Interrogé vendredi par son avocat Me Bernard Colin, Raphaël Halet, poursuivi pour le vol de seize déclarations fiscales dans le procès LuxLeaks, a déballé tout ce qu’il savait du fonctionnement de l’industrie luxembourgeoise des « tax rulings » tamponnés à la chaîne. Et l’ex-employé de PwC Luxembourg de confirmer la très grande proximité entre le cabinet d’audit et l’administration fiscale.
Employé dans l’équipe du « Tax process support team » (numérisation, secrétariat, archivage) chez PwC Luxembourg, Raphaël Halet était bien placé pour observer le fonctionnement de la validation des rescrits fiscaux. Ces fameux « tax rulings » très avantageux pour les multinationales clientes de PwC, révélés fin 2014 par l’affaire LuxLeaks.
Au cœur du système d’optimisation fiscale de masse mis en place au Luxembourg, ces accords anticipés de déclarations fiscales permettent à une multinationale, par le biais du cabinet PwC, de « verrouiller » une proposition de montage fiscal. C’est là qu’elle glisse les différents calculs de transferts entre filiales et maison-mère qui, par le jeu des niches des différentes législations nationales, peuvent aboutir à un impôt quasi-nul, siphonnant de fait les ressources fiscales des pays où elle la société a effectivement ses activités.
Le problème est donc de vérifier la validité de ces dossiers plutôt épais et techniques. Avec les LuxLeaks, le Luxembourg a été accusé de pratiquer les rulings de façon bienveillante et massive. Aux premières loges lorsqu’il dirigeait l’équipe de soutien administratif au département Fiscalité chez PwC, Raphaël Halet confirme cette industrie, en décrivant un fonctionnement bien huilé, main dans la main, entre PwC et l’administration fiscale.
D’abord, ces « advance tax agreement » (ATA) étaient préparés dans les locaux du cabinet d’audit directement avec du papier à en-tête de l’Administration des contributions (!), pour lui « faciliter la tâche ». Ce qui témoigne déjà d’une certaine confusion des genres. Mais ce n’est pas tout.
30 rulings signés en moins de quatre heures
Les ATA, ainsi imprimés par l’équipe de M.Halet, partaient le mercredi à 13h30 dans le fameux bureau Sociétés 6 de Marius Kohl, et « les trois-quarts » revenaient tamponnés et signés par M.Kohl « dès 17 heures » chez PwC Luxembourg. « Quand seulement 30 rulings partaient, tous pouvaient revenir signés quatre heures plus tard », ce qui correspondait parfois à « 3 minutes par document », a détaillé Raphaël Halet, déroulant ce qu’a été son travail de 2011 à 2015. Le lanceur d’alerte des LuxLeaks décrit d’ailleurs « une grosse pression des clients » de PwC pour « avoir vite leurs ATA signés ».
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De la seule interview que Marius Kohl a donnée (avant la sortie de l’affaire LuxLeaks), le Wall Street Journal écrit : «Quand on lui demande comment il sait les prix de transfert [ndlr : entre une maison-mère immatriculée dans un paradis fiscal et ses filiales établies dans un pays normal], il lèche son pouce et le lève au vent.»
PwC s’occupait de l’archivage pour le compte de l’administration fiscale
Autre particularité grand-ducale : une fois validés, ces rulings étaient numérisés par les bons soins de PwC Luxembourg, qui transmettait ensuite les clés USB au bureau de M.Kohl, là encore « pour lui faire gagner du temps », a assuré Raphaël Halet à la barre du tribunal de Luxembourg. L’administration « n’avait pas le temps de les scanner. Chez nous à PwC, une personne dans l’équipe ne faisait que ça de la semaine. »
Ce qui revient à dire, comme l’a souligné Me Colin, que le secrétariat et l’archivage de l’Administration des contributions était sous-traité aux sociétés contribuables elles-mêmes, via PwC. De là à affirmer que « le fisc était à la botte de PwC », comme le titre le site français d’actualité lesjours.fr, il n’y a qu’un pas.
D’autant que ni le procureur ni les avocats de PwC n’ont contesté une seule de ces déclarations à l’audience. Le président, jusqu’ici si prompt à abréger les questions qui fâchent, a dû lui aussi se résigner à ne pas intervenir.
L’équipe de Halet chez PwC scannait les accords fiscaux et les archivait sur clé usb pour faciliter le travail du fisc lux #LuxLeaks
— Sylvain Amiotte (@SylvainAmiotte) 29 avril 2016
Ce système de clés USB sécurisées a généré « quelques couacs », se souvient encore Raphaël Halet. « Il arrivait qu’elles soient perdues par M.Kohl et sa secrétaire, ou qu’ils oublient les mots de passe. Ensuite a été créée une plate-forme d’hébergement pour que M.Kohl aille chercher directement les documents dessus et éviter que les clés USB se baladent. »
Quant à savoir si PwC Luxembourg avait subi un préjudice à la suite de l’affaire LuxLeaks, l’ex-employé a été catégorique, vendredi : non seulement le cabinet d’audit n’a pas perdu de clients selon lui, mais il en aurait gagné grâce à ce coup de « publicité ». « Sur le coup, c’était la panique, les clients appelaient pour dire ‘c’est quoi ce bordel ?’ Après, c’est redevenu ‘business as usual’. Des clients appelaient car ils ne savaient pas que PwC proposait certains montages fiscaux. J’ai vu que le chiffre d’affaires avait augmenté de 7% cette année-là. »
De quoi, selon la défense, remettre en cause le préjudice de 10 millions d’euros estimé par PwC dans l’accord de confidentialité conclu avec son ex-employé.
Mercredi déjà, l’audition de l’enquêteur avait laissé entrevoir une certaine collusion avec PwC : pour sa propre enquête, la police judiciaire avait repris à son compte l’enquête menée préalablement en interne par le cabinet d’audit – un travail qualifié de « neutre et objectif » par le commissaire. Elle avait aussi pris soin de prévenir PwC avant d’aller perquisitionner ses locaux.
Sylvain Amiotte