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[Exposition] À Rio, de jeunes peintres noirs s’imposent dans le monde de l’art


Jota dénonce les violences policières, peignant des habitants portant un corps enveloppé d'un drap ensanglanté ou des agents avec des têtes de porc. (Photo : afp)

Ils sont dans leur vingtaine et, grâce à leurs œuvres engagées reflétant la vie et l’état d’esprit du milieu social défavorisé dont ils sont issus, de jeunes peintres noirs de Rio, comme Jota et O Bastardo, sont les nouvelles sensations du monde de l’art.

Son chevalet est installé devant une fenêtre avec vue imprenable sur l’iconique mont du Pain de sucre, à Rio de Janeiro, mais le jeune artiste brésilien Jota préfère peindre les modestes bicoques des favelas. Les œuvres de ce peintre autodidacte de 22 ans sont très prisées par les collectionneurs, au Brésil comme à l’étranger. Et il n’est pas le seul : une nouvelle vague de jeunes artistes noirs issus des favelas ou des banlieues pauvres de Rio commence à s’imposer dans les foires d’art contemporain et dans de prestigieux musées. Le plus célèbre d’entre eux, Maxwell Alexandre, a exposé au Palais de Tokyo, à Paris, fin 2021.

L’univers des toiles de Jota, de son vrai nom Johny Alexandre Gomes, c’est la favela du Chapadão, où résonnent souvent les fusillades. La ruelle qui mène à son modeste deux-pièces n’est pas accessible en voiture : des narcotrafiquants ont installé des blocs de béton pour empêcher l’entrée de véhicules de police.

«Un autre regard» sur la favela

Jota dénonce les violences policières, peignant des habitants portant un corps enveloppé d’un drap ensanglanté ou des agents avec des têtes de porc. «Ce sont des choses qui doivent être montrées», confie-t-il. Mais il tient aussi à transmettre «un autre regard» sur la favela, comme le charme des «petites maisons empilées les unes sur les autres» au milieu des cocotiers.

À 16 ans, Jota aidait son oncle maçon sur des chantiers. Et c’est sur des cartons ou des planches de bois ramassées sur ces chantiers qu’il a réalisé ses premières œuvres, avec de la peinture acrylique bon marché. Mais tout a basculé quand il a publié des photos de ses œuvres sur Instagram : il a tapé dans l’œil de Margareth Telles, fondatrice de la plateforme MT Projetos de Arte, qui lui fournit son matériel ainsi qu’un atelier en centre-ville et gère aussi la vente de ses œuvres.

À chaque foire annuelle d’art contemporain ArtRio, les toiles de Jota ont été vendues en quelques heures. Lors de la dernière édition, en septembre, il fallait débourser au moins 15 000 réais (environ 2 700 euros) pour l’une de ses œuvres. L’artiste a ainsi pu s’acheter une maison à 100 mètres de celle de sa mère, au Chapadão. «Ma vie s’est déjà beaucoup améliorée, mais je vise encore plus haut», dit ce jeune peintre qui a déjà exposé à Amsterdam en 2021, après avoir remporté le prix du Fonds Prince Claus.

Un «mouvement durable»

Pour Margareth Telles, l’émergence de jeunes artistes noirs comme Jota n’est «pas un effet de mode», mais un «mouvement durable», qui a notamment pour origine la prise de conscience ayant suivi l’affaire George Floyd, en mai 2020, et la montée en puissance du mouvement Black Lives Matter.

L’an dernier, Jota a vu l’une de ses œuvres exposée au Musée d’art de São Paulo (MASP), aux côtés d’un tableau du moderniste Candido Portinari, l’un des peintres les plus renommés de l’histoire du Brésil. Un autre représentant de cette nouvelle vague, O Bastardo («le bâtard»), vient d’inaugurer sa première exposition individuelle au Musée d’art de Rio (MAR).

Aujourd’hui, la référence de la plupart des jeunes artistes noirs de Rio, ce n’est pas Picasso, c’est la culture hip-hop

Ce peintre de 25 ans, qui ne souhaite pas révéler son nom et a fait ses armes dans le graffiti, se distingue notamment par ses représentations de personnalités noires comme le couple Jay-Z et Beyoncé, l’artiste Jean-Michel Basquiat ou encore Martin Luther King, sur un fond bleu roi. Comme Jota, il a été élevé par une mère célibataire (d’où son pseudonyme), et a été découvert sur Instagram, en 2021, par des collectionneurs italiens. «J’étais à Paris après avoir décroché une bourse aux Beaux-Arts, mais je n’avais pas un sou et je dormais sur le canapé d’une amie», raconte cet artiste qui a grandi à Mesquita, banlieue pauvre au nord de Rio.

Sa renommée internationale a fait écho au Brésil et il a ensuite été représenté par de grandes galeries de son pays. Aujourd’hui, O Bastardo a du mal à répondre à la demande : «Avec toutes les commandes que j’ai reçues, j’ai du travail pour au moins cinq ans.»

Ce jeune homme corpulent aux fines dreadlocks peint lui aussi des scènes du quotidien de son quartier, mais avec des références qu’il puise tous azimuts, parfois bien au-delà des frontières du Brésil. Dans le Salon de Tia Nenê, un salon de coiffure, on voit par exemple «une chaise où s’est assis Kanye West durant un défilé de mode à Paris et du carrelage d’une maison détruite en Syrie» qu’il avait vue dans la presse. «Aujourd’hui, la référence de la plupart des jeunes artistes noirs de Rio, ce n’est pas Picasso, c’est la culture hip-hop. C’est une révolution sociale, qui remet en question les canons de l’art», estime Marcelo Campos, curateur en chef du MAR.

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