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Esch 2022 : un grand remix et puis s’en va !


Dix mois après son lancement, l’aventure de la capitale européenne de la culture touche à sa fin. (Photos : fabrizio pizzolante)

Dix mois après son lancement, l’aventure de la capitale européenne de la culture touche à sa fin. Jeudi soir à la Rockhal, ses représentants se sont succédés pour en défendre le bilan et promettre qu’il y aura une suite.

Depuis sa présentation l’année dernière, fin octobre, jusqu’à la cérémonie de clôture, jeudi, Esch 2022 aura gardé des habitudes, et pas forcément des meilleures : d’abord, sa propension à s’imaginer plus importante qu’elle ne l’est réellement, comme en témoigne la grande salle de la Rockhal, à moitié remplie et sonnant le creux – la petite aurait suffi. Et ensuite cette capacité à parler beaucoup pour ne pas dire grand-chose, spécialité acquise en réaction aux nombreuses critiques qui lui sont tombées dessus après, il est vrai, une mise en place scabreuse ralentie par les jeux politiques et la crise sanitaire. À l’heure du premier inventaire, à chaud, le discours était de cette teneur, comme si chacun des acteurs cherchait à montrer patte blanche. Plus qu’un bilan, parlons plutôt d’une tentative de légitimation : celle que tout a été bien fait.

Il y a encore une autre constante, celle d’ouvrir le protocole avec les mots de la Grande-Duchesse Maria Teresa, «haute-patronne» de l’année culturelle qui, à l’écran, a rappelé toute l’originalité de cette «collaboration transfrontalière» qui, sur dix mois, a passé au mixeur et recomposé, façon puzzle, «la nature, l’avenir, les identités et l’Europe». Avec le temps, le slogan «Remix Culture» est même devenu une «philosophie», dit-elle encore. En atteste cette cérémonie de clôture patchwork qui, sur presque trois heures, a mélangé les discours officiels à de la musique, de la vidéo et de la danse. Sans oublier les incontournables photos, sans quoi une rétrospective n’en serait pas une. Un long moment à passer pour mieux mériter l’«after» et cette fête qui s’est étirée jusqu’à 3 h du matin entre Belval et L’Arche de Villerupt.

Belval, «aire de jeu avec un vide culturel»

Avant les réjouissances de la nuit, Nancy Braun, la directrice générale d’Esch 2022, en compagnie d’un acolyte (pour les présentations en français), s’improvisait animatrice, micro bien fixé, devant laquelle se sont succédé tous les acteurs de la manifestation éparpillée dans la Grande Région : soit les représentants des huit communes françaises et ceux des onze villes du Luxembourg, chacun à leur tour installé derrière un immense bureau. Un quiz, comme dans les jeux télévisés, sauf que les questions étaient connues d’avance. Priorité, bien sûr, à Esch-sur-Alzette et ses ambassadeurs : ainsi, le bourgmestre Georges Mischo est convaincu d’avoir «montré ce dont on était capable», tandis que Pim Knaff, échevin en charge de la culture, évoque, lui, la «rénovation de certaines maisons» : la Konschthal, le Bridderhaus, l’Ariston et le Bâtiment 4, toutes subventionnées par la commune (par le biais de l’ASBL frEsch).

Au fil du tour de table, d’autres lieux, nouveaux ou réimaginés (sur plus de 280 sites investis), se sont aussi illustrés. À Belval, «aire de jeu avec un vide culturel», selon Françoise Poos, la directrice de la programmation d’Esch 2022, avec la salle Plancher des coulées dans le haut-fourneau A, le Socle C ainsi que l’ancien entrepôt Möllerei et le FerroForum. Plus loin, sur ce territoire coupé en deux par une frontière, mais qui, au final, «se ressemble tellement», précisent plusieurs intervenants, il y a également le VeWa (Dudelange), le Musée vun der Aarbecht (Kayl-Tétange), le pavillon Source Bel-Val (Sanem), L’Arche (Villerupt) et d’autres curiosités : un atelier d’artiste (Spektrum, Rumelange), d’anciennes églises (Ottange, Lasauvage) et une ferme (Lommelshaff, Differdange). Des endroits «hybrides, accessibles, favorisant la cocréation et la participation citoyenne», précise Anouk Wies, de l’Œuvre Grande-Duchesse Charlotte.

