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[Made in Luxembourg] Roby Ley : «Nous savons bien faire les vins, moins les vendre»


Roby Ley (au c.) a œuvré pour faire reconnaître la qualité des vins luxembourgeois.

Arrivé en 2009 à la direction de l’Institut viti-vinicole de Remich, Roby Ley vient de céder sa place à l’ancien chef du service Viticulture de l’IVV, Serge Fischer. L’occasion de regarder dans le rétroviseur, et aussi de parler d’avenir.

Après près de quinze années, Roby Ley vient de quitter son bureau de directeur de l’Institut viti-vinicole. Depuis l’antenne mosellane du ministère de l’Agriculture et de la Viticulture, il a été un acteur essentiel de toutes les évolutions récentes du secteur.

Pour Le Quotidien, il revient sur cette expérience et les faits qui l’ont marqué. Vous pourrez lire la suite de cette rencontre dans notre édition du 3 janvier.

Qui est-il?

Roby Ley est issu d’une famille de vignerons (domaine Pundel-Err, à Machtum), mais il a choisi de suivre une formation académique. Après des études d’œnologie à Bordeaux, il a appris l’économie et la politique à l’université de Giessen, en Allemagne, en étant basé à Geisenheim, un centre de recherche autour de la viticulture au sens large. «Le sujet de mon doctorat portait sur la compétitivité des vins luxembourgeois dans le marché commun.»

Son profil l’a amené à rejoindre ensuite la Chambre d’agriculture, «un travail qui me plaisait beaucoup, très varié et avec des côtés très techniques, se souvient-il. J’avais notamment beaucoup travaillé pour la création du label Produit du terroir.» C’est en 2009 qu’il rallie l’Institut viti-vinicole, dont il prend la direction. Il connaissait déjà les lieux, puisqu’il y avait réalisé un stage en 1975.

Par la force des choses, Roby Ley n’a donc jamais produit de vin. «Je le regrette un peu, oui… J’aurais aimé pouvoir faire mon vin moi-même. Mais j’ai quand même mis mon grain de sel dans la vinification des vins produits avec les vignes de l’Institut, notamment pour qu’ils soient plus secs. À un moment, j’avais réfléchi à travailler avec mon cousin au domaine, mais on ne peut pas tout faire. Quand on se lance dans un tel projet, il faut avoir le temps de se concentrer et de la patience, or je n’avais aucun des deux!»

Ses grands travaux à l’IVV

Lorsqu’on lui demande de choisir deux décisions qui résumeraient sa carrière à l’Institut, Roby Ley retient d’abord le fait d’avoir ouvert en grand le champ des possibles aux domaines. «L’Institut a le pouvoir de déterminer quels cépages peuvent faire pousser les vignerons et j’ai pris la décision de ne pas être restrictif, avance-t-il. Je sentais, par exemple, que quelques-uns souhaitaient essayer ces cépages interspécifiques résistants aux maladies (NDLR : les Piwis) qu’il ne faut pratiquement pas traiter. Aujourd’hui, ces vins peuvent porter l’Appellation d’origine protégée Moselle luxembourgeoise et j’en suis fier.»

Cela amène directement au deuxième moment fort de sa direction : la création de l’AOP. «Mes prédécesseurs avaient déjà fait un gros travail à la Commission européenne en mettant en œuvre la Marque nationale, mais ce système ne correspondait plus à ma philosophie. Avant, on ne jugeait la qualité qu’au verre : on goûtait et on donnait l’attribution.

Ce classement était la photo d’un moment, six mois après, le vin ne valait peut-être plus rien. Avec l’AOP, nous jugeons aussi le travail de la terre, la vinification… ce n’est pas juste la dégustation d’un vin au mois de mars. On aurait pu aller beaucoup plus loin, mais il a fallu négocier et, par respect, nous avons laissé la liberté aux vignerons de s’exprimer.»

De là, vient un regret que l’on évoquera par ailleurs.

