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Philippe Mersch : « On fait fausse route en misant tout sur l’électrique »


«Au Luxembourg, 94 % du parc automobile existant n’est pas électrifié. Il serait dès lors intéressant d’évaluer comment le parc existant pourrait être rendu plus propre. Les e-carburants peuvent être une solution», affirme Philippe Mersch. (photos Didier Sylvestre)

Philippe Mersch, le président de la Fédération des distributeurs automobiles et de la mobilité (Fedamo), plaide pour ne pas écarter d’emblée les alternatives visant à rendre le moteur thermique plus durable. En attendant, les voitures électriques gagnent du terrain au Luxembourg.

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Les concessionnaires tirent un premier bilan assez satisfaisant de l’Autofestival, qui s’est achevé début février. Ce rendez-vous incontournable constitue une bonne occasion de mieux saisir les tendances actuelles dans un marché de l’automobile en pleine évolution. Philippe Mersch, le président de la Fedamo, fait le point sur l’électromobilité, les chaînes d’approvisionnement toujours perturbées ainsi que sur l’impact de l’inflation sur le secteur.

Le 4 février s’est clôturée la 59e édition de l’Autofestival. Avec un peu de recul, quel est le bilan de cette grand-messe annuelle de l’automobile ?

Philippe Mersch : Le festival est toujours un succès au Luxembourg. Nous remarquons que, dès le premier jour, davantage de personnes sont présentes dans les showrooms qu’en dehors du festival. Il s’agit aussi d’un succès grâce aux bonnes conditions offertes par les différents constructeurs afin de rendre l’acquisition d’une voiture plus attrayante. Néanmoins, il faut nuancer les choses. À ce stade, on ne peut pas encore avancer de chiffres sur le nombre de ventes. Le nombre d’immatriculations n’est également plus un indicateur fiable au vu des retards de livraison des véhicules neufs. En fin de compte, la formule fonctionne, même si c’est désormais moins un festival de l’automobile qu’avant. Cela est tout à fait normal. D’un côté, la lourde actualité ne se prête pas à de grandes festivités. Et de l’autre, la relation à l’automobile change avec le temps.

Pouvez-vous néanmoins déjà en dire davantage sur les grandes tendances constatées lors de cette édition 2023 ?

En se fiant aux échos récoltés, on se situe à un niveau semblable aux années précédentes. Il existe toujours des marques qui se portent mieux que d’autres, notamment en fonction des lancements de nouveaux produits et des conditions proposées. Avant le festival, nous nous demandions vers quoi nous nous dirigions. Avec le recul, on peut affirmer que le résultat aurait pu être pire. Il restera à apprécier le degré de satisfaction global.

Le festival en lui-même représente quelle part du chiffre d’affaires annuel d’un concessionnaire ?

L’Autofestival est une activité commerciale très importante. On pense toujours au client – ce qui est justifié –, mais le festival est aussi essentiel pour notre secteur. Pour notre activité, nos finances, il s’agit d’une période importante, peu importe la durée exacte du festival. D’une manière générale, les concessionnaires réalisent sur les deux premiers mois de l’année entre 30 et 35 % du chiffre d’affaires annuel. À une certaine époque, les 40 % pouvaient être atteints. Cela dépend fortement des marques. Certaines sont très focalisées sur le client privé et frappent donc très fort lors du festival. D’autres ciblent davantage une activité plus régulière sur l’année qui repose sur les flottes d’entreprise.

Le gouvernement a adapté le subventionnement des véhicules de société. S’agit-il d’un coup dur pour les concessionnaires ?

La flotte d’entreprise représente 22-23 % de l’ensemble du parc automobile et 50 % des immatriculations sur une année. Le camp politique veut que le parc devienne toujours plus vert. Au vu des nouvelles conditions, les entreprises concernées sont actuellement très prudentes. Il est acquis que toute une série de ventes et d’immatriculations vont être perdues. Cela a un impact sur les ventes, les activités d’entretien, les recettes fiscales de l’État et le secteur des assurances. De plus, cela n’aide pas forcément à rendre le parc plus durable. Des échanges sont toujours en cours. Une entrevue est notamment prévue avec le ministère des Finances pour mieux évaluer l’impact non négligeable de cette mesure.

Le secteur automobile est également confronté à de longs délais de livraison, provoqués par les perturbations des chaînes d’approvisionnement. Cela n’a-t-il pas constitué un frein lors de ce festival ?

