Double projet piloté par le NEST – Centre dramatique national transfrontalier de Thionville-Grand Est, «Ekinox» dévoile son premier volet samedi, à Rumelange, où la ville éveillée vivra au rythme des évènements autour du thème du sommeil.
Ville la plus méridionale du Luxembourg, Rumelange était toute désignée pour accueillir le clou de ce projet transfrontalier, l’un des plus imposants au sein du gigantesque programme d’Esch2022. «Ekinox», comme son nom l’indique, aura lieu deux fois cette année… Pas exactement le jour même des équinoxes de printemps – celui-ci ayant eu lieu lundi – et d’automne, mais le samedi les suivant directement. Né de l’autre côté de la frontière, à Thionville, ce projet «tentaculaire» a en réalité déjà commencé, explique Alexandra Tobelaim, directrice du NEST – Centre dramatique national transfrontalier de Thionville-Grand Est : «On est sur beaucoup de choses à la fois, des actions ont déjà lieu tous les matins et tous les soirs. Il y a eu un marché au NEST, lundi, on fait des choses en gares de Thionville et de Hettange-Grande… Et on est à fond dans les préparatifs pour samedi!» Avec l’idée de «métamorphoser la ville en théâtre le temps d’une journée, jusque dans la nuit».
La perspective de participer une nouvelle fois à une capitale européenne de la culture semble avoir été le premier moteur pour Alexandra Tobelaim, qui a «écrit ce projet avec Fabienne Aulagnier, directrice de programmation et inventeuse de projets en espaces publics». Les deux se sont rencontrées à Marseille, en 2013, quand la cité phocéenne occupait le rôle tenu aujourd’hui par Esch-sur-Alzette. Une expérience «très marquante», dit cette Européenne convaincue, qui a vu dans Thionville, Esch et leur emplacement au cœur de l’Europe une possibilité unique de «célébrer cette force à travers des projets artistiques et culturels». À cela s’ajoute une vision d’avenir, la destruction prochaine du théâtre qu’elle dirige, qui sera «remplacé par un nouveau NEST, à l’intérieur d’un quartier de 1 500 logements avec l’objectif, pour le maire, d’avoir 20 000 habitants de plus à Thionville à l’horizon 2030-2035. Des habitants qui, pour la plupart, iront travailler au Luxembourg». Alexandra Tobelaim a pris ses fonctions à la tête du théâtre en bois en 2020, et se dit aujourd’hui encore «émerveillée par les paysages, la brume matinale, le gris… C’est très onirique et inspirant.» En découvrant aussi le flux quotidien des travailleurs frontaliers, l’association d’idées a été rapide : le projet pour Esch 2022 devra «interroger une ville qui se vide tous les jours de ses habitants, une autre qui se remplit, ces villes où l’on dort, celles où l’on vit». «Cela faisait sens de « tomber » dans le sommeil, et le faire ces deux jours de l’année où le jour est égal à la nuit.»
Spectacles et conférences
Le projet en deux volets – le premier, samedi, tournera donc autour du sommeil, tandis que le second, qui investira la ville d’Aumetz en septembre, sera dédié au rêve – a été inventé avant l’arrivée de la future directrice à Thionville, la date limite pour le soumettre ayant été fixée au 31 décembre 2019. La pandémie qui allait s’abattre quelques mois plus tard a obligé Alexandra Tobelaim à «le redessiner un peu», avec néanmoins une volonté très forte de «maintenir le cap». Et malgré le brouillard sanitaire qui a amené la quasi-totalité des institutions et acteurs culturels, mais aussi des artistes, à revoir leurs ambitions à la baisse, «Ekinox» n’a cessé de prendre de l’ampleur. Depuis ses premières étapes, avec un laboratoire regroupant des artistes comme la comédienne et metteuse en scène luxembourgeoise Sophie Langevin ou la compagnie marseillaise Rara Woulib, mais aussi l’anthropologue du rêve Arianna Cecconi, le projet s’est agrandi, jusqu’à comprendre aujourd’hui, dans sa forme définitive, 46 artistes. «Au fil du temps, « Ekinox » est devenu de plus en plus important car, tout en maintenant notre cap, on est resté ouvert à l’autres disciplines», résume Alexandra Tobelaim.
Les disciplines en question ne sont pas seulement artistiques : sur la place Grande-Duchesse-Charlotte de Rumelange, «Ekinox» installera samedi son «marché des artisans du sommeil» – avec notamment un «laboratoire d’improvisations culinaires», dont les recettes sont basées… sur les rêves! – et tout au long de la journée, les visiteurs pourront assister à de nombreuses conférences autour du sommeil, menées par des neurologues, anthropologues, psychiatres et autres spécialistes. Alexandra Tobelaim : «Beaucoup d’idées n’étaient pas prévues au départ. Et puis, au fil du temps et des évènements, on a eu cette envie de faire quelque chose qui nous permette de nous retrouver. En plus, les beaux jours arrivent…» Ce qui a conduit l’équipe à donner autant de place aux propositions en extérieur qu’à celles en intérieur.
