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Dans le salon d’Helen Buchholtz


Helen Buchholtz, photographiée en 1905.

Longtemps disparue des radars, la compositrice luxembourgeoise (1877-1953) continue d’intriguer à mesure que son répertoire se dévoile. Le Bridderhaus poursuit cette mise en lumière et se transforme, trois mois durant, en un salon sur mesure.

C’est une étonnante histoire, toujours en cours d’écriture. Celle d’une compositrice acharnée qui, durant toute sa vie, a cherché à affirmer un style, une signature propre, loin des modes et des qu’en-dira-ton. Avant, comme beaucoup de ses pairs féminins, de tomber dans l’oubli. Mais depuis vingt ans, Helen Buchholtz (1877-1953) s’est refait un nom grâce à une poignée de musiciens passionnés qui défrichent son répertoire et le font vivre.

Mieux, pour Esch 2022, le Bridderhaus, dès la semaine prochaine et pour une durée de trois mois, reprend l’idée des salons musicaux bourgeois du début du XXe siècle pour célébrer le personnage, sa musique, sa famille, son époque et ses activités, le tout dans sa ville natale d’Esch-sur-Alzette. Car comme le reconnaît le directeur artistique de l’évènement, Claude Weber, «il y a encore beaucoup de choses à savoir et certaines que l’on ne connaîtra jamais, mais au moins, on va mieux la situer».

Durant longtemps, l’histoire d’Helen Buchholtz était une partition blanche. Et son nom n’était qu’une rumeur, un écho lointain. «Son œuvre avait totalement disparu, poursuit le pianiste qui lui a consacré deux albums en 2003 et 2019. Personne ne savait où se trouvaient ses travaux.» Ceux-ci étaient même à deux doigts de finir au feu, avant qu’un heureux concours de circonstances ne les sauve in extremis.

Des partitions sauvées des flammes

La musicologue et historienne de l’art Danielle Roster, à l’origine de la trouvaille, s’en souvient encore. C’était à la fin des années 1990. «J’étais en train d’écrire sur une autre compositrice, Lou Koster. Mais lors de mes recherches, je suis tombée sur une publicité pour des lieder (NDLR : courte pièce de musique vocale) où il y avait ce nom, Helen Buchholtz. Ça m’a intriguée. J’en ai parlé sur un plateau de télévision et, rapidement, une personne m’a contactée.»

Cette personne n’était autre que le neveu de la compositrice, François Ettinger (aujourd’hui décédé). «Il m’a invitée à venir chez lui, poursuit-elle. C’était sa tante préférée! C’est pour ça qu’il avait récupéré les partitions, prêtes à être jetées. Dans les années 50, c’était plutôt inhabituel qu’une femme compose autant. Du coup, il était content que je m’y intéresse. Il m’a tendu deux valises pleines en me disant : « Jouez pour voir si ça a de la valeur ».»

La découverte fait l’effet d’une bombe. «Un vrai trésor», soutient Claude Weber qui, avec d’autres (dont Marco Kraus), en épluche le contenu. Soit des manuscrits en pagaille, de rares lettres et tout autant de cartes postales. Surtout, quelque 140 œuvres fourmillant d’annotations, «pas triées ni datées» pour la plupart, certaines étant même restées à l’état d’esquisse. Un grand amas hétéroclite fait de musique vocale et d’autres pièces «faciles» d’un «romantisme tardif», situe le pianiste. Mais aussi des œuvres qui sortent du lot, comme le raconte Danielle Roster.

Une autodidacte aux pièces «uniques»

«Si elle a fait de la musique à destination du grand public, elle a toujours cherché à peaufiner sa signature, à persister dans sa voie, aussi originale soit-elle.» Pour preuve, ses morceaux baroques, ses ballades dramatiques ou ses sonates pour piano, «uniques au Luxembourg!». Un entêtement qui, pour la musicologue, tient du «courage», car «peu se sont attelés à cette tâche», encore moins une femme, souvent privée à l’époque de formation académique, au pays comme à l’étranger.

Selon la philosophie qui dit que «toute musique doit vivre et être écoutée», celle d’Helen Buchholtz est alors analysée, archivée, animée aussi par différents projets (édition d’albums, conférences, concerts). Non sans mal : «Ça nous est tombé sur la tête! Une telle quantité d’œuvres et un langage que l’on ne connaissait pas, ce n’est pas évident à aborder», explique Danielle Roster. Ce que confirme Claude Weber : «On n’avait jamais entendu la moindre note. La découverte était totale! Il a fallu du temps pour apprivoiser sa musique», notamment à travers des réunions faites «d’écoutes, de discussions et de déchiffrages».

