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[Cinéma] Jumbo, le manège enchanté


Zoé Wittock livre dans Jumbo le portrait d'une jeune femme qui, entre une mère envahissante et des figures masculines ombrageuses, a du mal à trouver sa place dans le monde. (Photo DR/Caroline Fauvet)

Coproduction luxembourgeoise (Les Films Fauves), le premier film de Zoé Wittock raconte l’histoire d’amour étrange et mal acceptée entre Jeanne, une jeune fille introvertie, et Jumbo, un manège à sensations. Un très beau film au message important, à découvrir en VOD.

La femme est-elle l’avenir du cinéma de genre francophone ? Dans un genre de films qui ne manque ni de talents ni d’idées mais qui reste, malgré, tout, difficile d’accès en France, en Belgique et au Luxembourg, il faut noter la recrudescence, ces dernières années, de réalisatrices qui font bouger les lignes avec un regard nouveau sur le genre et plein de choses à dire.

En France, Grave (2016) et Revenge (2018) ont anobli les réalisatrices Julia Ducournau et Coralie Fargeat comme nouvelles représentantes de prestige d’un cinéma que la France ne veut plus – mais aussi ne sait plus – produire. Le temps est laissé aux choses, mais force est de constater que, près de quatre ans après l’explosion de la bombe Grave, le film de genre francophone a du mal à tenir ses promesses, et ce n’est pas par choix. À l’exception de quelques cinéastes-piliers qui continuent, dans leur coin, de régaler un public néanmoins déjà acquis (Fabrice Du Welz, Quentin Dupieux, Pascal Laugier, Lucile Hadzihalilovic) et d’autres qui proposent une nouvelle vision de grands thèmes classiques du cinéma fantastique (Sébastien Marnier, Dominique Rocher, Daniel Roby), rien de bien nouveau sous les tropiques. Et, par extension, l’arrivée de nouvelles réalisatrices s’est retrouvée, elle aussi, bloquée.

C’est ainsi de Belgique qu’arrive l’ovni Jumbo, sorti lundi en VOD – sa sortie en salles, prévue le 18 mars, ayant été annulée en raison de la fermeture des salles de cinéma en France et au Benelux – et montré au dernier LuxFilmFest après avoir enchanté Sundance, sanctuaire du cinéma indépendant, la Berlinale et le public éclairé (donc difficile) du festival du Film fantastique de Gérardmer.

Premier long métrage de Zoé Wittock, Jumbo, coproduit par la Belgique (Kwassa Films), la France (Insolence Productions) et le Luxembourg (Les Films Fauves), est un film de genre, un vrai, et un très beau film de femmes. L’histoire est celle de Jeanne (Noémie Merlant), qui travaille comme employée de nuit dans un parc d’attractions. Très introvertie, elle vit avec sa mère Margarette (Emmanuelle Bercot, toujours excellente), à la personnalité parfaitement opposée. La vie de Jeanne va changer le jour où le parc d’attractions acquiert un nouveau manège, Jumbo, dont elle tombe éperdument amoureuse.

Jumbo renvoie le spectateur à son propre regard sur l’étrangeté de cette histoire d’amour

Avec beaucoup de sincérité, Zoé Wittock livre dans Jumbo le portrait d’une jeune femme qui, entre une mère envahissante et des figures masculines ombrageuses, a du mal à trouver sa place dans le monde. Le film est un exercice périlleux dans lequel la réalisatrice, qui reste très proche de son héroïne sans pour autant minimiser ou détourner l’opinion de l’autre, renvoie le spectateur à son propre regard sur l’étrangeté de cette histoire d’amour.

Inspiré de l’histoire vraie d’Erika Eiffel, une Américaine «mariée» à la tour Eiffel, le film frôle les frontières du fantastique dans quelques instants superbes, toujours de nuit, entre Jeanne et Jumbo, qui laissent au directeur de la photographie, Thomas Buelens, la possibilité d’égayer le film avec la magie des jeux de couleur et de lumière. Mais le scénario de Zoé Wittock, s’il réfléchit beaucoup à cet amour différent et à la façon dont les gens «normaux» le considèrent, ne s’aventure dans cette dimension féerique que par de petites touches qui donnent à Jumbo la poésie qui suffit à caractériser son personnage principal (la scène d’amour entre Jeanne et le manège à sensations est symbolisée par le fait qu’elle s’envoie littéralement en l’air avec lui).

Au lieu de porter un jugement aussi bien sur Jeanne que sur les autres personnages, qui, presque tous, regardent l’héroïne comme une «freak», Jumbo est un manifeste où Zoé Wittock déclare que ce que la «normativité sociale», au sens où l’écrit Foucault, considère être une déviance doit être envisagé comme une possibilité d’épanouissement amoureux et personnel. Porté par l’interprétation brillante de Noémie Merlant, décidément attachée, après Portrait de la jeune fille en feu et Curiosa, à ces amours interdites, Jumbo présente ainsi sa position morale, que l’on peut considérer comme simpliste et par trop évidente, mais dont on oublie à quel point elle est essentielle : «Elle ne fait de mal à personne», alors pourquoi devrait-on lui refuser le droit d’aimer ?

Valentin Maniglia

Jumbo, de Zoé Wittock. Disponible sur vod.lu et PostTV.

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