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[Album de la semaine] À la recherche de Bolis Pupul


C’est tout autour des thématiques liées à l’identité, en particulier aux racines chinoises du côté de sa mère, que s'articule ce premier disque. (Label Dewee)

Premier album de Bolis Pupul, Letter to Yu tourne autour des thématiques liées à l’identité, en particulier aux racines chinoises du côté de sa mère, décédée en 2008.

On les avait repérés, lui et son nom de scène qui claque sous la langue, aux côtés de la chanteuse Charlotte Adigéry : les deux artistes electro de Gand ont fait partie des tout premiers à signer sur le label Deewee, fondé par un autre duo emblématique de la ville belge, Soulwax. Ce sont les deux frangins Dewaele, d’ailleurs, qui les ont poussés à prendre ensemble le chemin du studio il y a bientôt dix ans.

Depuis, Bolis Pupul, né Boris Zeebroek, a commencé à produire quelques sons pour Charlotte Adigéry, puis collabore sur ses deux EP successifs, dont Zandoli (2019) et son ardent single Paténipat. Trois ans plus tard, ils sont propulsés en duo avec l’album Topical Dancer (2022), véritable boule d’énergie electro-pop qui allie aux couleurs vives et aux rythmes remuants une réflexion profonde et ludique sur leurs origines, le racisme ou la misogynie.

Electro planante

C’est sous un angle plus personnel encore, mais non moins inspiré, que Bolis Pupul livre son premier album, quasiment deux ans jour pour jour après le disque qui l’a intronisé en haut de la liste des artistes à suivre de près. L’artiste belge écrit une Letter to Yu, du nom de sa mère, décédée dans un accident en 2008. Lui-même s’est rendu plusieurs fois à Hong Kong, à la recherche de ses racines, comme en atteste la fameuse lettre lue d’une voix trafiquée sur une composition electro planante, en ouverture de l’album : «C’est ici que tu es née il y a 59 ans, et enfin, je suis là. Pourquoi ai-je mis si longtemps? (…) Je suis désolé que nous ne puissions faire ça ensemble…»

C’est tout autour des thématiques liées à l’identité, en particulier aux racines chinoises du côté de sa mère, que s’articule ce premier disque. Moins revendicateur que l’album avec Charlotte Adigéry, ce Letter to Yu nous embarque dans une quête intime et sensorielle tout aussi animée que l’opus précédent, et dont le cœur battant se trouve dans les bases technos héritées de la scène de Detroit, partageant leur omniprésence le long de l’album avec les riffs, mélodies et instruments qui sont autant d’affirmations de son héritage asiatique.

Bolis Pupul le dit lui-même, il est Completely Half («À chaque fois que les gens me parlent comme si j’étais un local, un part de moi ressent de la honte»); avec la musique, il travaille un langage universel qui lui permet d’embrasser entièrement cette identité «moitié-moitié».

Mieux qu’une carte de visite, ce premier album est une carte d’identité

Vrai bonbon electro-pop enrobé de mélodies qui se fendent d’un retour aux années 1980, sur un refrain qui évoque Depeche Mode, Duran Duran ou même Sparks, Completely Half suffirait à définir l’ambiance générale de l’album. Mais Bolis Pupul, soucieux de dresser un portrait achevé de ses questionnements personnels et de son art, élargit le discours : Ma Tau Wai Road (du nom de la rue où est née sa mère) offre un contrepoint à Completely Half, et un bout de récit qui complète sa vision.

On a presque l’impression de découvrir une face B inédite de Kate Bush, rythmée par un arpège de «synth-flûte» et guidée par la voix envoûtante de Salah Pupul, soeur de. Mais le monde de Bolis Pupul, s’il garde au premier plan les recherches formelles, pop et poétiques sur les origines de l’artiste, présente aussi largement les directions qui l’intéressent dans son travail solo.

Carte d’identité

La techno et ses évolutions acid et trance – venues des Grands Lacs américains, donc, qui ont déjà leur influence sur la scène belge – occupent tout l’espace de Frogs, Doctor SaysCantonese et Kowloon. Pour le premier, on conseillera de se le prendre en pleine face dans la moiteur d’un club à quatre heures du matin; les trois autres à balancer au plus haut de la fête, pour leurs effets de montée et leurs basses hypnotisantes.

C’est aussi en «banger» techno que se transforme Spicy Crab, avec lequel Bolis Pupul se rêve à varier sur le thème d’un film imaginaire des années 1970 ou 1980 : des itérations de la même mélodie autour de l’amour, de l’action ou de l’angoisse, qui finissent dissonantes et renaissent en un rythme rétro évoquant Justice. Du haut de ses onze «tracks» et de ses 46 minutes, Letter to Yu, pratiquement un album-concept, prouve la richesse des textures travaillées par le musicien, la largesse de l’éventail qu’il laisse à voir de son monde, et la précision du mixage – qui contribue pour beaucoup à la qualité entêtante des chansons. Mieux qu’une carte de visite, ce premier album est une carte d’identité.

Bolis Pupul, Letter to Yu. Sorti le 8 mars. Label Deewee. Genre electro / pop

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