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Ancré dans l’ex-bassin minier, le Louvre-Lens fête ses 10 ans


Cinq ans après l’ouverture de son antenne à Lens, le Louvre a inauguré une nouvelle décentralisation à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis. (photo François lo presti/Conseil régional nord-pas-de-calais)

Bâti sur un ancien carreau de mine, le musée du Louvre-Lens, qui a fêté hier ses dix ans, s’enorgueillit d’avoir dépassé 5 millions de visiteurs, signe que sa greffe prend dans un territoire longtemps sinistré.

La culture, ce n’est pas seulement un supplément d’âme, c’est aussi un moteur économique pour un territoire» : à la veille du week-end anniversaire, la directrice du musée, Marie Lavandier, résume ainsi le pari fou de sa création, au cœur d’un bassin minier laissé exsangue par la fin de l’exploitation du charbon. Sur une ancienne friche de 20 hectares, dominée par le stade Bollaert et les silhouettes noires de deux terrils, se déploient des bâtiments aux façades vitrées et lignes épurées, intégrés dans un parc ouvert à tous. Face au musée, un ancien coron a été aménagé en hôtel quatre étoiles, conservant les briques d’origine. Entre 2012 et 2019, les nuitées hôtelières ont augmenté de 20 % dans le bassin minier.

La métamorphose s’enclenche en 2003, sous la présidence de Jacques Chirac, lorsque le ministre français de la Culture Jean-Jacques Aillagon s’engage pour la décentralisation des grands musées parisiens. Le volontarisme des présidents du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, le socialiste Daniel Percheron, et du Louvre, Henri Loyrette, feront le reste. La candidature de Lens, sous-préfecture sans musée ni cinéma, est retenue.

Le musée est inauguré le 4 décembre 2012 – jour de la Sainte-Barbe, patronne des mineurs –, peu après l’inscription du bassin minier au Patrimoine mondial de l’Unesco. La priorité du musée est de toucher un public de proximité. Une équipe de 30 médiateurs travaille à surmonter le sentiment d’illégitimité que peuvent ressentir certains habitants, et intervient aussi bien dans des centres commerciaux que dans des écoles.

Condensé de culture gratuit

Autre expérimentation, une «exposition participative» conçue par des jeunes en réinsertion de la région a ouvert hier, intitulée «Intime et moi». Elle courra jusqu’au 27 mars 2023. Emblématique de cette démarche, la «Galerie du Temps», à l’accès gratuit. Dans une vaste salle se déploient des millénaires de création humaine, grâce à des œuvres prêtées par le Louvre et le Quai Branly, d’un sarcophage égyptien à un tableau de Fragonard.

Habitante de Bully-les-Mines, Sara Dambrine y flâne au milieu de touristes belges et allemands et de nombreux groupes scolaires. «On ne peut pas tous se déplacer à Paris pour voir des expositions», note cette maquilleuse de 23 ans, qui n’a jamais visité le Louvre «historique». Ici, 23 % des visiteurs sont ouvriers ou employés, contre 13 % de moyenne nationale, et 70 % originaires de la région.

Le territoire est porté par la dynamique du musée, assure Marie Lavandier, mais «évidemment, transformer un territoire qui était mono-industriel pendant un siècle prend du temps». Signes d’une mutation profonde, une usine de batteries électriques pour l’automobile s’est implantée à quelques kilomètres de Lens. La proportion d’habitants diplômés de l’enseignement supérieur a augmenté de 40 % entre 2008 et 2018 et le chômage recule.

«Accélérateur de dynamique»

Lens, qui perdait des habitants depuis les années 1960, en regagne depuis 2016, se réjouit aussi le maire socialiste de la ville, Sylvain Robert. «On voit que l’approche des promoteurs est différente, des opérations de plus grande ampleur se font plus naturellement grâce à la visibilité apportée par le musée», explique-t-il. Distant du musée de 2 km, le centre-ville semble toutefois rester un peu à l’écart. Beaucoup de boutiques y sont fermées. «On a encore du mal à faire le lien entre la ville et le musée», constate Laurent Lestienne, gérant de la brasserie L’ImBeertinence.

