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[Critique BD] Peur sur la ville : revoilà la peste !


Dans le manga "Contamination", d'Ao Okato pas la moindre trace sournoise de Covid-19, mais celle d'un parent bien plus coriace, la peste. (illustration DR)

Contamination… Tout est dans le titre d’un manga qui imagine le retour de la peste au Japon, avec soignants débordés, climat de peur, solidarité et calcul politique. Ça ne vous rappelle rien ?

« Un manga en plein cœur de l’actualité.» Les éditions Kana disent vrai quand elles justifient leur choix de remettre en tête de gondole (numérique) Contamination, œuvre tassée sur trois tomes, sortis entre 2018 et 2019. Après deux mois de confinement, isolé mais sachant les luttes qui se font plus loin que nos murs, lire cet ouvrage sous tension ramène en effet aux dernières semaines, à l’emballement sanitaire, aux médecins en première ligne, aux improvisations politiques, à l’angoisse.

Ici, toutefois, pas la moindre trace sournoise de Covid-19, mais celle d’un parent bien plus coriace, la peste (pulmonaire en l’occurrence) qui, comme le rappelle-t-on dans le premier tome, a tué près de 200 millions de personnes dans le monde, au XIe siècle (Empire byzantin), au Moyen Âge (notamment en Europe, dévastée), aux XIXe et XXe siècles (Chine et Inde). Oui, c’est vite résumé mais ça donne quand même une petite idée des ravages d’une maladie qui, en grande forme, pouvait anéantir les deux tiers d’une population en un rien de temps.

Ici, l’histoire est placée dans une petite ville de 90 000 habitants, Yokobashiri qui, comme le clame la radio locale, semble propice au bien-être : «Une eau et un air limpide : la belle vie au pied du Fuji !» Mais l’atmosphère va être viciée par un ennemi invisible, rapporté par un militaire d’une mission au Kirghizstan, où vivent des «rongeurs aux bouilles sympathiques», mais porteuses du bacille mortel. Un patient zéro qui va inaugurer une longue liste de malades, et animer quatre personnages au cœur du récit.

Porte-voix des soignants

Il y a d’abord Suzuho Tamaki, jeune médecin énergique chargée des premiers cas, qui tire en premier la sonnette d’alarme, subodorant une contamination de grande ampleur. Ensuite, on trouve le lieutenant-colonel Komano (garde à vous !), revenant d’une mission humanitaire en Asie centrale, où il a côtoyé, dixit, «l’enfer». Enfin, le Dr Haragami, spécialiste de la peste et caution facétieuse de l’ensemble, sans oublier la jeune Uzuki, qui vient de perdre sa mère, avant de tomber malade à son tour. Des destins qui se croisent et se soutiennent, ayant pris conscience avant tout le monde de l’ampleur de la catastrophe à venir.

Avec cette série, la mangaka Ao Okato ne fait pas seulement référence à La Peste de Camus – régulièrement citée – ou à En attendant Godot de Beckett. Elle se tourne surtout vers ces humains en première ligne, ceux dans le camp des victimes et ceux en face, qui doivent panser les plaies. Porte-voix des soignants (et même des femmes) dans l’ouvrage, Suzuho Tamaki doit notamment se battre avec sa hiérarchie sclérosée pour que des mesures soient mises en place. Idem pour Haragami, le chercheur, prenant illégalement le micro de la radio pour prévenir la population du danger et comment s’y préserver.

Des lanceurs d’alerte, en somme, qui luttent contre la montre au prix d’efforts incessants. C’est aussi ce que développe la série au cœur d’un hôpital et d’énormes tentes militaires accueillant les malades : ce combat d’où naît parfois l’espoir, mais aussi le fatalisme devant ces morts qui ne se comptent plus. Il faut toutefois s’accrocher, s’organiser, et trouver des solutions. Vite. L’ensemble se veut sans trop de mélodrames (sauf à la fin, dommage), ni scènes de panique, dans un sens de la retenue plutôt appréciable – on n’est pas au Japon pour rien !

Ao Okato n’a pas voulu s’étendre

Contamination, dans son format restreint (pour quelque 600 pages toute de même), choisit également de se cantonner à une seule ville, effectivement proche de Tokyo, d’où à risque. Mais à défaut de voir plus loin, il scrute en détail ce microcosme et ses réactions : les politiques incrédules, puis actives, la population, en quarantaine, qui se sent prise en otage par les militaires et les autorités, les fuyards, les suspicions, les petits trafics, les boucs émissaires, les tragédies, la lâcheté ordinaire, le courage et la solidarité… Seule embardée lointaine, celle dans une ville voisine, qui traque les pestiférés.

On l’aura compris, Ao Okato, pour maintenir une lecture alerte avec une histoire toute en tension, n’a pas voulu s’étendre, et c’est dommage. En ouvrant son manga sur d’autres tomes – ce qui est quand même plutôt fréquent dans l’exercice –, elle aurait pu ouvrir le champ de réflexion à d’autres sphères (économique, institutionnelle…). D’autant plus juste qu’on sent chez elle une âme de pédagogue, comme en témoignent les explications scientifiques et historiques que l’on trouve dans la série. En se donnant plus de largesse et de temps, elle aurait pu, aussi, soigner son trait, donner plus de fond, encore, à ses personnages, et éviter de rares facilités. Le rappel évident qu’avec une épidémie, le temps est toujours compté.

Grégory Cimatti

 

L’histoire

Yokobashiri est une ville située au pied du mont Fuji, au Japon. Un soldat des Forces d’autodéfense qui y est caserné s’effondre en crachant du sang. Il est bientôt suivi par d’autres malades qui présentent les mêmes symptômes… Ils meurent tous assez rapidement.

À l’hôpital central, Suzuho Tamaki, jeune médecin énergique, chargée des premiers cas, subodore une contamination de grande ampleur, mais elle doit se battre avec sa hiérarchie pour leur en faire prendre conscience et pour que des mesures soient mises en place ! Parviendra-t-elle à mobiliser tout le monde à temps ?

Contamination, d’Ao Okato. Éditions Kana.

 

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