Lieux insolites
«C’est un véritable projet de rencontres», insiste la directrice du NEST, «c’est grâce à toutes ces personnes incroyables que s’est construit « Ekinox »». Ce qui explique qu’il prenne autant de directions différentes. Les habitants font partie intégrante du projet depuis le tout début, mais c’est après «la rencontre avec la ville de Rumelange, qui s’est faite sur le tard, que l’on a trouvé un véritable élan pour construire et pousser encore plus loin ce que nous voulions faire». Et ce, dès le premier lieu visité par l’équipe, où «la dame qui nous a ouvert la porte fabriquait des doudous», donnant l’idée à Alexandra Tobelaim d’un marché du sommeil, jusqu’à la rencontre la plus récente, un pharmacien de la ville, «DJ à ses heures», qui a relancé l’idée d’un lieu de sieste, une idée présente dès le début du projet mais qui a, par la suite, été un peu oubliée. C’est lui qui «nous fera dormir l’après-midi et danser la nuit», assure la directrice. «Le joli hasard est que ce monsieur est insomniaque depuis l’âge de 15 ans et qu’il tient des carnets où, tous les matins, il note ses rêves», ajoute-t-elle. Puis, dans la recherche de lieux plus ou moins insolites dans la ville, le projet s’est étendu au salon de coiffure Sandra, aux écoles, et jusqu’au Kursaal, plus ancienne salle de cinéma du Luxembourg (en activité depuis 1911), qui proposera une programmation non-stop autour du rêve et du sommeil de 14 h 30 à 1 h du matin, avec des films comme La Science des rêves (Michel Gondry, 2006) ou Abre los ojos (Alejandro Amenábar, 1997)…
À l’intérieur de ce projet copieux, personne ne sera en reste, c’est promis. Pas même les plus jeunes, qui ont aussi participé activement à l’élaboration du projet. Alexandra Tobelaim en sait quelque chose, elle qui a conçu avec la comédienne et metteuse en scène Nolwenn Peterschmitt le spectacle pour jeunes publics La Vie rêvée de celle qui ne voulait pas dormir, qui sera joué «avec deux distributions afin de le présenter en continu toute la journée» dans une yourte installée dans la cour de l’école Sauerwisen. Née d’une série «d’ateliers d’écriture et de récoltes de rêves auprès des enfants», en particulier au collège d’Aumetz, la pièce raconte «l’histoire de cette petite fille qui ne veut pas s’endormir parce qu’elle a peur de s’évaporer quand elle dort». Un beau projet parmi tant d’autres, pour une journée bien chargée qui se terminera par une grande fête autour du spectacle itinérant Deblozay, de la compagnie Rara Woulib, «très onirique» et qui promet de «faire découvrir la ville différemment de ce que l’on aura pu voir en journée», affirme Alexandra Tobelaim. C’est aussi l’évènement qui fera basculer l’évènement vers son second volet, en septembre, sur le thème du rêve. Mais pour l’heure, il est temps pour les dormeurs de se réveiller…
«Ekinox»,
samedi à partir de 14 h. Rumelange.
C’est grâce à toutes ces rencontres incroyables que s’est construit « Ekinox »
La rencontre avec la ville de Rumelange (nous a donné) un véritable élan
Le programme
De 14 h 30 à 20 h, en continu :
Marché des artisans du sommeil (place Grande-Duchesse-Charlotte)
Petites cuisines anthropologiques (place Grande-Duchesse-Charlotte)
Exposition «Les Dormeurs», compagnie L’Insomnante (Centre culturel André-Zirves)
Installation sonore «Nocturnes», compagnie L’Insomnante (Centre culturel André-Zirves)
Projections de films en continu, jusqu’à 1 h du matin (CineKursaal)
La Vie rêvée de celle qui ne voulait pas dormir, spectacle d’Alexandra Tobelaim et Nolwenn Peterschmitt (École Sauerwisen)
L’Appartement qui ne dort pas, performance-spectacle de Sophie Langevin (École de musique)
L’Avenir se forme de questions, installation de la compagnie Rara Woulib (Anciens abattoirs)
Grand spectacle final : Deblozay, compagnie Rara Woulib (départ rue du Houblon à 20 h)
Programme complet : www.nest-theatre.fr