Cela a certainement joué. Il est évident que si j’achète aujourd’hui une voiture et qu’on me dit qu’il faut attendre une année avant la livraison, l’envie de passer commande est moindre. Cependant, il se confirme que les gens qui décident, au bout de sept ou huit ans, de se doter d’un nouveau véhicule anticipent l’acquisition. Mais les délais de livraison donnent encore régulièrement lieu à des discussions dans les showrooms. Il s’agit d’un facteur majeur, à côté du prix du véhicule. Toutefois, nous commençons à vivre avec. Le secteur automobile n’est d’ailleurs pas le seul à être confronté à cette problématique.

Peut-on s’attendre à une amélioration de la situation dans les mois à venir ?

Pour le moment, une véritable amélioration de la situation n’est pas encore observée. En tant que concessionnaires, nous n’avons pas de lien direct avec nos fabricants. Néanmoins, selon les informations que l’on reçoit par le biais de nos importateurs, on espère que la situation se détendra progressivement au cours du deuxième semestre de cette année.

La pénurie de matières premières telles que les semi-conducteurs témoigne de la forte dépendance de l’Europe vis-à-vis de fournisseurs installés dans des pays tiers. Quelles sont les répercussions sur le secteur automobile ?

On peut aussi citer la production de batteries en exemple. Il est triste d’en être arrivé là. L’Europe tente de se réindustrialiser dans l’objectif de se rapprocher des lignes de production, mais cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Les constructeurs ont des contrats avec leurs fournisseurs actuels. Il faut vivre avec cette réalité.

«D’une manière générale, les concessionnaires réalisent sur les deux premiers mois de l’année entre 30 et 35 % du chiffre d’affaires annuel», indique Philippe Mersch. / Ⓒ Photos : didier sylvestre

L’autre tendance majeure est la transition plus poussée vers un parc automobile électrique. La croissance au niveau des immatriculations au Luxembourg est de l’ordre de 5 % par an. Est-ce que cette trajectoire ascendante se confirme ?

De 10 % de véhicules 100 % électriques en 2021, on est passé à 15 % en 2022. On peut imaginer que l’on arrive cette année à une part de marché de 20 %. En fonction des marques, on arrive facilement à une proportion de 20 %, 30 %, voire 40 % des ventes. L’électromobilité continue de progresser en raison d’une offre qui s’élargit en permanence. Au début, il n’y a eu que très peu de modèles électriques. Aujourd’hui, il n’existe quasiment plus aucun constructeur qui n’ait pas de voitures électrifiées dans sa gamme. S’y ajoute la prime étatique de 8 000 euros pour l’acquisition d’une voiture 100 % électrique. Il s’agit d’un incitatif indéniable. Ces voitures sont très intéressantes et très agréables à conduire. Elles sont, au niveau de l’entretien, bien moins chères que les voitures à moteur thermique. Mais les voitures électriques ont un prix d’acquisition élevé. Il s’agit d’une problématique qui peut encore freiner les gens qui voudraient sauter le pas.

Un travail pédagogique pour mieux informer sur les avantages et désavantages de l’électromobilité est-il nécessaire ?

Les gens se posent très clairement la question. Il ne faut pas pour autant croire que l’on ait ressenti un véritable boom de l’électrique lors du festival. Les automobilistes doivent évaluer si une voiture électrifiée correspond ou non à leurs besoins, si elle peut être rechargée à leur domicile ou si elle permet d’effectuer des déplacements à l’étranger. Des trajets plus longs sont possibles, mais c’est encore compliqué à l’heure actuelle. Au Luxembourg, on s’est déjà bien positionné en ce qui concerne le réseau public de bornes de recharge. La capacité de recharger son véhicule dans son propre garage reste toutefois prédominante.

L’Automobile Club (ACL) est un brin plus critique en ce qui concerne l’infrastructure de recharge.

Les clients que nous rencontrons se plaignent peu de la situation au Luxembourg, mais beaucoup plus du faible nombre de bornes accessibles à l’étranger. Un autre grand problème, si vous vous déplacez à l’étranger, est la transparence des prix aux bornes de recharge. Le fait de ne pas savoir en amont quel sera le coût d’une recharge nuit à la confiance des consommateurs. Mais les gens qui se décident pour l’électrique se disent très satisfaits de leur véhicule. Nous n’avons néanmoins jamais dit que le moteur électrique était meilleur que le moteur thermique. Il existe de nos jours un mélange sain de motorisations sur le marché. Tout le monde ne peut pas encore se permettre de rouler en électrique.

Mardi, le Parlement européen a confirmé l’interdiction, à partir de 2035, de vendre de nouvelles voitures à moteur thermique dans l’UE. Quel sera l’effet de cette décision ?

