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Quand le Luxembourg fait son petit business à la Tanzmesse


La Tanzmesse est un salon international au cœur duquel la concurrence est «féroce», avec la présence notamment des pays asiatiques, des États-Unis et de l’Amérique du Sud. (Photos : bohumil kostohryz/graphisterie générale )

Pendant quatre jours, sept compagnies du Luxembourg sont à Düsseldorf à l’occasion de l’incontournable Tanzmesse. Où il est plus souvent question de réseau et d’affaires que de danse.

En début de semaine, Bernard Baumgarten, directeur du Trois C-L, courait dans tous les sens : «J’ai des tonnes de choses à penser et 10 000 mails à gérer avant de partir!», soufflait-il dans un courant d’air. C’est que le lendemain commençait la Tanzmesse de Düsseldorf, plus grande plateforme européenne de rencontres professionnelles pour la danse contemporaine, avec ses 2 000 exposants et visiteurs du monde entier. «Tout le monde y sera, c’est le salon qu’il ne faut pas louper. Mais ça se prépare!», prévient-il. À preuve, les cartons qu’il finalisait mardi, remplis de visuels et brochures qui figureront en bonne place sur le stand dédié au Luxembourg, imaginé pour la première fois en partenariat avec Kultur | lx.

Comme c’est de coutume depuis 2010, tous les deux ans (en dehors de l’édition 2020, annulée en raison de la crise sanitaire), les chorégraphes nationaux sont du voyage en Allemagne, et cette fois-ci, ce sont pas moins de sept compagnies et chorégraphes qui y participent (à la suite d’un appel à candidatures en 2018), dont Anne-Mareike Hess, «pionnière» déjà présente lors des premiers rendez-vous. Bernard Baumgarten s’en souvient, dans un rire : «On ne nous attendait pas. On avait le bonus de l’exotisme! Mais c’est vite retombé : après, il faut prouver pourquoi on est là.»

Une centaine d’invitations reçues

Heureusement, toujours selon lui, «au fil des années, la qualité s’est développée et aujourd’hui, on tient la route!». Il en veut pour exemple la centaine d’invitations qu’il a reçues, dont seulement une trentaine sera «retenue». «C’est dingue!», lâche-t-il avant de poursuivre : «On est beaucoup sollicités : soit par des compagnies qui veulent travailler au Luxembourg, soit par des partenaires qui ont les mêmes missions que le Trois C-L et qui veulent mettre en place des collaborations».

Toujours l’agenda sous les yeux, il table sur un succès équivalent à 2018 : «On avait eu quelque 150 contacts durant le salon. Et parmi ceux-ci, à peu près un tiers ont fait mouche», débouchant notamment sur des coproductions, la vente de pièces ou d’autres formes de partenariat comme des résidences.

«Le Luxembourg est visible sur la carte de la danse internationale»

Une chose est en tout cas certaine pour Bernard Baumgarten : «Le Luxembourg est visible sur la carte de la danse internationale», dit-il, ce qui est mieux quand on sait que la Tanzmesse est un salon international au cœur duquel la concurrence est «féroce», avec la présence notamment des pays asiatiques, des États-Unis et de l’Amérique du Sud. Histoire d’enfoncer le clou, cette année, c’est en force qu’il se déplace. D’abord avec la collaboration de Kultur | lx, qui «soulage» le Trois C-L de certaines de ses missions. Ensuite avec la venue de la «crème» de la scène nationale, conventionnée par le ministère de la Culture (une aide à la structuration leur a été allouée sur trois ans). D’où la présence également dans leur sillage de soutiens logistiques (diffuseur, producteur…).

Parmi eux, Elizabeth Schilling, jeune étoile de la danse européenne et dernière lauréate du Lëtzebuerger Danzpräis. Assidue et jouant à domicile, elle était la première à être arrivée sur place – bien que triste de laisser sa compagnie en plein travail au Grand Théâtre. C’est que son planning est serré : «J’ai entre 15 et 20 rendez-vous déjà planifiés mais dans ce genre de salon, il y a beaucoup de discussions de couloir», confiait-elle mercredi. Comme le dit Bernard Baumgarten, «entre une artiste et un programmateur, il y a une relation personnelle qui doit se créer. Et le meilleur moyen reste de se rencontrer». Faire fructifier ses relations durant le festival, mais aussi avant et après, telle est la clé de la réussite.

