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[Critique] Polar Park : thriller givré


Polar Park

de Gérald Hustache-Mathieu

Avec Jean-Paul Rouve, Guillaume Gouix, India Hair…

Genre comédie / thriller

Durée 6 X 50 mn

ARTE

Avec le vent qui souffle et le bruit des pas étouffé par la neige, on ne l’avait pas entendu venir : Gérald Hustache-Mathieu, réalisateur on ne peut plus discret, réajuste son bonnet et repart à Mouthe, petit village de quelque 900 âmes, frontalier avec la Suisse. C’est là qu’on l’avait laissé en 2011 avec son dernier film, Poupoupidou.

On se rappelle alors l’ambiance glaciale, un brin irréelle, enveloppant une histoire d’amour entre un auteur de romans noirs et une «sosie» de Marilyn Monroe, sur fond d’enquête policière. Une fantaisie réussie, mais apparemment pas achevée pour le cinéaste, qui profite du format de la série pour en dire plus sans tout changer. Il conserve ainsi le lieu de tournage, les codes du polar et même ses deux acteurs principaux : Jean-Paul Rouve et Guillaume Gouix.

On repart donc dans le bourg considéré comme le plus froid de France – avec un record de -36 °C en 1968, dit David Rousseau à son éditrice. Avec ses livres aux drôles de noms (Trappistines et cocaïne, Drôle de brame, Orange balsamique…), il s’est taillé une belle réputation, mais se rêve d’être le prochain James Ellroy.

En panne d’inspiration, son retour dans le Jura fait suite à l’invitation d’un moine, le frère Giacomo, qui lui a promis de lui révéler un secret sur sa mère. Trop tard… À son arrivée, il apprend que ce dernier est mort, tandis que des événements étranges viennent troubler la froide quiétude des lieux : la découverte d’une oreille humaine, puis celle d’un cadavre imitant un autoportrait de Van Gogh.

Y aurait-il un serial killer à Mouthe? L’adjudant Louvetot va chercher à le savoir, gêné dans ses investigations par l’écrivain qui voit là l’occasion de régler son problème de page blanche…

Dans un ton léger qu’il semble apprécier, Gérald Hustache-Mathieu vise juste, une nouvelle fois, avec cet alliage savoureux entre thriller et comédie. À travers un jeu de piste géant et enneigé, le réalisateur sort un éventail de bonnes idées : humour excentrique, légers frissons, situations improbables et «cliffhangers» se succèdent, le tout dans une esthétique soignée de bout en bout, à l’image de ces tableaux macabres aux mille détails.

Mieux, pour donner un peu de chaleur humaine à cette atmosphère inhospitalière, le réalisateur soigne ses seconds rôles : une commande à l’accent réunionnais, une Björk franc-comtoise championne de Scrabble, des flics pas très futés qui se donnent de gentils surnoms par talkie-walkie, des religieux amateurs d’absinthe, un chaman vivant au milieu des loups, un bibliothécaire maniaque et une professeure, fan de l’auteur, aussi inquiétante que Kathy Bates dans Misery (1990).

Parmi toutes ces figures fragiles, un duo mal assorti sort du lot : d’un côté David Rousseau, bobo parisien qui se trimballe dans sa Peugeot 504 cabriolet blanche (la même que Nestor Burma!) en quête de ses origines et d’un nouveau souffle créatif.

Au cœur de multiples jeux de miroirs et mises en abyme, Jean-Paul Rouve, grand dadais en perdition qui emprunte le nom de son héros (Magnus Horn) pour élucider des crimes qui semblent tous le mener à lui, trouve là l’un de ses rôles les plus sensibles. De l’autre, l’adjudant Louvetot, alias Guillaume Gouix, amoureux du médecin-légiste, inspiré du FBI et tireur à l’arc à l’ancienne, offre un contrepoint parfait à l’écrivain. Et comme dans tout bon tandem cinématographique, leur antagonisme donne le sel et le rythme à cette fiction aussi macabre que joyeuse.

Comme pour Poupoupidou et sa muse blonde, Gérald Hustache-Mathieu profite également de cet endroit hors du temps et du monde qu’est Mouthe pour se tourner vers les États-Unis. Polar Park regorge en effet de références, plus ou moins évidentes à l’image : les personnages gentiment décalés des frères Coen (avec Fargo en première ligne, bien sûr), le mélange de tragique et de burlesque à la David Lynch (de Twin Peaks à l’oreille coupée dans Blue Velvet), sans oublier le tableau d’Edward Hopper (Nighthawks) ou encore le film American Psycho (2000). Autant de clins d’œil qui évitent la caricature et se fondent à merveille dans le paysage immaculé et poétique de la série, givrée comme il faut.

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