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Addis-Abeba : la résistance d’un cabaret mythique


En juin dernier, l'annonce par la municipalité de la destruction dans les six mois du Fendika pour faire place à un hôtel de luxe a choqué musiciens, artistes et habitués. (Photo : afp)

À Kazanchis, le Fendika, dernier cabaret traditionnel éthiopien, fait figure de monument historique en sursis, après avoir échappé à une destruction programmée. Visite sur place.

Au début des années 2000, le quartier, autrefois cœur du «swinging Addis-Abeba», comptait 17 cabarets et 16 ont depuis été démolis «au nom du développement», explique le propriétaire et directeur du Fendika, Melaku Belay, chorégraphe et danseur mondialement renommé de 43 ans. Comparables aux troubadours médiévaux, les «azmari» sont des poètes-musiciens itinérants de l’Éthiopie rurale traditionnelle, qui improvisent au son grinçant du masinqo, une vièle monocorde dont la caisse en cuir fait résonner des crins de cheval tendus sur un manche en bois et frottés par un archet.

Leur art s’est urbanisé et modernisé, mais les «azmari» continuent à jongler avec les mots, les double sens et métaphores, moquant avec humour les spectateurs, la société, voire le pouvoir, en s’octroyant une liberté d’expression rare en Éthiopie. Sous l’impulsion de Melaku Belay, qui en a d’abord pris les rênes en 2008 avant de le racheter quelques années plus tard, le Fendika – alors déjà menacé – s’est agrandi et diversifié et le petit cabaret est devenu «centre culturel».

Un endroit unique pour découvrir la culture éthiopienne

L’entrée ne paie pas de mine et les murs décatis restent décorés d’affiches défraîchies et d’une improbable brocante de vieilleries hétéroclites. Mais il s’est doté d’une scène, d’une bibliothèque, d’une galerie exposant de jeunes peintres éthiopiens et organise des activités pour enfants. Outre les «azmari», sa scène accueille de l’éthio-jazz ou des groupes revisitant la tradition musicale éthiopienne. La salle biscornue est régulièrement bondée d’un mélange d’Éthiopiens et d’étrangers consommant bières ou tedj, l’hydromel du pays.

Le Fendika «est un endroit vraiment unique pour découvrir la culture éthiopienne dans ce qu’elle a de multiethnique et multiculturelle», constate Luana DeBorst, spectatrice régulière. «Il rassemble les gens, peu importe leur région d’origine, et c’est quelque chose de très fort dans un pays divisé», poursuit cette chercheuse américaine de 27 ans résidant à Addis. L’attraction phare reste Ethiocolor, formation maison fondée en 2009 par Melaku, qui écume les scènes d’Europe et des États-Unis. Avec ses danseurs et musiciens de générations et régions diverses, elle se veut un pont entre tradition et modernité, mais aussi entre les cultures des plus de 80 communautés d’Ethiopie.

Je me suis promis que le Fendika ne serait jamais démoli!

Au son des krars (une sorte de lyre) amplifiés, Melaku Belay affiche sa virtuosité dans des chorégraphies mêlant l’ancestrale eskista du Nord – basée sur des mouvements saccadés d’épaules et de tête – et des danses d’autres régions d’Éthiopie. Charismatique, toujours souriant, il est l’âme du Fendika, dont il a poussé la porte il y a 25 ans par «passion et amour de la danse». L’adolescent d’alors vit dans la rue et monte sur scène pour quelques pourboires, les seuls revenus des artistes à l’époque.

«Au bout d’un moment, on m’a permis de dormir sur place par terre et j’ai terminé le lycée, en étudiant le jour et en me produisant la nuit. C’est comme cela que ça a commencé», raconte-t-il. Il n’a pas oublié d’où il vient : il rémunère les artistes et encourage ses employés à monter sur scène. Batteur d’Ethiocolor, Meselu Abebayew a «commencé comme serveur» il y a plus de 16 ans. «Puis j’ai appris à danser, à jouer de la batterie et suis aussi devenu ingénieur du son.»

«J’ai parcouru le monde grâce à cet endroit», ajoute celui qui a également fondé son propre groupe, Gungun. Autre membre d’Ethiocolor, Emabet Woldetsadik, 30 ans, a été successivement «femme de ménage, caissière, puis serveuse» au Fendika, où elle a appris à chanter et danser. Cet endroit «a changé ma vie. J’y ai découvert mon talent», et désormais «ma responsabilité de danseuse éthiopienne, c’est de montrer et de préserver ma culture».

«On détruit la culture»

En juin dernier, l’annonce par la municipalité de la destruction dans les six mois du Fendika pour faire place à un hôtel de luxe a choqué musiciens, artistes et habitués. «C’est un endroit vital» pour les artistes éthiopiens, expliquait peu après cette annonce Eden Mulu, peintre et designeuse de 30 ans qui a exposé au Fendika : «On s’y rencontre pour échanger des idées» et Melaku «soutient fortement l’art» en Éthiopie.

«De nombreux cabarets ont été déjà détruits, donc on détruit la culture», regrettait de son côté Meselu Abebayew. Or «notre identité, c’est notre histoire. Si cela est détruit, on finit par imiter d’autres cultures.» La mairie a fait volte-face et offert un sursis au Fendika. À charge pour Melaku Belay de proposer son propre projet de développement. Son ambition, onéreuse et qu’il reste à financer : accoler au Fendika historique un bâtiment moderne réunissant sur plusieurs niveaux salle de spectacle, studios d’enregistrement et résidence d’artistes. «Je me suis promis que le Fendika ne serait jamais démoli !», sourit-il.

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