Il existe toujours une clause de révision en 2026 qui pourrait venir remettre en question cette interdiction. Pour autant, les constructeurs n’ont pas attendu cette décision pour se positionner face à la mobilité électrique. Les plus grands constructeurs mondiaux affirment toutefois clairement qu’ils ne comptent pas laisser tomber le moteur thermique. Ils mettent de grands moyens pour développer des alternatives au moteur 100 % électrique. On touche ici à l’hydrogène et aux e-carburants. La production des batteries va encore connaître des changements. Le client tient compte de ces évolutions, mais, dans un premier temps, on entend que d’aucuns se disent qu’il vaut mieux acheter une voiture thermique avant la date butoir. Est-ce que c’est vraiment dans l’intérêt des ambitions politiques ?

Le tout électrique n’est donc pas viable à vos yeux ?

Nous avons toujours dit que l’on faisait fausse route en misant tout sur l’électrique au vu, surtout, des différents besoins qui vont persister. Je répète qu’il ne sera pas possible pour tout le monde d’acquérir une voiture électrifiée et de la charger à domicile. Au Luxembourg, les chiffres repris dans le Plan national énergie-climat (PNEC) démontrent que 94 % du parc automobile existant n’est pas électrifié. Il serait dès lors intéressant d’évaluer comment le parc existant pourrait être rendu plus propre. Les e-carburants peuvent être une solution.

Les concessionnaires ressentent-ils déjà que la hausse des taux d’intérêt a pour résultat une réduction des prêts automobiles ?

Nous ne le remarquons pas pour l’instant. Lors du festival, les différentes marques proposent toujours des conditions de crédit plus avantageuses. Il s’agit d’une partie de la remise accordée au client. On est toujours à la recherche de solutions pour que les gens puissent se payer une voiture. Or il est évident que la voiture, en tant que produit, va de moins en moins être considérée comme une acquisition, mais davantage comme un moyen de locomotion qui ne vous appartient pas, mais pour lequel vous allez payer une mensualité, à l’image d’autres abonnements. Le leasing est un exemple. Ce mouvement gagne progressivement des parts de marché, même si ce ne sera jamais une solution qui conviendra à tout le monde.

Faut-il s’attendre à une augmentation des prix de vente et d’entretien, au vu de l’inflation élevée et des index successifs qui sont à verser ?

Tout devient plus cher. La main-d’œuvre est un facteur, les semi-conducteurs disponibles en nombre insuffisant aussi, tout comme les chaînes logistiques perturbées. Le client doit comprendre que le concessionnaire arrive tout au bout de la chaîne et n’a pas d’impact sur ces évolutions. Pour le reste, le secteur automobile est couvert par une convention collective. Dans la mécanique et l’après-vente, on peut répercuter les tranches indiciaires sur le prix de la main-d’œuvre. Cela n’est pas possible dans la vente et dans l’administratif.

2 plusieurs commentaires

  1. Bonjour à tous.Les pays du Maghreb achètent des véhicules thermique, pourquoi !? Ils procédé le gaz et le pétrole, ont t’ils besoin du tout électrique. Ils n’iront pas dans le mur comme nous le faisons. Je fais plus de km en thermique que en électrique, pour les long voyages je m’arrête ou je veux sans chercher une borne,une station il y en à sur tout les trajets. Des bornes non elles sont limité. Ce n’est pas de villages en villages que je trouverais ce service (?).SI ce n’est que être branché chez soit, je n’ai pas ce privilège. A méditer. Cordialement vôtre. Une certaine liberté contrecarrer.

  2. Le Luxembourg est l’un des rares pays où le VE a un sens du fait des distances relativement courtes, tant que l’on reste à l’intérieur du pays.
    En revanche, si vous voulez aller à Malaga, à Naples ou à Dubrovnik, bonjour les dégâts avec un VE. Prévoir des temps de trajets le double ou le triple de ceux avec un véhicule normal à essence ou diesel. A moins que les bornes soient en panne ou toutes prises lors des grandes migrations d’été.
    Bref pour ceux qui bougent peu, le VE est adapté. Mais pour ceux pour qui vacances riment avec soleil donc sud, c’est la galère assurée.
    Les plus riches opterront pour un VE pour les trajets intra-Luxembourg, mais conserveront, le plus longtemps possible un véhicule thermique pour les longs déplacements.
    Si la folie européenne continue, l’europe de l’ouest va ressembler de plus en plus à Cuba où l’on fait encore rouler des voitures américaines d’avant la révolution cubaine, à cause de l’embargo américain.
    Il subsistera encore longtemps des stations service distribuant essence et diesel, ne serait-ce qu’à cause des camions qui ne passeront sans doute jamais à l’électrique, allant régulièrement de Turquie en Hollande ou du sud de l’Espagne en Lettonie

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