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[Critique] Édouard Baer : un hommage aux maîtres «à vivre plus qu’à penser»


Les Élucubrations d'un homme soudain touché par la grâce : un texte pétillant, une ode et un hommage aux maîtres «à vivre plus qu'à penser» (photo : AFP).

Dans une première vie de jeunesse, il fréquentait le cours Florent, à Paris, tout en passant ses journées en petits boulots. Quelque temps plus tard, on l’entendait à la radio en fin d’après-midi puis en matinale : c’était le temps où, avec son complice Ariel Wizman, il faisait tourner La Grosse Boule, émission cultissime… À 54 ans, homme d’art protéiforme et multitalent, Édouard Baer se glisse en librairies.

Certains (mesquins jaloux) le disent mégalo, d’autres vantent son talent d’improvisation et Bernard Pivot le tient, en ces temps de pandémie, pour un «génie sanitaire». S’il y a encore le moindre doute sur l’artiste, il est levé immédiatement à la lecture des Élucubrations d’un homme soudain touché par la grâce. Un texte pétillant, une ode et un hommage aux maîtres «à vivre plus qu’à penser».

Dans une brillante préface, l’auteur fait part de son étonnement à tenir ce livre, son premier : «Un livre, vous vous rendez compte, un livre ! (…) moi, j’avais quoi, huit, dix ans, six ans… Toujours, toute mon enfance, ce trésor et cette culpabilité : la bibliothèque de mon père, la place sacrée du livre dans sa vie et donc dans la nôtre.» Et là, un texte «debout», comme on dit au théâtre. En 150 pages, le texte intégral de la pièce éponyme qu’il a montée au théâtre Antoine, à Paris, le 18 avril 2019. Un soir de représentation, l’acteur a quitté le théâtre où il devait interpréter l’hommage d’André Malraux à Jean Moulin, arrive par l’entrée des spectateurs du théâtre voisin, se dirige vers la scène, tout est en ordre, il va interpréter la pièce intitulée Le Dernier Bar avant la fin du monde avec, bien sûr, pour décor un bar. Mais «peut-être que j’avais eu une journée trop normale pour interpréter un héros le soir. Je n’aurais pas dû aller à la supérette. Ça m’a fragilisé. On ne peut pas pousser un caddie à 13 h et être Malraux à 20 h 30.» L’acteur en faiblesse professionnelle, ou en conscience d’imposture ?

«Dans l’admiration, il y a l’amour»

Alors, c’est le «grand mezze» : place aux élucubrations. Exercices d’admiration. Hommage aux maîtres : Camus, Malraux, Gary, Vian, Bernhard, Bukowski, Jean Rochefort aussi. L’acteur sur scène lit de grands et longs extraits. Un texte de l’admiration. «Dans l’admiration, commente Édouard Baer, il y a l’amour… avec quelque chose d’un peu vertical. On place l’autre au-dessus de soi (…) C’est comme une petite étoile le soir…»

Et puis les élucubrations deviennent aussi sérieuses qu’existentielles : a-t-il été, ne serait-ce qu’un jour, ce qu’il aurait dû être? Peut-on vraiment se glisser dans la vie d’un autre si l’on ne s’enfuit pas de la sienne? Sur scène, il appelle son amoureuse : plus il veut lui dire qu’il aime, plus il hurle, d’autant qu’elle lui avait conseillé de commencer la pièce, non pas avec le discours d’André Malraux, mais par Napoléon. Ça suffit, maugrée-t-il, marre que «tout le monde» veuille s’immiscer dans le spectacle, «son» spectacle.

Au début de la pièce, Édouard («préoccupé, presque à lui-même», précise l’auteur) s’adresse au régisseur : « C’est très difficile, le titre, parce qu’à un moment il faut le jouer… Un titre, c’est une promesse à tenir. Les Élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce… Je ne sais pas ce qui m’a pris… Allez jouer ça! En même temps, s’il n’y a pas de titre, c’est très compliqué de faire venir les gens.» Attention, mesdames et messieurs, le spectacle va commencer, avec tous vos applaudissements pour l’homme soudain touché par la grâce !

Serge Bressan

Édouard Baer, Les Élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, Seuil

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