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Pierfrancesco Favino, le surdoué tardif


Pierfrancesco Favino. (photo DR)

Un festival à lui tout seul : Pierfrancesco Favino, 54 ans, est omniprésent sur les écrans italiens. À Villerupt, le nouveau monstre sacré du cinéma italien est à l’affiche de six films, dont le saisissant Comandante.

Pierfrancesco Favino est de ces acteurs dont il suffit de les voir une fois pour en être marqué à vie. À l’image de son modèle, l’immense et «inégalable» Gian Maria Volonté, acteur politique par excellence du cinéma italien des années 1960 et 1970. Volonté a interprété Aldo Moro au moment où celui-ci était encore président du Conseil des ministres, dans la satire criminelle Todo modo (Elio Petri, 1976); dix ans plus tard, il prit à nouveau le rôle du président de la Démocratie chrétienne dans Il caso Moro (Giuseppe Ferrara, 1986), soit le récit complexe de son enlèvement, de sa séquestration puis de son assassinat par les Brigades rouges, en 1978.

Favino aussi s’est transformé en fascinants personnages politiques, dans le thriller des hautes sphères politiques Le confessioni (Roberto Andò, 2016), sur lequel plane le fantôme du cinéma de Petri. Puis en devenant l’imposant Bettino Craxi, premier socialiste président du Conseil. Dans Hammamet (Gianni Amelio, 2020), Craxi a 65 ans et passe ses derniers jours dans la villa où il échappe en douceur à la justice italienne, qui l’a condamné pour corruption. Favino est méconnaissable dans la peau de celui qui fut surnommé le «sanglier sauvage», personnage paradoxal, symbole des dysfonctionnements politiques du pays.

Favino, une sensation italienne

Pierfrancesco Favino est un descendant direct des grands acteurs italiens de l’époque, et il confie à demi-mot son seul regret dans sa carrière, celui de ne pas avoir eu la même carrière quarante ans plus tôt. Mais Favino a émergé tard, après quinze ans de métier, aux côtés d’une nouvelle vague de comédiens qui ont défini le paysage actuel du cinéma italien : Riccardo Scamarcio, Elio Germano, Valerio Mastandrea, Claudio Santamaria, Kim Rossi-Stuart. Favino a partagé, avec plusieurs d’entre eux, l’affiche de deux énormes succès qui ont dépassé de loin les frontières de l’Italie : L’ultimo bacio (Gabriele Muccino, 2001) et, surtout, la fresque historique et violente Romanzo criminale, en 2005.

Le rôle du Libanais, un homme intelligent, féroce et déterminé, mais trop gourmand, qui voit l’empire qu’il a bâti se faire dérober sous ses yeux, était du sur-mesure pour l’acteur né à Rome, mais originaire des Pouilles qui, à bientôt 40 ans, endossait son premier rôle définitif. Dès qu’on lui a permis de montrer sa face sombre, Favino est devenu une sensation italienne.

Il reviendra régulièrement aux personnages mafieux, de manière splendide et profondément humaine dans Il traditore (Marco Bellocchio, 2019), dans lequel il est Tommaso Buscetta, repenti de la mafia sicilienne qui aidera à faire tomber Cosa Nostra. À Cannes, il a vu le prix d’interprétation masculine à Cannes lui filer sous le nez pour aller à Antonio Banderas, double de Pedro Almodóvar dans Dolor y gloria; mais à 50 ans, Favino trouvait chez Bellocchio le rôle qui l’a définitivement sanctifié.

Parmi les monstres sacrés

Au cours des quatorze ans qui séparent Romanzo criminale et Il Traditore, Pierfrancesco Favino s’est montré curieux de tout, relevant brillamment le défi d’endosser des rôles complexes (de l’écrivain homosexuel au cœur d’un règlement de comptes entre amis dans Saturno contro, de Ferzan Özpetek, au CRS fascisant, détruit par la violence physique et morale de son travail, dans ACAB – All Cops Are Bastards, de Stefano Sollima) tout en devenant un visage aimé du cinéma populaire et commercial.

Son talent comme sa curisosité l’ont amené jusqu’aux États-Unis, où il a joué aux côtés de Robin Williams (Night at the Museum, 2006), Tom Hanks (Angels & Demons, 2009) ou encore Brad Pitt (World War Z, 2013). Favino, nostalgique des grands acteurs italiens du passé, marche dans les pas de Marcello Mastroianni et Vittorio Gassman, acteurs stakhanovistes qui refusaient, eux aussi, de dresser des frontières entre cinémas populaire et d’auteur, tant admirés pour leurs compositions comiques que dramatiques. En cela, on définirait mieux Pierfrancesco Favino comme un acteur romantique, quasi chevaleresque.

