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[Théâtre] «Songes d’une nuit…» met Shakespeare en boîte


La mise en scène de Myriam Muller est bourrée de géniales trouvailles. (Photo : Bohumil Kostohriz)

Avec Songes d’une nuit…, Myriam Muller rend hommage à William Shakespeare dans une pièce qui joue sur plusieurs niveaux de récit.

Ce n’est plus un secret depuis longtemps : Myriam Muller aime les pièces singulières, de celles qui stimulent la créativité. Qui, mieux encore, ouvrent un champ infini de possibles. Quand, comme la metteuse en scène, on a le goût des distributions XXL et de la mise en scène expérimentale, de même que l’envie d’embarquer le public dans une expérience unique, il convient alors de se tourner vers les grands auteurs. Éternels, intouchables.

À passer en revue son travail de metteuse en scène, se dégage une sainte trinité : Tchekhov (Oncle Vania, 2015; Ivanov, 2020), Molière (Dom Juan, 2017), Shakespeare. Songes d’une nuit… vient compléter le spectre des différents visages du Barde, que Myriam Muller avait commencé à dessiner avec la tragicomédie Mesure pour mesure (2018), puis avec Hamlet (2021).

Derrière son intrigue amoureuse classique – Héléna aime Démétrius qui aime Hermia qui file le parfait amour avec Lysandre –, qui n’occupe en réalité qu’une fraction de la pièce, la comédie figure parmi les textes inclassables de Shakespeare. Et sans aucun doute le plus complexe et avant-gardiste.

Dans cette pièce qui joue sur plusieurs niveaux de récit, le réel, rigide et patriarcal, s’oppose à la permissivité du fantasme, de même que le jour s’oppose à la nuit. Chez Shakespeare, seul le merveilleux a le pouvoir de briser les conventions sans risquer un final en bain de sang; ainsi, fées, elfes et demi-dieux usent de leur magie pour déchaîner les passions des mortels.

Le microcosme effervescent d’une discothèque

Pour favoriser le(s) songe(s), Myriam Muller condense alors la ville d’Athènes, où se déroule l’intrigue, dans le microcosme effervescent d’une discothèque. Un lieu à mi-chemin entre la nuit et le jour, l’imaginaire et le réel, et où le chamboulement des conventions sociales est facilité. Un lieu qui est tour à tour un palais, une forêt et un théâtre.

Tout cela allégoriquement, car, en plus d’avoir la configuration de la parfaite boîte de nuit, le décor en adopte aussi la fonction sociale, celle de l’affranchissement des barrières – et, donc, l’abolition du rapport conventionnel entre le public et la scène, puisque les comédiens eux-mêmes invitent les spectateurs à investir l’espace de jeu et à endosser le rôle de clients du club.

Comme une réponse à deux ans de pandémie, qui ont forcé l’arrêt du spectacle vivant, Songes d’une nuit… est un hymne à la libération des corps. Un peu comme on pénètrerait dans un laboratoire, on s’entasse dans cette discothèque, pas uniquement pour voir la magie prendre forme, mais aussi pour la vivre (notamment à l’entracte).

À l’instar de la future épouse du duc d’Athènes, Hippolyta (Céline Camara) qui, la nuit, devient la reine des fées, Titania, et renverse dans cette autre peau le rapport de domination vis-à-vis de l’homme et de toute la société. Le rêve, amené par la nuit et exacerbé par le philtre d’amour concocté par les créatures merveilleuses, révèle une autre forme de vérité : celle du réel comme prison, en particulier lorsqu’il s’agit de parler d’amour, sentiment le plus soumis à conditions.

Hilarant de bout en bout

De la même façon que le décor, d’une brutalité électrisante, s’oppose à la complexité de l’œuvre, c’est du chaos formé par les corps enchevêtrés que surgit la prise de pouvoir par les femmes, qu’il s’agisse de la belle Hermia (Rosalie Maes), de la détestée Héléna (Manon Raffaelli) ou de la sculpturale Hippolyta/Titania.

D’où l’ardeur qui plane sur la salle, quand Titania entonne du PJ Harvey. Même la troupe de théâtre formée par les techniciens de surface – qui, chez Shakespeare, étaient des artisans – est dirigée par une femme, qui s’octroie d’ailleurs dans leur pièce le rôle du patriarche.

Ces derniers constituent le meilleur ressort comique d’un spectacle déjà hilarant de bout en bout (mention spéciale à Valéry Plancke, qu’on ne se lasse pas de voir transformé en âne). Cette minitroupe offre à travers la mise en scène de Myriam Muller, bourrée de géniales trouvailles, une réflexion personnelle sur l’art théâtral.

Quand on tire le rideau, ce n’est pas pour signifier la fin de la scène, mais bien le début d’une pièce dans la pièce, mise en abyme dont Shakespeare, déjà, avait saisi tout le potentiel expérimental en se fendant d’une parodie de Roméo et Juliette.

C’est le grand final d’un moment inoubliable, réinvention d’un classique qui en saisit le meilleur tout en étant traversé par les obsessions de sa metteuse en scène (réinvention des codes théâtraux, immersion du public, importance stylistique et narrative de la musique contemporaine…). Un immense moment de théâtre total, qui fait de la scène ce qu’elle devrait toujours être : un haut lieu populaire.

 

Songes d’une nuit…, d’après William Shakespeare. Avec Céline Camara, Jules Werner, Rosalie Maes, Manon Raffaelli, Pitt Simon… Durée 2 h 40. Grand Théâtre – Jusqu’au 29 janvier.

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