Cet enfant du pays, dont les deux grands-pères mineurs sont morts de silicose, considère toutefois le Louvre-Lens comme une chance pour les décennies à venir. Il se félicite d’avoir, grâce à des efforts de communication, réussi à capter «une clientèle très qualitative». «Plus qu’un moteur, le Louvre-Lens est un accélérateur de dynamique», juge Laurent Duquenne, de la Mission bassin minier. Avec des attentes immenses au départ, la transformation ne va peut-être pas assez vite pour certains, reconnaît-il, mais «quelque chose est enclenché».

Preuve que l’expérience Louvre-Lens a porté ses fruits : cinq ans après son ouverture, en 2017, est inauguré le Louvre-Abu Dhabi, dans le cadre d’un accord intergouvernemental entre la France et les Émirats arabes unis. Le Louvre reste le premier prêteur d’art de ses deux antennes. Il a cédé l’utilisation de sa «marque» pendant 30 ans et six mois, moyennant une redevance de 400 millions d’euros.

Quand les grands musées
font des petits

Comme le Louvre, de prestigieux musées internationaux s’exportent en région ou à l’étranger. Quelques exemples.

CENTRE POMPIDOU Avant le Louvre-Lens, c’est le Centre Pompidou qui avait joué les pionniers chez les grands musées français, en ouvrant en mai 2010 son antenne à Metz. Mais c’est à l’international que Beaubourg est le plus offensif. Le musée d’art contemporain inaugure sa première implantation provisoire à Malaga (Espagne), en mars 2015, puis en 2019 une déclinaison à Shanghai au West Bund Art Museum, édifice de près de 25 000 m2.

Le Kanal-Centre Pompidou devrait, lui, ouvrir en 2024, à Bruxelles, dans un ancien garage Citroën de style Arts déco. La même année, le centre d’exposition Centre Pompidou x Jersey City devrait ouvrir dans cette ville située sur la rive ouest du fleuve Hudson, face à Manhattan.

Ces implantations permettent au Centre de valoriser son savoir-faire et sa collection d’art moderne et contemporain, une des plus importantes avec celle du MoMA, à New York. Une source aussi de revenus comparable à celle d’une grande exposition itinérante, mais qui «offre beaucoup plus de prévisibilité et de sécurité financière», expliquait Serge Lasvignes, président du Centre de 2015 à 2021.

GUGGENHEIM La Fondation Solomon R. Guggenheim, propriétaire du Musée du même nom à New York, fait figure de pionnière dans la décentralisation muséale : le musée Guggenheim à Bilbao (Espagne), dans un bâtiment à l’architecture révolutionnaire signée Frank Gehry, a été inauguré en octobre 1997. Vingt-cinq ans plus tard, le Guggenheim Bilbao est un succès populaire, avec un million de visiteurs en moyenne par an avant covid. Il a contribué à transformer l’image de la ville et de la province, devenues des destinations touristiques recherchées.

Animée de grandes ambitions, la Fondation prévoyait d’ouvrir des Guggenheim sur d’autres continents. Mais un projet au Mexique a été abandonné et Las Vegas a fermé en 2008. Restent les Émirats arabes unis : conçu également par Frank Gehry, un Guggenheim devrait voir le jour à quelques encablures du Louvre Abu Dhabi, sur l’île Saadiyat.

TATE, ERMITAGE… Le prestigieux Victoria & Albert Museum de Londres a, depuis décembre 2017, une galerie à son nom dans un musée près de Shenzhen, ville voisine de Hong Kong. Le «V&A» a aidé à la conception de l’établissement chinois. Quant à la Tate, elle a créé deux implantations régionales en Angleterre, à Liverpool (1988) et St Ives (1993), et s’en tient là pour l’instant.

Le musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg avait depuis 2004 une antenne aux Pays-Bas, qui montait deux expositions par an avec des objets de la collection de l’institution russe. Mais l’Ermitage d’Amsterdam a annoncé en mars dernier rompre ses liens avec la Russie en raison de l’invasion de l’Ukraine.

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