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[Critique musique] Drake : un «Drizzy» trop «easy»


« Dark Lane Demo Tapes » de Drake, une mixtape conçue avec l'expérimentation comme seule idée, sans plus de vision dans la technique. (photo DR)

La recette est connue et elle est bien huilée. À peine quatre heures après l’annonce sur les réseaux sociaux de la sortie de sa nouvelle mixtape, le 1er mai, Drake a balancé les quatorze titres de Dark Lane Demo Tapes sur les plateformes de streaming. Critique.

C’est toujours un évènement, d’autant plus que celui-ci a été défini par l’artiste comme une porte d’entrée vers son prochain projet, annonçant donc, par la même occasion, la sortie de son sixième album prévu pour l’été. On sera en droit d’en attendre beaucoup, le six étant, Drake ne manque jamais de le faire remarquer, son chiffre fétiche, lié à sa ville, Toronto, surnommée «The Six».

Impossible d’oublier sa puissance sur les récents Money in the Grave (en «featuring» avec Rick Ross) et Life Is Good (avec Future), encore moins son invitation sur le classique instantané Sicko Mode de Travis Scott. Mais depuis la jurisprudence Scorpion (son dernier album, sorti à l’été 2018), on sait au fond de nous que l’on a revu nos exigences, sans d’ailleurs vraiment remettre en question l’atmosphère rapidement éreintante des vingt-cinq morceaux de l’album (1 h 30 !) que, pour la plupart d’entre eux, on ne réécoutera jamais.

Avec Dark Lane Demo Tapes, dont la plupart des titres ont été dévoilés, en entier ou en partie, quelques jours, voire quelques semaines, avant la sortie de la mixtape, Drake se fixe une ligne directrice, celle du refus de la facilité. Pour preuve, il délaisse pas mal de ses producteurs habituels (dont l’omniprésent Boi-1da, invisible sur ce Dark Lane) à l’exception de son «consigliere» Noah «40» Shebib, homme de confiance et cosuperviseur de choix.

On retrouve quelques noms connus (Cardo, Pi’erre Bourne, Southside) mais aussi beaucoup de producteurs plus petits qui gravitent autour du label de Drake, OVO. Et «Drizzy» n’hésite pas à employer la même technique pour les artistes qu’il invite : à l’exception d’un titre avec Future et Young Thug (D4L) où tous les trois tiennent le haut de l’affiche, il choisit de mettre en avant ses protégés Playboi Carti (Pain 1993), Giveon (Chicago Freestyle), Fivio Foreign et Sosa Geek (Demons), et relègue même Chris Brown à guère plus que les chœurs (Not You Too).

Le problème majeur de cette mixtape, c’est qu’elle semble avoir été conçue avec l’expérimentation comme seule idée, sans plus de vision dans la technique. Et après une excellente entrée en matière, le soufflé retombe, et bonne chance pour atteindre à nouveau des sommets quand le pic du projet est atteint dès le troisième titre. Chicago Freestyle, car c’est de ce morceau qu’il s’agit, est l’archétype du morceau caché qui montre de Drake tout ce que l’on aimerait entendre de lui. Il y en a toujours au moins un, et bien que sa dernière mixtape, More Life, en regorgeait, il faudra ici se contenter de moins. Le titre nous rappelle aux envolées rap planantes auxquelles «Drizzy» nous avait habitués avec Sampha (qui laisse ici sa place à Giveon) mais le Canadien ne recule devant rien en attaquant deux couplets de son «flow» nonchalant (le meilleur Drake), qu’il termine en citant Eminem et son classique Superman. Tout y est.

Les thèmes changent peu : il y est inlassablement question de meufs (aussi bien celles dont il se méfie que celles à qui il dédie d’excellentes ballades) et de richesse avec, bien sûr, un égocentrisme forcément apparent. À l’inverse de Scorpion, où les textes étaient relativement pauvres en face d’une production faste, Dark Lane Demo Tapes contient des textes parfaitement ciselés (ceux de Drake du moins; tous les invités ne peuvent pas en dire autant) posés sur des instrumentaux pour le moins redondants où les enchaînements de «kicks» se font ad nauseam.

On ressort de là l’esprit mitigé. Dark Lane Demo Tapes profite largement de la présence enchanteresse de ballades (Losses, Time Flies) et de productions rap dans la meilleure veine de Drake (Landed, When To Say When), tout comme son exploitation excitante du drill, sous-genre du rap originaire de Chicago et qui fait surtout fureur à Londres (War, produit par AXL Beats, grand sachem de la branche londonienne du mouvement, Demons), mais la mixtape est empoisonnée par une partie instrumentale trop facile et verbeuse, donnant surtout l’impression dans sa globalité d’un projet inabouti.

Valentin Maniglia
Dark Lane Demo Tapes de Drake est sorti le 1ermai sur le label OVO.

 

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