Devant les films de Totò qu’il regardait avec ses parents, le petit Favino, surnommé «Picchio» («pivert») en famille, se rêvait acteur de comédie. Il a depuis gagné sa place parmi les monstres sacrés, révélant une palette nuancée et intarissable, ainsi qu’une capacité impressionnante à pratiquer les accents et dialectes de toute l’Italie – sans compter qu’il parle un anglais et un français irréprochables.

S’il livre ses meilleures performances avec des rôles sombres, qui font ressortir ses traits épais et son physique robuste, l’Italie connaît mieux son visage affable, qu’il montre dans des films plus légers qui cartonnent au box-office (à l’image de Corro da te, comédie romantique en fauteuil roulant, remake du film français Tout le monde debout, dans lequel Favino reprend le rôle tenu par… Franck Dubosc !) ou lorsqu’il a présenté, en 2018, le festival de San-Remo, rendez-vous incontournable de la chanson italienne.

Six films à Villerupt

D’acteur monstrueux à icône populaire, rien ne semble résister à Pierfrancesco Favino. Le magazine Esquire rapportait que le producteur italien d’un biopic en série sur Audrey Hepburn, désespéré de ne pas trouver la bonne actrice pour le rôle, aurait lâché : «Si on mettait une perruque à Favino, ce serait son portrait craché !»

Sa méthode, celle de pénétrer corps et âme dans ses rôles, de définir ses personnages en allant vivre leur vie. «J’ai tendance à collaborer d’un peu trop près aux films», confiait-il à l’époque de Il Traditore. De fait, cet acteur dévoué et grand technicien se considère «psychanalyste de profession» : «J’ai un rapport conflictuel avec mon métier : quand je suis (Tommaso) Buscetta qui pleure la mort de ses fils, les larmes, ce sont les miennes.»

On comprend mieux son attrait pour les personnages contradictoires qui, en retour, semblent être une zone d’épanouissement pour le surdoué tardif. Récemment, il s’en est amusé dans le remake italien de la série Dix pour cent, jouant une version de lui-même aux prises avec le rôle de Che Guevara, dont il est incapable de se défaire.

Leçons d’«acting»

À l’affiche de six films cette année à Villerupt (près de 10 % de la programmation complète), Pierfrancesco Favino n’a jamais été aussi omniprésent – il n’a jamais autant tourné, aussi. Dans l’un des films les plus attendus du festival, Comandante, qui a ouvert la dernière Mostra de Venise, Favino est le commandant Salvatore Todaro, considéré à l’heure du fascisme comme un héros (mais qui se disait avant tout «homme de la mer»), qui en 1940 a risqué sa vie et celle de ses hommes en pleine mission pour sauver la vie des marins belges qui avaient tenté de couler son submersible.

Comme à son habitude, il donne là une grande leçon d’«acting» qui profite largement à ce formidable anti-film de guerre. Et il poursuit son chemin, bientôt à l’affiche du polar Adagio de Stefano Sollima, dont il est l’un des acteurs fétiches, ainsi que du film d’aventures français Le Comte de Monte-Cristo, adapté d’Alexandre Dumas, avec Pierre Niney et Laurent Lafitte. Grand lecteur et passionné d’écriture, Pierfrancesco Favino confie avoir longtemps exercé de petits boulots en même temps que son métier d’acteur, pour payer ses factures; il dit avoir commencé à vivre profitablement de sa profession en 2015 et l’enseigne aujourd’hui dans l’école d’acteurs qu’il a fondée à Florence.

Et jure que ses collègues qui s’essaient à la littérature ou à la réalisation s’embarquent dans des aventures «non nécessaires». «La mise en scène, c’est la capacité à savoir synthétiser un récit pour l’image et, aussi passionné que je suis par l’art et la lecture, je ne sais pas si je possède ce talent.» Il n’y a qu’un moyen de le savoir.

La filmographie essentielle

2001 L’ultimo bacio (Gabriele Muccino)

2005 Romanzo criminale (Michele Placido)

2007 Saturno contro (Ferzan Özpetek)

2012 ACAB – All Cops Are Bastards (Sergio Sollima)

2012 Romanzo di una strage (Marco Tullio Giordana)

2013 Rush (Ron Howard)

2015 Suburra (Sergio Sollima)

2016 Le confessioni (Roberto Andò)

2019 Il Traditore (Marco Bellocchio)

2020 Gli anni più belli (Gabriele Muccino)

2020 Padrenostro (Claudio Noce)

2022 Il colibrì (Francesca Archibugi)

2023 L’ultima notte di Amore (Andrea Di Stefano)

2023 Comandante (Edoardo De Angelis)

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