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Tragédie du Rana Plaza : des conditions de travail toujours «inhumaines»


Notre consommation frénétique de vêtements a un revers que nous refusons souvent de voir : les terribles conditions de travail d’ouvriers dans les pays du Sud.  (Photo : hervé montaigu)

Une performance artistique émouvante a commémoré ce mardi l’effondrement du Rana Plaza, un immeuble abritant des ateliers de confection au Bangladesh, qui avait fait plus de 1 100 morts.

C’est un triste anniversaire qui a été célébré hier dans la capitale, place d’Armes : il y a dix ans, le 24 avril 2013, s’effondrait le Rana Plaza, un immeuble de huit étages situé près de Dacca, au Bangladesh, qui abritait six ateliers de confection pour des marques de vêtements internationales. La catastrophe, la plus meurtrière de l’industrie textile, avait fait plus de 1 100 morts et quelque 2 500 blessés. Une performance artistique émouvante, réalisée par la chorégraphe Nora Hoffmann, a marqué la commémoration. Une quinzaine de danseurs a mimé en musique les gestes répétitifs et usant des ouvrières surexploitées, et la consommation frénétique, superficielle et irresponsable des acheteurs. Jusqu’à l’effondrement des travailleuses elles-mêmes.

La prestation, organisée dans le cadre de la campagne de sensibilisation «Rethink your clothes», menée par Fairtrade Lëtzebuerg et Caritas Luxembourg, visait à inviter les spectateurs à s’interroger sur l’origine et la production de leurs vêtements, ainsi que sur les effets secondaires de leurs choix vestimentaires et de leur consommation. Elle n’a pas manqué d’arracher une larme à Nico, présent dans le public et engagé sur cette question. «Connaissant ce qui s’est passé, j’ai évidemment repensé à cette catastrophe et essayé d’imaginer ce que ces gens ont pu vivre, bien que ce soit impossible. Il faut vraiment suivre une autre voie de consommation», commente-t-il.

Qu’a-t-on retenu de cette tragédie, qui avait alors ému le monde entier? Si peu, dénoncent les ONG. «Il y a effectivement eu une avancée, reconnaît Jean-Louis Zeien, le président de Fairtrade Lëtzebuerg : l’accord international pour la santé et la sécurité, signé en 2021 entre les organisations syndicales et les marques et enseignes, pour poursuivre les efforts en matière de sécurité des bâtiments et prévention des incendies.»

Mais il s’agit d’une goutte d’eau dans l’océan : d’une part, comme le rappelle Jean-Louis Zeien, cet accord ne concerne que le Bangladesh, alors que d’autres pays ont connu des tragédies du même ordre, notamment le Maroc (l’inondation d’un atelier clandestin à Tanger avait fait 28 morts en 2021) et l’Égypte (20 morts la même année dans l’incendie d’une usine textile).

Conditions de travail inhumaines

D’autre part, la sécurité des bâtiments, bien qu’essentielle, est loin d’être la seule défaillance du secteur textile. Dix ans après l’effondrement du Rana Plaza, les conditions de travail demeurent tout bonnement «inhumaines», s’accordent à dire les ONG : discriminations, intimidations, menaces, harcèlement sont le lot des ouvrières de cette industrie (80 % des employés du secteur sont des femmes). Signalons entre autres absurdités l’interdiction d’aller aux toilettes, ou l’installation de barreaux aux fenêtres de certains ateliers pour empêcher les pauses.

Sans oublier la question du revenu : le salaire minimum dans le secteur textile au Bangladesh s’élève à peine à 8 000 takas par mois, soit environ 69 euros. Malgré le fait qu’il ait été revalorisé deux fois depuis avril 2013, il reste bien en dessous du salaire décent qui permet de couvrir les besoins d’un travailleur et de sa famille dans ce pays, estimé par l’ONG Asia Floor Wage Alliance à 37 661 takas mensuels (385 euros).

Les travailleurs sont donc la plupart du temps obligés de faire des heures supplémentaires excessives, pour compléter leurs revenus mais aussi sous la contrainte de leur patron. L’initiative Garment Workers Diaries rapporte qu’entre décembre 2021 et décembre 2022, les couturières bangladaises ont effectué en moyenne 248 heures de travail par mois, soit 62 heures par semaine. «Lorsqu’elles refusent, elles sont punies, ce qui rejoint la définition du travail forcé», rappelle Jean-Louis Zeien. Et le travail des enfants (souvent issus des bidonvilles) y reste toujours d’actualité, malgré la ratification de conventions.

«Des questions de compétitivité pour assurer une production au plus bas prix entravent la transformation du secteur», écrivent les ONG, qui appellent les consommateurs à davantage de vigilance, faute de pouvoir compter sur l’engagement des entreprises, lesquelles «continuent de ne pas connaître la chaîne d’approvisionnement», blâme Ana Luisa Teixeira, coordinatrice de programmes de sensibilisation de Caritas.«C’était un des problèmes de cet effondrement et il persiste aujourd’hui : les victimes ne savaient pas à qui demander réparation, car aucune entreprise n’était responsable.»

Le consommateur peut agir

Chacun peut agir à son échelle pour changer la donne, rappellent les ONG : ne pas succomber aux effets de mode et conserver ses vêtements le plus longtemps possible, les réparer, acheter des vêtements issus du commerce équitable ou encore opter pour le seconde main et l’upcycling. Plusieurs boutiques engagées existent au Grand-Duché, comme «Lët’z Refashion», de Caritas, située 8-10 rue Genistre à Luxembourg.

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