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[Critique ciné] « Sur la branche » : drôles d’oiseaux


Aborder au cinéma la condition des personnes dites «inadaptées» peut être le prétexte à de bonnes comédies, à condition de manier avec finesse et bienveillance leurs déséquilibres, histoire de ne pas stigmatiser un peu plus une population qui l’est déjà.

Citons dans ce sens la subtilité éprouvée d’un Pierre Salvadori (Les Apprentis, En Liberté!) et la folie survitaminée d’un Albert Dupontel, qui a fait des gens à la marge sa signature (Bernie, 9 Mois ferme, Adieu les cons). Un ADN que l’on retrouve chez une autre Française, Marie Garel-Weiss, moins connue mais à la filmographie tout aussi parlante : La Fête est finie (2017), son premier film, brossait l’amitié entre deux toxicomanes, et son téléfilm pour ARTE, Qu’est-ce qu’on va faire de Jacques? (2022), dressait le portrait d’un jeune schizophrène.

Avec Sur la branche, la réalisatrice remet ses préoccupations au centre de l’écran, à avoir célébrer les outsiders et leurs étonnantes capacités de résilience. Pour incarner l’idée, elle met en scène une jeune trentenaire au drôle de surnom, Mimi (Daphné Patakia).

Bien que l’on ne connaisse pas sa véritable pathologie, elle dit «avoir peur de la vie» et être en «très mauvaise compagnie» avec elle-même. Ses bouffées d’angoisse (ou de joie) la poussent à décompresser avec le sexe, et le reste du temps, ses fulgurances, ses intuitions et sa capacité à être là où on ne l’attend jamais dénotent dans le paysage, qu’elle mange avec avidité de ses grands yeux bruns. Seule et sans véritable attache familiale, elle sort juste de l’hôpital psychiatrique et cherche à s’incruster dans un cabinet d’avocats (elle est elle-même juriste, mais n’a jamais exercé).

 

Là, elle rencontre Claire (Agnès Jaoui), bien à la peine avec son ex-associé et ex-mari, Paul (Benoît Poelvoorde). Ce dernier, un peu voleur, un peu véreux et en plein burn-out, traîne chez lui dans une infâme robe de chambre et persécute tous les associés qui veulent récupérer les dossiers qu’il accumule dans son salon. La radiation du barreau lui pend au nez, mais l’arrivée de Mimi va lui donner des ailes et une affaire… pour se refaire : celle qui concerne Chistophe (Raphaël Quenard), petit arnaqueur qui clame son innocence et cherche à récupérer un original de Proust ayant appartenu à sa mère. Trois inadaptés en manque d’amour et de reconnaissance, dont l’association va faire des étincelles…

Des rues de Paris au littoral breton, Marie Garel-Weiss embarque le spectateur dans une enquête qui a tout d’une comédie romancée, s’amusant avec la petite cruauté de la vie et des autres. L’histoire, simple, sans esbroufe, un brin irréelle, aurait même mérité d’être un peu plus approfondie (notamment pour ce qui est de la recherche du livre volé).

Mais ce n’était pas l’intention de la réalisatrice, qui préfère s’en tenir à son sujet : les pouvoirs de la folie (ordinaire ou diagnostiquée) qui magnifient des personnages aux destins pâles et offrent de nombreuses perspectives filmiques, comme celle de multiplier les situations loufoques. Benoît Poelvoorde, excellent, se découvre ainsi une seconde jeunesse, se baigne à poil et grimpe sur les grilles, quand Raphaël Quenard, grand dadais naïf, devient l’otage forcé de sa propre évasion.

De bonnes idées (comme ces jeux de lumière qui s’intensifient au fil du film), il y en a dans Sur la branche, fort d’un casting aux petits oignons. Mais l’objet tient surtout sur les frêles épaules de Daphné Patakia, déjà à l’honneur dans la série Ovni(s).

Au volant, à 50 km/h sur l’autoroute, dans sa vieille Alpha Romeo, parlant toutes les langues au milieu de ses colocataires ou faisant sonner les portiques du tribunal avec sa hanche en métal, la jeune femme brille par son intensité autant que pour son flegme, solitaire, sans filtre et burlesque comme Charlot ou Buster Keaton. Avec sa foi à toute épreuve et son désir d’absolu, elle prend toute la place et rappelle tendrement tous les ravages de ce qui fait la norme. À ses côtés, une évidence : les gens normaux n’ont rien d’exceptionnel.

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