Troquer son costume d’artiste pour celui de «commercial»

Une logique à laquelle la danseuse souscrit : «Ça fait partie de mon boulot! En étant chorégraphe ou directrice d’une compagnie, il y a forcément du marketing, du networking…» Une façon, pour elle, de «se reconnecter aux gens et de s’en nourrir», geste encore plus «nécessaire» pour cette première édition postcovid. «Et c’est tellement important pour une carrière», surtout quand on sait que vendre une pièce s’apparente à un véritable chemin de croix : «Je ne compte plus les mails et les coups de téléphone», témoigne-t-elle, malgré l’appui, récent, d’un producteur qui est venu intégrer son équipe.

«Un travail à plein temps» hors scène qui divise Baptiste Hilbert, de la compagnie AWA. D’un côté, il sait, catégorique, que «c’est le carnet d’adresses qui fait ou non la réussite d’une compagnie à l’international». De l’autre, il faut jouer le jeu, se plier à l’exercice et troquer son costume d’artiste pour celui plus étriqué de «commercial». «C’est là qu’est toute la subtilité, sourit-il. Il faut faire preuve de diplomatie. C’est un entraînement compliqué mais primordial pour se montrer et se vendre! Il faut alors bien cibler qui on rencontre et pourquoi. Savoir aussi à quel moment on met la casquette de créateur ou celle d’organisateur», avoue-t-il, lui qui sur place, avec la cofondatrice Catarina Barbosa, défend aussi un festival (Plate-Forme AWA).

C’est le carnet d’adresses qui fait ou non la réussite d’une compagnie à l’international

Elisabeth Schilling compare cela à une avancée sur une échelle, «pas à pas». «On gravit les échelons tous les ans, car chaque nouvelle production ne se destine pas forcément au même marché. Il faut donc rester flexible et ouvrir son réseau.» D’où l’importance, rappelle Bernard Baumgarten, d’être préparé pour les rendez-vous et d’être ouvert aux nouveaux outils proposés («le digital va prendre de plus en plus de place à l’avenir») comme aux nouvelles tendances, notamment en ce qui concerne la diffusion «écoresponsable».

Un sens de l’anticipation qui étonne Baptiste Hilbert, toujours «admiratif» face à ce discours bien rodé. Mais il a son explication : «La communication est quand même plus facile de structure à structure, que de structure à artiste, car elles ont une stratégie de développement alors que nous, on est juste des artistes qui veulent vendre leur travail!» Ce qui ne l’empêche pas d’avoir une longue liste de rencontres à respecter avec, sous le bras, du matériel audiovisuel tout neuf, finalisé la semaine dernière à Lisbonne. «On n’allait pas venir sans rien!» (il rit), lui qui se souvient qu’en 2018, pour sa première participation à la Tanzmesse, il était arrivé avec «deux petites créations de 15 minutes et une autre en cours de recherche», difficiles à promouvoir.

Cette année, ses interlocuteurs seront, pour la plupart, des connaissances déjà rencontrées en amont à d’autres rendez-vous (en dehors d’un «mystérieux» contact polonais). Il énumère, la liste en tête : des Anglais, des Espagnols et une personne venue des Pas-Bas, dont la structure subventionne les jeunes créateurs. «C’est pas mal, non?» Il reconnaît être curieux de ce qui va sortir de ces face-à-face, et voir si les comportements ont changé avec la crise sanitaire. «Est-ce que les salles et centres culturels auront toujours les moyens d’acheter des pièces? Et si oui, seront-elles aussi spontanées dans leur choix? Pas sûr», soutient-il, lui qui déplore déjà un fort déséquilibre entre l’offre et la demande.

La première année, on ne nous attendait pas. On avait le bonus de l’exotisme!

Malgré tout, il ne boude pas son plaisir : sa compagnie, pour la toute première fois, est appuyée par un chargé de diffusion, grâce, une fois encore, aux subsides étatiques. «C’est un bon moyen de partir avec les meilleures cartes en main», soutient Bernard Baumgarten. Baptiste Hilbert salue évidemment cette avancée sensible vers la «professionnalisation» de la scène nationale, bien que le timing ait été involontairement mauvais. «Cette dynamique de se montrer à l’étranger est arrivée juste avant la pandémie. Et au final, ce sont trois années blanches!»

Gageons que l’ancien «outsider» qu’est le Luxembourg, dans sa promotion tous azimuts, continuera de «se donner les moyens pour réussir». Comme favoriser à l’avenir, par exemple, la «transition entre le milieu amateur et professionnel», propose le danseur, dont la formation s’est faite entre Montpellier, Leeds et Genève. «Ça permettrait d’éviter la fuite des talents à l’étranger et d’assurer un meilleur suivi.» En somme, cultiver son jardin pour mieux être performant et efficace en dehors des frontières. L’idée n’est pas nouvelle mais se construit lentement. En attendant, il y a des rendez-vous à honorer.

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