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[Césars] Le syndrome de Stockholm du cinéma français


Le cas Polanski a occupé toute la cérémonie des Cesar, samedi (Photo : AFP).

L’actualité douloureuse du cinéma français promettait une 45e cérémonie des César imprévisible et sous tension. Elle a finalement été troublée de bout en bout par l’affaire Polanski.

Les César sont, pour la «grande famille du cinéma français», comme un repas de Noël où chacun y va de son opinion personnelle, de sa propre revendication, sans que cela ne porte atteinte au bon déroulement d’un événement toujours trop long. Mais vendredi soir, l’heure était aux règlements de comptes. Sandrine Kiberlain, la présidente de la cérémonie, a déclaré en ouverture que cette 45e édition des récompenses du cinéma français représentait «la dernière d’une époque et la première du début d’une autre», comme «en 1968 le festival de Cannes», arrêté par les cinéastes eux-mêmes en soutien aux mouvements étudiants et aux émeutes qui battaient leur plein à Paris et dans le reste de la France. Peut-être est-ce intentionnellement qu’elle a omis de mentionner que cette année-là, à Cannes, parmi ceux qui dynamitèrent le festival de l’intérieur se trouvait Roman Polanski.
Car le réalisateur franco-polonais, malgré son absence, était le centre de toute l’attention dans la salle Pleyel à Paris, cible de toutes les blagues, souvent très drôles, mais aussi et surtout d’un mépris impulsif tout à fait malvenu dans une telle cérémonie. Son film J’accuse, qui retrace l’affaire Dreyfus, était en tête des nominations (12) et, selon une locution anglaise bien à propos, Polanski n’est pas resté longtemps «l’éléphant dans la pièce». À tel point que l’on ne parlait que de lui, de Florence Foresti, la maîtresse de cérémonie, qui le surnommait «Popol», à Jean-Pierre Darroussin, qui a volontairement écorché son nom et le titre de son film (l’acteur présentait le trophée du meilleur scénario adapté, remporté par J’accuse). Sandrine Kiberlain, citant Jean-Luc Godard, avait pourtant exprimé le souhait de «ne parler que de cinéma, pourquoi parler d’autre chose ? Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout.» Aux César, on a parlé de tout pour arriver, inlassablement, à Polanski.

Parole libérée et justice du peuple

Dans un discours superbe et passionné, Swann Arlaud, meilleur second rôle masculin pour son interprétation déchirante et à fleur de peau dans le remarquable film de François Ozon sur la pédophilie dans l’Église, Grâce à Dieu, a déclaré : «Les artistes ne font pas la justice, mais ils peuvent au moins dire des choses que le silence tente d’étouffer.» Mais dans l’ampleur du cas Polanski et la multiplication des prises de parole, on est en droit de se demander où s’arrête l’opinion et où commence la justice.

Et le cinéma, dans tout ça ?

La promesse du renouveau du cinéma français, emmenée par l’actrice Adèle Haenel, qui quitta la salle de colère après l’attribution du César de la meilleure réalisation à Polanski, a ainsi fini par développer un véritable syndrome de Stockholm envers celui que tout le monde redoutait de voir triompher. Car à force de suer sang et eau pour manifester un besoin urgent de changement en soulignant par trop souvent les erreurs de l’Académie, c’est l’indéfendable qui a fini par s’imposer, du début à la fin de la cérémonie, comme l’objet d’une fascination acharnée et presque morbide. Alors, cette 45e cérémonie des César, qui promettait d’inaugurer une nouvelle ère, ressemblait plus à une cérémonie de transition déguisée en tribunal populaire qu’à la célébration de l’art et d’un vent nouveau, comme en ont attesté les excitantes victoires des Misérables de Ladj Ly (quatre récompenses, dont meilleur film) et de Papicha de Mounia Meddour (meilleur premier film, meilleur espoir féminin pour Lyna Khoudri), et les nominations des sublimes Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (dix) et Atlantique de Mati Diop (trois).
Et puisque le vœu formulé en ouverture par la présidente ne fut pas respecté, parlons, donc, de cinéma. Pas un mot, durant la cérémonie, sur l’actuelle situation, pourtant préoccupante et urgente, des Cahiers du cinéma, désertés par la rédaction après leur rachat par un groupe d’actionnaires et de producteurs (parmi lesquels Marc du Pontavice, producteur de J’ai perdu mon corps, meilleur film d’animation). Durant l’hommage aux personnalités du cinéma disparues en 2019, on ne jugea pas bon non plus d’y inclure le cinéaste controversé Jean-Claude Brisseau, condamné en 2005 pour harcèlement sexuel. Son film le plus célèbre, Noce blanche (1989), qui révéla Vanessa Paradis sur le grand écran, fut d’ailleurs produit par Magaret Menegoz, présidente intérimaire de l’Académie des César après la démission, mercredi, d’Alain Terzian.
À l’heure du débat sans fin sur la séparation de l’homme et de l’artiste, on s’inquiète de voir que même certaines œuvres parmi les plus brillantes peuvent ne pas échapper à un certain révisionnisme. Et la France, pays du cinéma, fait table rase d’un passé encombrant plutôt que d’essayer de réparer ses erreurs.

Valentin Maniglia

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