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Pompidou-Metz : une colossale leçon d’histoires


L’exposition aborde cinq grands thèmes, comme autant de chapitres dont les titres reprennent ceux de grands romans de la science-fiction. (Photo : agacp paris 2022)

Plus de 200 œuvres et autant de petites histoires traçant ensemble une cartographie des possibles : c’est l’ambition, parfaitement atteinte, de la nouvelle exposition du Centre Pompidou-Metz, dédiée à la science-fiction.

On peut rester des heures à déchiffrer l’Histoire de la science-fiction (2010-2011), imposante fresque signée Ward Shelley, qui s’emploie à tracer, chronologiquement (depuis l’Antiquité!) et en rassemblant les différents formats et sous-genres, un compendium définitif du genre. C’est de cette manière, radicale mais élégante, que la nouvelle exposition du Centre Pompidou-Metz expédie toute la vastitude de son sujet.

«On aurait pu commencer cette exposition au XIXe siècle, avec Mary Shelley (NDLR : auteure de Frankenstein, considéré comme le roman précurseur de la science-fiction)», glisse la commissaire, Alexandra Müller. Mais la SF, rappelle-t-elle, «utilise l’anticipation pour nous parler du présent». Dans la mise en perspective de la science-fiction avec l’art, on comptera donc sur des artistes contemporains et des questionnements qui ont à voir avec le monde actuel.

Plus de 200 œuvres

L’exposition «Les Portes du possible. Art et science-fiction», visible à partir de demain au Centre Pompidou-Metz, a de quoi rassasier même les visiteurs les plus boulimiques : sont exposées plus de 200 œuvres, de toutes formes et sur tous supports, réalisées par des artistes venus des cinq continents et datées de la fin des années 1960 à aujourd’hui. Un projet d’envergure et «décoiffant», qui trotte dans la tête de la commissaire depuis un petit moment.

«Je suis une lectrice assidue et une grande amatrice. La science-fiction, c’est mon violon d’Ingres. Mais je n’avais jamais eu l’opportunité d’attaquer cette thématique vaste à travers une exposition.» C’est la crise sanitaire qui a redistribué les cartes : quand elle est arrivée, poursuit Alexandra Müller, «tout ce qu’on croyait acquis s’est retrouvé sens dessus dessous». «Je me suis dit : « Maintenant, c’est le moment! »»

Après deux ans et demi de réflexions et d’entreprises titanesques, l’exposition, qui prend pour point de départ la «new wave», soit le moment, au tournant des années 1960, où l’on «troque le lointain pour le présent, ou le futur proche», avec des questionnements concrets : le féminisme, le patriarcat, l’héritage du colonialisme, les rapports de domination ou encore l’imminence d’une guerre nucléaire. Un moment pivot dans l’histoire de la science-fiction à partir duquel il est clair, pour Alexandra Müller, que «la SF n’est pas un genre, mais plutôt une méthode de pensée critique, applicable à tous les arts». Et d’ajouter, en définitive : «Dès que l’on se projette dans le futur, on est politique.»

La littérature en fil rouge

L’engagement «sociopolitique» ou «sociocritique» de la science-fiction s’est ainsi imposé comme le «cadre conceptuel» dans lequel la commissaire s’est tenue, avec des œuvres «qui nous donnent à réfléchir sur notre façon d’habiter le monde». Dès lors que l’on pousse ces «portes du possible», on traverse plusieurs mondes en un seul; au fil de la visite, on assiste même au délitement de ce monde.

En faisant le tour des premières salles, on remarque à peine que les murs sont craquelés, puis les trous deviennent plus gros, laissent voir à travers, mettant l’espace à profit pour présenter des œuvres sous plusieurs points de vue. Jusqu’à la dernière galerie, au dernier étage du musée, où les cloisons ne sont plus qu’à l’état de décombres. Une architecture qui peut aussi servir de structure narrative à l’exposition, Alexandra Müller précisant qu’«un paysage dévasté n’est pas que négatif : la fin d’un monde, c’est toujours le début d’un autre».