Qu’en est-il du répertoire d’Helen Buchholtz vingt ans après sa découverte? «J’apprécie aujourd’hui son originalité sur laquelle on butait au début», précise la musicologue qui, en début de semaine, écoutait encore l’un des morceaux de la compositrice. Claude Weber, lui, constate qu’il y a toujours «du pain sur la planche», aussi bien pour appréhender l’épais répertoire dans son ensemble que pour redonner ses lettres de noblesse à cette autodidacte : «Faire revivre un personnage oublié est un processus long. Vingt ans ne suffisent pas pour l’inscrire dans la conscience collective.»

«Ne pas juger trop vite et écouter»

D’où la nécessité de ce salon, aux différentes ramifications (lire ci-dessous), tourné entre autres vers la jeunesse et des compositeurs étrangers, invités pour l’occasion : «C’est très important d’avoir d’autres perspectives sur elle», confie Danielle Roster, surtout au Luxembourg qui, selon elle, souffre d’un complexe pathologique : «Ici, on veut toujours se mesurer aux grands, alors qu’il faut se confronter à la « petite » musique et en apprécier les qualités, sans vouloir se comparer à Beethoven ou Stravinski.» En un mot, «ne pas juger trop vite et écouter».

Catherine Kontz, compositrice en résidence au Bridderhaus, bien que «familière» du répertoire d’Helen Buchholtz – elle a «arrangé» quelques pièces par le passé et d’autres suivront à cette occasion –, a bien du mal à définir la musique de son précurseur. Un terme revient toutefois de manière régulière : la mélancolie. De quoi s’interroger sur la personnalité de l’artiste, encore mystérieuse aujourd’hui. «C’est frustrant de laisser des blancs dans une biographie, bondit Danielle Roster. D’être obligé de faire des hypothèses, d’essayer de remplir les vides.»

«Elle fait partie de ceux qui ont bossé dur pour développer un langage personnel»

On en sait en effet très peu sur Helen Buchholtz : son éducation musicale, ses fréquentations, son rythme de composition… Restent deux indices qui comptent : d’abord, que sa brève correspondance durant la Première Guerre mondiale ne parle ni du conflit ni de la vie quotidienne sous l’occupation, mais uniquement de musique.

Ce qui fait dire à Claude Weber : «Elle fait partie de ceux qui ont bossé dur pour développer un langage personnel.» Ensuite, qu’à l’occasion de son mariage avec le médecin allemand Bernhard Geiger (décédé sept ans plus tard en 1921), elle a clairement stipulé dans une clause ne pas vouloir d’enfants. «J’en ai parlé à mon mari!», rigole Catherine Kontz.

Des femmes oubliées de l’Histoire

Pour elle, aucun doute : «Si la musique, le style a changé, les clichés restent les mêmes!» Elle explique notamment comment certaines maisons d’opéra en Angleterre considèrent toujours que commander des pièces à des compositrices, «c’est prendre des risques». Au sein des classes de composition qu’elle anime, elle observe aussi l’usure à laquelle sont confrontées les femmes. «Dès qu’il s’agit de fonder une famille, beaucoup arrêtent. C’est dur d’insister, surtout quand on imagine que la musique, pour elles, ce n’est qu’un simple hobby.»

Ce n’est pas l’historienne qui va dire le contraire, elle qui s’est spécialisée dans la réhabilitation de figures féminines. «Il y a des points communs entre elles : on trouve rarement un journal intime ou des témoignages écrits», lâche Danielle Roster. Elle revient à Helen Buchholtz : «La façon dont elle commentait en permanence ses manuscrits, dans la marge, témoigne de son isolement.» Elle se rassure en se disant que la compositrice sera sûrement moins seule d’ici la fin de l’année. Et qu’au sein de ce salon taillé sur mesure, la légende continuera de se construire.

Un salon sur-mesure

Dans l’esprit européen d’Esch 2022, le projet veut éclairer la vie et l‘œuvre de la compositrice, tout en contextualisant ces deux aspects par rapport à d’autres pays, d’autres époques ou d’autres environnements sociaux. Il proposera des manifestations variées, notamment des concerts, lectures, conférences, projections, ateliers et master class, dans un décor conçu par Christian Aschman, où se mêleront ameublement, œuvres d’art de la collection d’art de la ville d’Esch-sur-Alzette et objets personnels de la compositrice. À noter qu’Helen Buchholtz, en 2024, sera l’une des compositrices à l’honneur du Frauen Museum de Wiesbaden (Allemagne), où elle a un temps résidé.

Bridderhaus – Esch-sur-Alzette. Du 22 septembre au 22 décembre. www.lesalondehelenbuchholtz.lu

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