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[Critique théâtre] Le TOL règle son compte aux hommes


Dans le garage gisent deux cadavres proprement revolvérisés, dont celui du cher époux. (Photos : Bohumil Kostohryz)

Cette semaine : Le Retour de Lucienne Jourdain (1 h 15), de Tullio Forgiarini. Pièce mise en scène au TOL à Luxembourg par Pauline Collet. Avec Ali Esmili et Catherine Marques. Jusqu’au 10 juin.

Jusque dans son titre, voici une pièce qui célèbre un retour. Ou plutôt plusieurs. D’abord celui de Tullio Forgiarini au théâtre, lui que l’on n’avait plus vu depuis la mise en scène de sa pièce Du ciel en 2016. Ensuite celui du TOL, fermé durant deux ans et demi par la crise sanitaire (et ses mesures restrictives), et contraint ainsi, depuis mars 2020, à l’exil artistique.

Histoire de fêter les retrouvailles, l’auteur du primé Amok ressuscite son personnage Lucienne Jourdain, oubliée depuis 2001 et un second livre (La Ballade de Lucienne Jourdain). Plutôt que de dépoussiérer le texte et d’en offrir une simple adaptation, il propose ici une suite et fait revivre son héroïne au combat toujours pertinent : l’émancipation féminine.

On avait donc laissé celle-ci, il y a 20 ans, en compagnie d’une mystérieuse jeune fille aux cheveux bleus, régler son compte au patriarcat en mode «Thelma et Louise».

On la retrouve tout aussi agitée après une escapade à Paris. À ses côtés, le commissaire Fabère vient lui présenter ses condoléances et enquêter. Et pour cause : dans le garage gisent deux cadavres, dont celui de son cher époux, proprement revolvérisés…

Deux personnages au bord d’eux-mêmes

La rencontre de ces deux personnages au bord d’eux-mêmes – le superflic fragile d’un côté et la veuve pas si éplorée que ça de l’autre – crée un tourbillon de situations explosives, où l’enquête laisse place aux confessions personnelles, dures et cruelles. Qui s’en sortira (vivant)?

Le Retour de Lucienne Jourdain ne fait pas de mystère sur ses origines : on retrouve clairement, dans le texte et l’atmosphère, la patte de l’auteur luxembourgeois qui aime parler de sujets sérieux avec humour et surréalisme.

Rire jaune pour pouvoir supporter l’horreur, voilà sa philosophie, cherchant à se défaire de la noirceur du monde par le rêve et un brin de folie.

La démonstration du moment n’en manque pas, notamment à travers le tandem réuni sur scène : soit Lucienne (interprétée par Catherine Marques), sexagénaire bourgeoise, volubile comme manipulatrice, dont la passion dévorante pour les religieuses (la pâtisserie, hein) rappelle qu’on lui a greffé une valvule de cochon dans le cœur. Et le commissaire Fabère (Ali Esmili), emprunté dans son costume d’un autre temps, et occupé à lancer au public ses cartes de visite ou à faire le ménage chez la veuve, en névrosé qu’il est.

Lucienne Jourdain mène la danse

Mieux, il porte de rutilants escarpins rouges taille 44, essaye des robes et apprécie le port de sac à main, jetant le trouble sur sa condition masculine, tantôt toxique, tantôt bienveillante. Un thème qui va en entraîner d’autres, d’actualité : la domination des hommes, la servitude des femmes, la question du transgenrisme.

C’est un drôle de tango dans lequel se lancent ces deux figures blessées et c’est Lucienne Jourdain qui mène la danse. On y découvre l’histoire d’une femme qui, après des années à remplir le rôle de «bonne épouse», décide de prendre une revanche sur la vie et de courir après sa liberté.

«On est victimes du système», «on nous a dressés comme ça», martèle-t-elle, en colère contre toutes les formes de pouvoir (le mari, les parents, l’Église, l’école). Elle se persuade, remontée : «Je crois que j’aurais pu être excellente dans beaucoup de domaines… si on m’avait laissé faire!» En face d’elle, le commissaire n’en mène pas large, traînant ses secrets comme autant de boulets dont il n’arrive pas encore à se débarrasser…

Esprit de vaudeville

En toute logique, c’est Pauline Collet qui a hérité de la mise en scène, elle qui avait déjà mis en espace La Ballade de Lucienne Jourdain au théâtre des Capucins.

Sa proposition ne s’éloigne pas des multiples envies de l’auteur, avec une pièce qui prend plusieurs formes : le polar (plus proche de Frédéric Dard et son San Antonio que d’Agatha Christie), l’absurde, le cartoon (notamment par le côté Tex Avery du comédien), la rêverie.

Sans oublier l’esprit du vaudeville, qui teinte malheureusement toutes les actions avant que celles-ci ne deviennent trop dramatiques. Un choix facile, certes, mais qu’il serait dommage de condamner. Des retrouvailles, même légères, ça ne se boude pas!

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