée en grande partie par le nombre croissant de langues officielles au sein de l’UE, et le volume tout aussi croissant de questions préjudicielles, recours en manquement, en annulation ou en indemnité, à traiter par la Cour.
Dominique Perrault, conscient d’avoir affaire à « un bâtiment ayant suivi l’évolution de l’Europe, dont un peu de l’histoire se raconte à travers son architecture, celle-ci ayant évolué à peu près tous les dix ans », s’est d’abord attaché à doter le nouvel ensemble immobilier d’un équilibre cohérent. La Galerie y joue un rôle prépondérant, à la fois lien social et « lieu de débats d’autant plus important que la justice communautaire ne se rend jamais à juge unique, mais par chambres de trois, cinq ou quatorze juges… »
Ce que l’on sait moins, c’est que ce chantier pharaonique (cent lots, cent-dix corps de métiers, une dizaine de bureaux d’études) a fait école : « Pour la première fois au Luxembourg, les délais ont été tenus… et le budget respecté! Citée en exemple, cette réalisation est aujourd’hui la norme, au Grand-Duché », rappelle Francis Schaff, directeur général des infrastructures à la CJUE.
Christian Knoepfler (Le Républicain lorrain)
«Kirchberg, Porte de l’Europe». Cercle-Cité – Luxembourg. Jusqu’au 13 septembre.
Qui est Dominique Perrault ?
Né à Clermont-Ferrand, diplômé de l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, de l’École supérieure des Ponts et Chaussées, ainsi que de l’École des Hautes Études en sciences sociales, Dominique Perrault est l’une des figures marquantes de l’architecture française contemporaine.
Il a notamment conçu la Bibliothèque nationale de France (BNF), le Vélodrome et la piscine olympique de Berlin, le Centre olympique de tennis de Madrid, les tours Fukoku à Osaka (Japon) et DC Towers 1 à Vienne (Autriche), ou encore le campus de l’université féminine EWHA à Séoul (Corée du Sud).
Urbaniste engagé («l’architecture comme partie intégrante du paysage», «éloge des technologies nouvelles, sans leur être soumis»), Dominique Perrault s’est également spécialisé dans de prestigieuses opérations de réhabilitation patrimoniales comme l’hippodrome de Longchamp, la Poste du Louvre à Paris, le Grand Théâtre des Cordeliers à Albi. Ses travaux sont exposés dans les plus grands musées du monde.