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Beyoncé, reine de la country


Beyoncé dégaine son huitième album, le premier sous le signe de la country, nourri par son Texas natal et mettant en lumière l’influence afro-américaine dans ce genre populaire à l’image très conservatrice.

L’acte II de la trilogie «Renaissance» – débutée en 2022 avec l’album du même nom – arrive aujourd’hui, porté par le succès du tube Texas Hold ‘Em, rythmé au son du banjo, et du single 16 Carriages.

Le huitième album solo de la reine du R’n’B, Beyoncé, s’intitule Cowboy Carter : aucun doute, il se place sous le signe de la country. Après une Renaissance sous influence électronique, dance et disco, «Queen Bey» fait le grand écart en explorant par la musique traditionnelle américaine ses racines texanes.

Née à Houston d’une mère de Louisiane et d’un père de l’Alabama, Beyoncé, 42 ans, est devenue fin février, avant même la sortie de l’album, la première chanteuse noire à classer un titre en tête des palmarès du genre musical très populaire aux États-Unis et traditionnellement associé à des hommes blancs et conservateurs.

Depuis ses débuts au sein du groupe Destiny’s Child jusqu’à son tube de 2016 Daddy Lessons, Beyoncé, épouse du rappeur et homme d’affaires new-yorkais Jay-Z, a mis en avant son sud natal et l’influence de la country sur sa musique et son style. Son triomphe mondial, pourtant, bouscule les traditions du genre.

Selon des historiens de la musique, le banjo, instrument d’origine des musiques country, bluegrass ou folk, trouve ses racines aux Caraïbes au XVIIe siècle, joué alors par des esclaves noirs déportés d’Afrique vers les Amériques. Apporté dans l’est des États-Unis, le banjo fut repris par des populations blanches des Appalaches aux siècles suivants.

Ainsi, la «country noire» a toujours existé, mais les musiciens noirs ont été tenus à l’écart du genre. Beyoncé avait par ailleurs été victime de racisme en 2016 après avoir joué Daddy Lessons lors des Grammy Awards. «Les critiques qui m’ont visée quand j’ai mis le pied dans (la country) m’ont forcée à dépasser mes propres limites», a-t-elle écrit récemment sur Instagram. Ce nouvel album «est le résultat des défis que je me suis lancés et du temps que j’ai pris à tordre et à mélanger les genres pour cette œuvre».

«Moment Beyoncé»

En 2019, l’une des chansons de l’année, Old Town Road du rappeur Lil Nas X, qui mélangeait hip-hop et country, avait été retirée des classements country du Billboard, officiellement parce qu’elle ne comprenait pas suffisamment d’éléments de ce style. Ce qui avait fait polémique.

«Dès qu’un artiste noir sort une chanson country, les jugements de valeur, commentaires et critiques volent en escadrille», a fustigé dans le journal britannique The Guardian la chanteuse de folk et de blues Rhiannon Giddens, présente sur le titre Texas Hold ‘Em. Elle a dénoncé «des gens qui tentent de préserver la nostalgie d’une tradition purement blanche qui n’a jamais existé».

Ces dernières années, des artistes noirs ont tout de même réussi à percer dans la country, comme Mickey Guyton et Brittney Spencer. Pour Charles Hughes, auteur du livre Country Soul : Making Music and Making Race in the American South, la période country de Beyoncé est «la revendication d’une partie de son identité musicale et de son ancrage à Houston», la métropole cosmopolite du Texas.

Pour l’instant, «l’industrie musicale et la musique country, dominées par les blancs, demandent à des artistes noirs et métisses de faire preuve de sincérité et de bonne foi», poursuit l’analyste. Le fait que Beyoncé se soit «vraiment tournée vers ses origines texanes» a provoqué «l’hostilité de gens disant  : « Oh, elle ne peut pas faire de la country! »».

Mais le succès assuré de Cowboy Carter pourrait faire évoluer les choses, estime encore le chercheur de Memphis : «Les gens se disent : « Cool, Beyoncé se met à faire de la country, voici un tas d’autres artistes à écouter. »» «Lorsque nous commencerons à voir les choses changer en coulisses, l’effet du « moment Beyoncé » se fera ressentir», poursuit-il.

De Willie Nelson à Jolene

Au tournant du XXe siècle, avec l’avènement des hit-parades, l’industrie musicale a catégorisé les genres populaires : la country pour les blancs, le «rhythm and blues» pour les noirs. «Cette séparation initiale était fondée uniquement sur la couleur de la peau, et non sur la musique», souligne Holly G, fondatrice de Black Opry, un collectif créé en 2021 pour porter la voix d’artistes noirs dans des genres souvent perçus comme réservés aux artistes blancs, de la country à la folk.

«J’ai toujours été une grande fan de musique country et je me suis toujours sentie isolée», confie-t-elle, «surtout en tant que femme noire et queer». «Quand j’ai commencé Black Opry», poursuit-elle, «j’ai réalisé qu’on était tous là, mais qu’on n’avait juste pas la même plateforme ni les mêmes opportunités que nos collègues blancs».

Beyoncé a dit récemment avoir l’espoir que dans les prochaines années, la référence à la couleur de peau ou à l’origine ethnique d’un artiste «n’aura plus lieu d’être». La sortie très attendue de Cowboy Carter est tout simplement un «moment historique» pour propulser «la country noire», confie pour sa part Julie Williams, chanteuse noire de country et l’une des 200 membres de Black Opry.

Le hip-hop, né à New York en août 1973, donne écho «aux voix de celles et ceux que l’on n’entend pas, notamment dans la communauté noire», souffle Prana Supreme, 23 ans, moitié du groupe O.N.E. The Duo, qu’elle a formé avec sa mère à Nashville, royaume de la country surnommé «Music City».

C’est vrai aussi de la country, affirme la musicienne de 23 ans, car «certaines des voix les plus importantes de la country viennent du peuple noir». Prana ne fait pas le parallèle entre les deux styles par hasard : elle est la fille du rappeur RZA, leader légendaire du groupe new-yorkais Wu-Tang Clan, et de Tekitha Washington, également membre du groupe et qui s’est depuis métamorphosée en chanteuse country.

Dans Cowboy Carter, double album à la taille monumentale (27 titres pour 80 minutes), Beyoncé invite la star de la country Willie Nelson – habitué aux «featurings» rap, notamment avec son ami le rappeur Snoop Dogg – et reprend un titre emblématique du genre, Jolene, popularisé par la chanteuse Dolly Parton.

Pour Prana Supreme, ce passage à la country, qu’elle qualifie d’«iconoclaste», permettra aux artistes comme aux fans afro-américains de se réapproprier ce genre. «La culture du sud est une culture noire», fait-elle valoir.

Mais Holly G reste prudente, estimant que Beyoncé pourrait rester l’exception en raison de sa stature hors norme. «C’est parce que l’industrie est intimidée par Beyoncé, pas parce qu’elle est prête à soutenir les femmes noires.»

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