L’AOP : un progrès, mais des limites

La mise en place de l’AOP Moselle luxembourgeoise n’a pas été simple. Il aura fallu d’intenses discussions entre les différentes parties pour qu’un consensus se fasse. Les uns voulaient tout chambouler quand d’autres, plus conservateurs, mettaient le pied sur le frein. À l’arrivée, l’AOP a changé beaucoup de choses, mais elle n’a pas répondu à toutes les attentes. Surtout, contrairement aux motivations initiales, elle n’est pas un outil de clarification pour le consommateur. Ce qui chagrine Roby Ley.

«Je regrette que l’on puisse toujours utiliser les mentions de Grand premier cru et de Premier cru, parce que ces critères ne veulent rien dire. Si quelqu’un découvre les vins luxembourgeois et achète un Grand premier cru dans un supermarché en se disant qu’avec une dénomination aussi qualitative, il va goûter ce que les vignerons luxembourgeois font de mieux, il y a de bonnes chances pour qu’il se dise que ce n’est pas fameux…»

Il est sans doute bien là, le problème des vins luxembourgeois : les étiquettes ne permettent pas de reconnaître les meilleurs des moins bons. «Il faudrait se pencher sur ce problème», admet Roby Ley. L’ancien directeur a deux idées : «D’abord, il faudrait définir les meilleurs sites pour les valoriser.» La solution est simple, elle tombe même sous le sens : c’est ce qui se passe un peu partout (Bourgogne, Champagne, Bordeaux…) Mais ouvrir la discussion promet des combats homériques au sein de la profession! Le second point sera de «limiter le rendement à l’hectare, un critère essentiel pour la production de bons vins».

Et Roby Ley de donner ce qui représente, à ses yeux, un modèle à suivre : Chablis. «Là-bas, on a le classement le plus simple et le plus efficace. Il y a les Grands crus, qui incarnent le sommet de la pyramide. Ce sont les meilleurs, les plus rares et les plus chers. Ensuite, les Premiers crus sont d’excellents vins, dont les parcelles bordent celles des Grands. Enfin, il y a les chablis tout courts, qui sont des vins typiques et abordables.»

Le savoir-faire

C’est là un souci majeur et force est de constater que le marketing des vins luxembourgeois n’est, en général, pas à la hauteur de leur qualité. Cela se comprend : pendant longtemps, tous les vins étaient vendus sans grand stress pour être consommés sur place. Mais aujourd’hui, la concurrence est féroce. Les rayons des supermarchés regorgent de belles bouteilles internationales et les domaines les plus passifs souffrent.

«Nous savons bien faire les vins, moins les vendre, confirme Roby Ley. Certains y arrivent pourtant très bien. Le domaine Alice-Hartmann a su se créer une belle réputation, tout comme Henri-Ruppert. Ces domaines se sont bâti une belle identité. Bernard-Massard mène également une politique commerciale intelligente, puisque ses vins de consommation courante lui permettent de proposer un haut de gamme très qualitatif et très identifiable : le Clos des Rochers.»

Quelque clés pour comprendre le vignoble luxembourgeois

Exploitations. De 2002 à 2021, le nombre de domaines est passé de 509 à 266 unités (-48 %), mais la surface moyenne augmente, une tendance toujours à la hausse. Elle était de 2,6 hectares en 2002 et de 4,8 en 2021. On compte 44 propriétés exploitant plus de 10 hectares, ce qui représente 56 % de la surface totale.

Surface. En 2021, 1 277 hectares étaient plantés de vignes (1 313 en 2002). Une diminution notamment causée par l’urbanisation.

Consommation. Depuis 2014, malgré l’accroissement démographique, elle se situe autour de 63 000 hectolitres de vins chaque année. En 2020/2021, la consommation de vin par habitant est de 40,2 litres (45,2 l en 2017/2018). Les vins et crémants luxembourgeois représentent 22 % de la consommation totale dans le pays.

Données issues du rapport annuel 2021 du ministère de l’Agriculture et de la Viticulture.

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