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Perrin contre PWC : la protection des sources des journalistes au cœur des débats


Le journaliste Édouard Perrin, mardi matin à Metz. (photo Le Républicain Lorrain/Pascal Brocard)

Dans l’affaire LuxLeaks, l’assignation de PWC Luxembourg par le journaliste Édouard Perrin et le lanceur d’alerte Raphaël Halet est entré dans le vif du sujet mardi devant le tribunal de Metz avec les plaidoiries des deux parties. L’affaire a été mise en délibérée au 6 février.

Pour l’avocat de PWC, il fallait  stopper les fuites de documents fiscaux  en saisissant le matériel informatique du lanceur d’alerte à son domicile lorrain. Pour la défense de Perrin et de Halet, le procédé était volontairement destiné à faire le lien entre un journaliste et sa source, en violation de la loi.

L’audience en référé qui s’est tenue mardi matin devant la chambre civile du tribunal de Metz était inhabituelle en bien des points : un public fourni dans une salle où ne prennent généralement place que des avocats et leurs clients, la présence de nombreux journalistes aussi bien français que luxembourgeois mais surtout la longueur exceptionnelle des plaidoiries des avocats de deux parties.

Une situation à la mesure de l’ampleur internationale de la révélation du scandale LuxLeaks, du nom de dizaines de milliers de documents ayant fuité du cabinet de services financiers PWC Luxembourg, mettant en évidence les pratiques d’évasion et de fraude fiscales mises en œuvre par des centaines de multinationales avec l’accord du fisc luxembourgeois.

Le journaliste de Cash Investigation Édouard Perrin a assigné PWC Luxembourg en référé pour demander la rétractation de l’ordonnance qui a permis au cabinet d’identifier l’une de ses sources dans la révélation du scandale fiscal. En cause, la saisie le 28 novembre 2014 au domicile lorrain de Raphaël Halet de copies de mails démontrant qu’il était l’un des informateurs du journaliste. Raphaël Halet, tout comme Antoine Deltour, l’autre lanceur d’alerte de l’affaire LuxLeaks, était tous deux employés par PWC, mais ils ne se connaissaient pas.

C’est sur la base de ces mails que le journaliste a ensuite été poursuivi pénalement au Luxembourg en même temps que Raphaël Halet et d’Antoine Deltour, le premier lanceur d’alerte de cette affaire.

Renvoi refusé

En demandant nommément la saisie de sa correspondance avec Raphaël Halet, Édouard Perrin estime que PWC a violé le secret des sources des journalistes, protégé par la loi française et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Alors que la Cour de cassation de Luxembourg doit rendre jeudi son arrêt dans le procès intenté aux deux lanceurs d’alerte, l’avocat français de PWC Luxembourg, Me Hervé Renoux, a demandé le renvoi de l’affaire dans l’attente de la décision de la juridiction grand-ducale, qui doit notamment statué sur la qualité de lanceur d’alerte de Raphaël Halet. Demande rejetée par le président du tribunal, Pierre Wagner, estimant que Raphaël Halet peut se pourvoir devant la Cour européenne des droits de l’Homme s’il conteste l’arrêt rendu jeudi par la justice luxembourgeoise. Une procédure qui n’arriverait pas à son terme avant au moins deux ans.

Dans ses plaidoiries, Me Fiodor Rilov, l’avocat d’Édouard Perrin a notamment rendu le tribunal attentif à l’enjeu lié à la rétractation de l’ordonnance incriminée : «Cet acte a été amplement commenté par des observateurs qui sont préoccupés par l’état de la liberté de la presse et des droits fondamentaux en France. Selon que vous allez rétracter ou maintenir cette ordonnance, l’état des libertés fondamentales et de la liberté de la presse ne sera pas le même.» Estimant qu’ «il y aura péril en la demeure» si l’acte est maintenu, l’avocat parisien a affirmé que « l’ordonnance a été arrachée par la manipulation » à Patricia Pormonti, qui présidait alors le tribunal de Metz et qui l’avait validée.

Question de principe

Défenseur de Raphaël Halet, Me Bernard Colin a plaidé la légitimité de son client à intervenir dans ce dossier, certifiant dans la foulée de son confrère que « l’objectif premier de PWC Luxembourg était de démontrer que Raphaël Halet était la source d’Édouard Perrin afin de poursuivre ce dernier devant la justice luxembourgeoise». L’avocat messin a rappelé que Raphaël Halet, Antoine Deltour et Édouard Perrin ont été salués par les plus hautes instances européennes pour leur «courage» et leur contribution à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscales. «Nous demandons la rétractation pour le principe car vous ne pouvez pas laissé une telle ordonnance dans  la jurisprudence française», a conclu Me Bernard Colin face au tribunal.

Faisant feu de tout bois, Me Hervé Renoux, avocat de la société luxembourgeoise a tour à tour contesté la légitimité d’Édouard Perrin et de Raphaël Halet à assigner PWC dans cette affaire. Il a de la même manière mis en cause le statut de lanceur d’alerte à Raphaël Halet – que la justice luxembourgeoise ne lui reconnaît pas – et pour le moins curieusement la qualité de journaliste d’Édouard Perrin, pourtant notoirement connu comme tel.

Me Hervé Renoux a surtout tenté de minimiser le passage de l’ordonnance demandant explicitement la saisie de la correspondance entre Raphaël Halet et journaliste, affirmant qu’il s’agissait prioritairement pour PWC Luxembourg de mettre à l’abri d’éventuels documents encore en possession du lanceur d’alerte. A l’issue de 2h30 de plaidoiries, le président du tribunal a tenu à préciser que sa décision porterait sur la légitimité de l’ordonnance et non sur la protection des sources des journalistes. Quand bien même cette question représente l’enjeu majeur de l’assignation.

L’affaire a été mise en délibérée au 6 février.

Fabien Grasser

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