La SF n’est pas un genre, mais plutôt une méthode de pensée critique

L’exposition aborde cinq grands thèmes, comme autant de chapitres dont les titres reprennent ceux de grands romans de la science-fiction. Toujours dans l’idée d’un projet narratif, et en gardant comme fil rouge le trait d’union entre la littérature et les autres arts, chaque chapitre est introduit par une sélection d’ouvrages en rapport avec la thématique discutée. On va de Philip K. Dick (dont on se souvient de la conférence hallucinée au festival international de Science-fiction de Metz, en 1977) à Alain Damasio (qui donnera à Pompidou-Metz une «perférence», à mi-chemin entre la performance et la conférence, en janvier), en passant par Philippe Curval, J. G. Ballard ou Ray Bradbury.

Un équilibre entre la science et la fiction

La bibliothèque est riche et donne envie de se plonger sans attendre jusque dans ses propositions les plus obscures. Sont alors abordés, à tour de rôle, le caractère politique de la science-fiction («Le meilleur des mondes»), le rôle des technosciences dans nos vies («Neuromancien»), les métamorphoses du corps («Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?»), la SF face aux effondrements environnementaux («Soleil vert») et les futurs alternatifs et mythes réinventés («La parabole du semeur»).

La commissaire tranche : «Je ne suis pas tellement intéressée par la portée prédictive de la science-fiction; quand elle arrive à prédire le monde de demain – et c’est rarissime –, c’est presque le coup du hasard. Ce qui m’intéresse, c’est sa portée métaphorique, et par là même celle des œuvres.» Toutes celles exposées dans «Les Portes du possible» s’admirent en même temps qu’elles se racontent. C’est un respect parfait de l’équilibre entre la science et la fiction, qui évite à l’exposition d’être trop verbeuse ou, au contraire, de perdre le visiteur par manque de contexte.

«Biopunk» et «afrofuturisme»

Dans la jungle luxuriante des possibles, des œuvres marquent forcément plus que d’autres. L’œil est vite attiré par Is More Than This More Than This (2001), sculpture de l’artiste britannique John Isaacs, qui représente un homme obèse au corps gangrené, sur lequel s’est greffé un début de civilisation, métaphore d’un monde moderne qui se «goinfre» du progrès et, donc, du confort. Un autre jeu sur le corps est à trouver du côté du Female Robot (1964) de l’Autrichienne Kiki Kogelnik, où l’artiste se peint en androïde pour glisser un message sur la condition féminine et la servitude moderne. Plus loin encore, le corps devient l’hôte d’un système de plantes chez le collectif espagnol Uh513 avec Symbiotic-Interaction (2016-2017), une interface qui avertit l’humain des dangers environnementaux qui arrivent.

C’est dans la dernière galerie que l’on rencontre des horizons moins connus. On a rencontré précédemment des termes comme «cité structure», «cloud computing» ou «biopunk», on affronte désormais l’«afrofuturisme», thème auquel est dédié le dernier chapitre de l’exposition. Alexandra Müller : «Il me semblait inimaginable de faire cette expo sans aborder le côté extraoccidental. Tout un pan de la science-fiction, aujourd’hui, ne va plus chercher dans la grande histoire, mais dans les histoires oubliées.»

«Réécrire l’histoire est une autre manière d’appréhender le futur»

Le tissu, jusqu’alors invisible dans l‘exposition, devient ici un matériau dominant, par exemple dans Spacewalk (2002), de Yinka Shonibare : une sculpture d’astronaute en apesanteur, le tissu qu’il porte étant une façon de pointer du doigt la question du colonialisme et de se demander quel sera le colonialisme de demain. On admire le «biotope de la révolte» de Josefa Ntjam ou une autre sculpture, A Reversed Retrogress (2013), de la Sud-Africaine Mary Sibande, une silhouette féminine recouverte de racines violettes, qui s’étendent jusqu’à la totalité du mur, en référence à la «Marche pourpre» du Cap, en 1989.

«Réécrire l’histoire est une autre manière d’appréhender le futur», affirme la commissaire. En progressant dans l’exposition, les histoires se forment et forment des pistes de réflexion, pour trouver leur conclusion à la fin : «Les ruines peuvent parfois être le terreau le plus fertile pour construire quelque chose de novateur.» Une belle leçon d’histoires…

Jusqu’au 10 avril 2023 au Centre Pompidou-Metz.

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