«Mettre de la couleur dans le quotidien» d’enfants ne partant pas en vacances, leur faire découvrir Picasso ou leur apprendre à nager : une poignée d’associations aident des jeunes de quartiers pauvres de Marseille à s’évader, malgré tout.
« J’ai vu des gens par la fenêtre du salon, alors je suis venue.» C’est d’abord par curiosité qu’Aliza, 6 ans, est descendue peindre dans la cour de son immeuble de La Benausse, cité longtemps délaissée du 14e arrondissement de Marseille, où le taux de pauvreté dépasse les 40 %. Sa mère, femme de ménage, n’a pas de congés cet été. Alors Aliza s’occupe dans la petite aire de jeux séparant les deux grands blocs de béton de la résidence ou dans son appartement. «J’aime beaucoup la peinture, mais je n’en ai pas chez moi», regrette-t-elle, pinceau à la main.
« Les enfants se lâchent un peu »
L’initiative, lancée par l’association Arts & Développement dans les quartiers défavorisés de la cité phocéenne, permet à tous de participer à un projet collectif gratuitement, quand nombre de stages estivaux et d’autres activités peuvent coûter plus de 200 euros par semaine. En atelier, «les enfants se lâchent un peu», sourit Anna Chamoulaud, cheffe de projets dans cette association, en regardant la vingtaine d’enfants dessiner à La Benausse. «On essaie de mettre de la couleur dans leur quotidien» même pendant les vacances, un moment de l’année où nombre d’activités périscolaires sont suspendues.
«Donner des connaissances»
Cet été, Clara Romano-Aguado, artiste espagnole en résidence au sein de l’association, leur propose de colorer un grand drap pour ensuite en découper des morceaux, les coller sur des vêtements et y ajouter des noyaux de fruits eux aussi peints par leurs soins.
Pour éveiller leur curiosité, l’artiste leur montre des exemples de peintures sur t-shirts réalisées par le peintre espagnol Pablo Picasso. «Ils connaissent les artistes de nom, mais ils n’en connaissent pas le travail», selon Anna Chamoulaud. L’occasion d’«apporter une certaine ouverture d’esprit culturelle, de (leur) donner des références et des connaissances» sur l’histoire de l’art, ajoute-t-elle.
J’aime beaucoup la peinture, mais je n’en ai pas chez moi
Dounia, 7 ans, qui ne pourra pas rejoindre ses grands-parents en Tunisie cet été comme à l’accoutumée, ne connaissait pas Picasso, mais se félicite de pouvoir peindre. «On sent une vraie fracture» dans ces quartiers populaires où les familles «n’ont plus les moyens de partir» en vacances, «de payer les billets pour rentrer dans leurs familles», souligne Anna Chamoulaud.
Dans l’Hexagone, un enfant sur quatre ne part pas en vacances, selon des chiffres du ministère de l’Éducation nationale publiés en 2020. Les 150 centres aérés de la deuxième ville de France offrent 13 000 places durant les vacances, selon la mairie, mais les listes d’attente sont longues et les 180 000 petits Marseillais ne peuvent pas tous en profiter.
Dans le bassin des champions
Marseille, au bord de la Méditerranée, offre de nombreuses plages et accès à la mer. Mais «ce n’est pas parce qu’on voit la mer de sa fenêtre que l’on sait nager», note, de son côté, Patrick Fancello, président de l’association Marseille capitale de la mer. Pour enseigner le crawl ou la brasse à des enfants de quartiers souvent enclavés et comptant parmi les plus pauvres de France, tout l’été, des bus vont chercher 150 «minots» au pied de leur cité et les emmènent au très chic Cercle des nageurs de Marseille (CNM).
«Respire, sinon tu vas être fatigué», conseille un maître-nageur du CNM à un jeune. Pendant une heure, le mercredi, une trentaine d’enfants de 9 à 12 ans, dans l’ensemble «peu à l’aise dans l’eau», ont appris à nager dans le bassin olympique ayant formé des champions comme Laure Manaudou ou Alain Bernard.
De fortes disparités dans l’apprentissage de la natation
Les parents de Nasser, 12 ans, n’avaient «pas assez de sous» pour qu’il les accompagne aux Comores, leur pays d’origine. «Je vais aller à la plage et rester chez moi», souffle-t-il. Mais cette semaine lui aura permis d’apprendre «à nager sur le dos».
Un rapport de la Cour des comptes de 2018 pointait un ratio de piscine par habitant à Marseille «six fois inférieur à la moyenne nationale», entraînant de fortes disparités dans l’apprentissage de la natation entre les enfants des quartiers pauvres du nord et riches du sud. «À Marseille, il faut reconnecter la population à la Méditerranée», insiste Patrick Fancello. À commencer par les enfants qui n’ont «pas trop de possibilités».