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Décès de Toni Morrison, Nobel de littérature afro-américaine


En 2012, Toni Morrison avait été décorée de la Médaille présidentielle de la Liberté, par le président Obama. (archives AFP)

Toni Morrison, première auteure afro-américaine à avoir reçu le prix Nobel de littérature, est morte à l’âge de 88 ans, a annoncé mardi sa famille.

« Toni Morrison est décédée paisiblement la nuit dernière, entourée de sa famille et de ses amis », selon un communiqué de ses proches précisant que l’écrivaine a succombé à une « courte maladie », sans préciser laquelle.

Descendante d’esclaves, Toni Morrison est connue pour avoir donné une visibilité littéraire aux Noirs. Notamment dans son roman Beloved, tragédie d’une mère qui tue sa fille pour qu’elle échappe à l’esclavage, qui a obtenu le prix Pulitzer en 1988.

Cette brillante universitaire a écrit onze romans sur une période couvrant six décennies, mais également des essais, des livres pour enfants, deux pièces de théâtre et même un livret d’opéra. Elle a exploré toute l’histoire des Noirs américains depuis leur réduction en esclavage jusqu’à leur émancipation dans la société américaine actuelle. Parmi ses ouvrages notoires, on retrouve The Bluest Eye ou encore Jazz, la suite de Beloved.

Lors de la remise du Nobel en 1993, l’Académie suédoise saluait dans l’œuvre de cette New-Yorkaise d’adoption « une puissante imagination, une expressivité poétique et le tableau vivant d’une face essentielle de la réalité américaine ». Elle est également l’auteure de plusieurs essais comme Playing in the dark où elle décortique la place de l’esclave dans la construction, par contraste, de l’identité blanche américaine. Elle remarque que dans la fiction américaine, les Noirs ont longtemps servi de repoussoir pour mettre en valeur le héros blanc.

Confiance à toute épreuve

Enfant de la Grande dépression, Chloé Anthony Wofford (patronyme du planteur blanc qui possédait ses grands-parents esclaves) est née le 18 février 1931 à Lorain, près de Cleveland dans l’Ohio, au sein d’une famille ouvrière de quatre enfants. Élevée par un père qui détestait les Blancs et une mère au foyer gaie et bienveillante, Toni Morrison grandit dans un milieu pauvre et multiculturel. Elle affirme n’avoir jamais eu vraiment conscience de la ségrégation jusqu’à ce qu’elle parte en 1949 pour Howard University, surnommé la « Black Harvard », à Washington. Dotée d’une formidable confiance en elle, elle poursuit ses études à l’université de Cornell et y présente une thèse sur le suicide chez William Faulkner et Virginia Woolf. Elle devient professeure de littérature au Texas avant de revenir à Washington.

En 1958, elle épouse Harold Morrison, un étudiant en architecture d’origine jamaïcaine, mais le quitte en 1964 et s’installe avec leurs deux fils de 3 ans et 3 mois à New York. Alors que l’Amérique est en pleine lutte pour les droits civiques, elle devient éditrice chez Random House et milite pour la cause noire en publiant les biographies de Mohammed Ali et Angela Davis. Son anthologie d’écrivains noirs The Black Book (1974), plusieurs fois rééditée, incite toute une génération d’auteurs à faire entendre leur voix.

Force et humour

Mue par « la joie et non la déception » et douée d’une force de caractère et d’un humour à toute épreuve, Toni Morrison publie, à 39 ans, The Bluest Eye : un premier livre aux antipodes des récits militants du « Black Power » alors en vogue mais aussi des plaidoyers sociaux et des descriptions exotiques. Elle y raconte l’histoire d’une adolescente noire, une de ses camarades, qui rêve de la beauté des poupées aux yeux bleus et qui sombrera dans la folie après avoir été mise enceinte par son père adoptif. Elle n’en vend que 700. « Je n’avais rien d’autre que mon imagination, un sens terrible de l’ironie et un respect tremblant pour les mots », raconte cette grande catholique.

La reconnaissance arrive en 1977 avec Le Chant de Salomon et le triomphe mondial en 1985 avec Beloved. En 2006, le New York Times le consacre comme « meilleur roman des 25 dernières années ». Habituée des tribunes de presse, elle lance en 1998 que Bill Clinton, alors en plein scandale Lewinsky, est le « premier président noir » américain. « Il a été traité comme un noir dans la rue, déjà coupable, déjà criminel », expliquera cette démocrate convaincue quelques années après. Fervente soutien de Barack Obama, elle publie dans le New Yorker, au lendemain de l’élection de Donald Trump, un article intitulé En deuil de la blancheur. Si elle écrit d’abord « pour les Noirs », son écriture métissée, « jazzée », folklorique, veut, dans un second temps, dépasser l’ « obsession de la couleur » pour toucher le lecteur dans ce qu’il a d’universel. « J’aimerais écrire sur des Noirs sans avoir à dire qu’ils sont Noirs. Exactement comme les Blancs écrivent sur les Blancs », aimait-elle répéter de sa voix grave, entrecoupée de rires communicatifs.

LQ/AFP

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