Questions-réponses en douze étapes

Si les chiffres manquent à l’appel pour étayer clairement la démonstration (ils devraient arriver courant 2023), certaines manifestations, sans trop entrer dans les détails («car il serait impossible d’examiner tous les projets», lâche Nancy Braun), ont conforté leur place au sein du paysage national : en premier lieu, l’indéboulonnable carnaval à Pétange, devenu pour le coup, en 2022, «européen», et la non moins traditionnelle fête des Brandons (renommée festival du Feu). Sans oublier, dans le lot, les Nuits de la culture (reprogrammées dès le printemps prochain) et les Francofolies (en juin), qui ont profité de la dynamique de l’année pour s’installer pour de bon à Esch-sur-Alzette. Finalement, une seule nouvelle initiative est d’ores et déjà reconduite : Usina, rendez-vous multiforme qui a ressuscité, dans une grande fête, l’ancienne friche industrielle Schmelz à Dudelange.

Il faut garder le contact entre la France et le Luxembourg, dès demain!

Au gré des questions-réponses et au fil de douze «sessions de dialogue», de nombreuses thématiques ont été abordées, la plupart déjà connues et assimilées : l’importance de l’Histoire comme de l’avenir (à l’image de ce territoire coincé entre deux époques), la nécessité impérieuse de regarder «au-delà des murs» (histoire de collaborer avec les acteurs tant locaux qu’internationaux) ou de les casser (pour investir l’espace public), de s’ouvrir à tous les publics, dont les plus jeunes (à l’instar du beau projet mené par des écoliers à Russange), l’exigence du tourisme et le besoin de trouver de l’argent pour financer tout cela (Business for Culture Club).

En tout cas, de Bettembourg à Boulange, les envies semblent être les mêmes : poursuivre les collaborations dans les années à venir, en voyant grand, et vite. «Il faut garder le contact entre la France et le Luxembourg, dès demain!», martèle ainsi Viviane Fattorelli, la maire d’Audun-le-Tiche.

La contre-soirée du collectif Richtung22

Tel est justement le souci, ou la méfiance : quelle en sera la suite? Sam Tanson, la ministre de la Culture, l’avoue : «Se projeter est très difficile», même si, toujours selon elle, il est justifié de poursuivre sur cette «dynamique» et de continuer à «soutenir les acteurs». Elle préfère retenir, pour l’instant, ce qu’elle a vu de positif ces derniers mois, comme «les bonnes initiatives locales et associatives» ou cette capacité à «coopérer avec les autres capitales» européennes de la culture, en l’occurrence leurs «partenaires» de Kaunas (Lituanie) et Novi Sad (Serbie). Et comme la culture est un «médium essentiel», il ne faut pas la négliger. «C’est ma mission!», clame-t-elle avec, en creux, cette obligation de pérenniser le budget.

Dans le Sud, on le réclame plus fort que les autres. C’est le cas du collectif artistique Richtung22, qui, au Luxembourg, fait l’effet du sucre sur une dent cariée. Il n’a pas attendu la cérémonie de clôture pour annoncer qu’il allait faire la sienne le 28 décembre, avec d’autres moyens et d’autres arguments, bien qu’il la promette «légendaire». Le groupe, bien impliqué dans Esch 2022, promet de livrer des «détails inédits» sur l’année culturelle et des coups de gueule sur la politique (et son pendant financier) pratiquée dans le sud du pays, pour qui, malgré «son potentiel», la «création locale n’est pas l’objet de promesses de durabilité».

Après un démarrage douloureux, une organisation bancale et avant un passage de flambeau, début janvier, aux villes d’Éleusis (Elefsina, Grèce), Timisoara (Romanie) et Veszprém-Balaton (Hongrie), Esch 2022 n’en a pas tout à fait fini, au contraire. Ceux qui ont soufflé, rassurés que l’affaire se termine, ont eu tort.

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