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Afrique du Sud : le plus vieux paperboy du désert


Cela fait quarante ans que Charl Francois Hugo, dit Frans, grimpe dans sa fidèle berline chaque jeudi et entame un périple hebdomadaire de 1 200 kilomètres à travers le désert sud-africain du Karoo pour livrer ses journaux. (Photo : afp)

Depuis quarante ans, tous les jeudis, Frans Hugo, rédacteur en chef nonagénaire, fait la tournée des petites villes perdues dans le désert du Karoo, sauvant d’une mort certaine ses journaux.

Un torchon sur les genoux contre les coups de soleil, un thermos de café et des œufs durs… Frans Hugo, rédacteur en chef de 90 ans, entame son périple hebdomadaire de 1 200 kilomètres à travers le désert sud-africain du Karoo pour livrer ses journaux. Le vieux monsieur énergique a l’habitude : cela fait quarante ans que Charl Francois Hugo, dit Frans, grimpe dans sa fidèle berline chaque jeudi pour ce long trajet au départ de Calvinia, ville perdue de moins de 3 000 âmes au milieu de cet immense far west, dans le sud du pays.

S’il s’arrêtait, ses trois journaux en langue afrikaans (The Messenger, Die Noordwester et Die Oewernuus) disparaîtraient probablement avec lui. Son petit transistor calé dans le volant, la radio de la voiture a capitulé depuis longtemps, il entame sa boucle vers le nord-est, puis vers le sud… «Je m’arrête dans toutes les petites villes», confie-t-il lors d’une récente tournée. Départ 1 h 30 pour un retour 18 heures plus tard. Le temps de déposer ses piles, à l’aide de sa cane, dans une multitude de localités.

Autonomie et débrouillardise

Certaines ont vu l’afflux récent de nouveaux habitants, des artistes, solitaires ou autres originaux fuyant l’agitation des grandes villes. Comme Frans, beaucoup ici s’expriment sans détour, avec simplicité. Vivre dans un coin aussi paumé exige autonomie, débrouillardise. Et un brin d’excentricité ne saurait nuire. «Dans le Karoo, on parle de « pompdonkie », une pompe à eau au mouvement régulier qui vide les réservoirs. J’en suis devenu moi-même une : je pars chaque semaine avec la régularité d’un métronome! Et je m’arrêterai quand je ne serai plus physiquement en mesure de le faire», prédit-il.

Né au Cap en 1932, il y a travaillé comme journaliste une vingtaine d’années, puis en Namibie voisine pendant dix ans. «On travaillait jour et nuit. Je supportais moins bien la pression alors je me suis installé dans le Karoo», dit-il. «Je reprenais mon souffle quand le propriétaire de l’imprimerie à Calvinia est venu me demander si j’étais intéressé. Ma fille l’était, alors j’ai pensé qu’avec mon gendre, ils pourraient diriger l’entreprise et que je les aiderai. Au bout de quelques mois, ils se sont lassés et je me suis retrouvé avec ça sur les bras», résume-t-il d’un clin d’œil amusé.

Le Messenger a été fondé en 1975, les deux autres journaux locaux au début des années 1900. Frans, son épouse et trois employés prolongent cet héritage au moment où tant de journaux imprimés dans le monde peinent à survivre à l’ère numérique. Ces hebdomadaires de huit pages en afrikaans, l’une des onze langues officielles en Afrique du Sud, héritée des colons néerlandais, publient parfois, ici et là, un papier ou une publicité en anglais.

Je m’arrêterai quand je ne serai plus physiquement en mesure de le faire

Frans, crinière blanche et allure de vieux loup de mer, s’agace de ceux qui consomment leurs informations en ligne. «C’est sûr, nous imprimons moins de journaux.» Mais à 1 300 exemplaires par semaine, le besoin d’une information locale reste d’actualité, estime-t-il. Sa salle de rédaction ressemble à un musée avec son imprimerie ancienne de type Heidelberg et ses massicots (NDLR : machines à trancher le papier appelées ici guillotines), pourtant délaissés en faveur d’ordinateurs depuis une trentaine d’années.

Un rien bravache, il dit ne pas s’inquiéter pour l’avenir de son petit groupe de presse. «Aucune idée de ce qui lui arrivera dans cinq ou dix ans. Mais non, ça ne m’inquiète pas!» L’actrice Charlize Theron a fait scandale en Afrique du Sud en novembre quand elle a assuré que sa langue maternelle, l’afrikaans, n’était plus parlée que par «en gros 44 personnes». Pour Frans Hugo, la survivance de ses chers journaux montre au contraire que les habitants isolés de ce Karoo semi-désertique ont besoin de maintenir du lien. Et tant que le journaliste en aura la force, ils recevront des nouvelles tous les jeudis, sans faute.

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