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Luxembourg Song Contest : du talent et des affaires


Tali a remporté samedi le précieux ticket pour l’une des demi-finales de l’Eurovision à Malmö, les 7 et 9 mai.

Samedi soir, la chanteuse Tali a été choisie par un jury et le public pour représenter le Luxembourg avec la chanson Fighter, au terme d’une finale nationale qui, derrière le talent, mariait folklore international et «nation branding».

Dans une Rockhal pleine de 2 000 spectateurs, RTL a sorti un «show» plus grand que nature pour mettre un nom sur le retour du Luxembourg dans la course à l’Eurovision, à 31 ans de distance de sa précédente participation.

L’évènement Luxembourg Song Contest avait attiré près de 500 artistes du pays avant la première phase de sélection, en juillet dernier; son issue a eu lieu samedi soir, avec la victoire de Tali Golergant, dont le prénom est maintenant sur toutes les lèvres du pays.

La jeune chanteuse a décroché devant les sept autres finalistes le précieux ticket pour Malmö, en Suède, où elle est qualifiée pour l’une des deux demi-finales de l’Eurovision 2024, les 7 et 9 mai prochains.

Encore inconnue du public il y a quelques semaines, Tali, née il y a 23 ans en Israël, a créé la surprise avec la chanson Fighter, un hymne pop à la résilience choisie à la quasi-unanimité – seul un des huit jurés internationaux a donné ses fameux douze points à Krick, considérée favorite de l’épreuve et arrivée deuxième avec Drowning in the Rain.

Un refrain qui reste en tête, un texte en deux langues (anglais et français) et une prestation avec danseurs et pyrotechnie parfaitement réussie, voilà ce qui a sans nul doute fait pencher la balance en faveur de Tali, retenue dans le trio de tête de la «superfinale» complété par Joel Marques (Believer).

Un succès qui s’est reflété à l’applaudimètre, avec un penchant toutefois pour la pop orchestrale du dernier candidat masculin, demi-finaliste de l’édition allemande du télécrochet The Voice en 2023.

Fan-clubs et bookmakers

Si les finalistes ont tous assuré une prestation digne du grand évènement à la clé – de l’énergie rock enflammée du groupe One Last Time aux rythmes dansants d’Angy & Rafa Ela en passant par le chant envoûtant de Naomi Ayé –, force est de constater que les deux têtes d’affiche du pays, CHAiLD et Edsun, ont vécu un rendez-vous manqué.

Le premier avait fait le pari d’une approche dépouillée («juste moi, ma voix et mes yeux», disait-il au Quotidien à la veille de la finale) qui lui a sans doute coûté beaucoup. Dans le cas d’Edsun, seul des huit finalistes à pouvoir proposer une chanson 100 % luxembourgeoise (composée avec Jana Bahrich de Francis of Delirium et Sergio Manique), on comprend moins l’élimination au premier tour de Finally Alive, petite pépite taillée pour l’Eurovision et exécutée avec une grande maîtrise physique et vocale. Mais les surprises font partie de la fête, et tout ici se joue sans rancune.

À la Rockhal, chaque finaliste possédait même son petit fan-club, en particulier ceux qui allaient véritablement se présenter sur scène au public luxembourgeois : à ce petit jeu-là, c’est encore Tali et Krick – qui a impressionné par la simplicité soignée de sa présence scénique et une superbe performance vocale – qui se sont fait remarquer.

Les bookmakers anticipaient dès le lancement de la soirée une course effrénée entre les deux candidates. Les groupes soutenant les deux artistes occupaient principalement l’espace au pied de la scène et se sont fait entendre, arborant des t-shirts et des pancartes faites maison à l’effigie des artistes, leurs noms écrits au feutre jusque dans le visage.

La chanteuse Krick en effigie sur des t-shirts de fans.(Photo : Tania Feller)

À l’arrivée, Krick (165 points) s’est placée treize petites longueurs derrière Tali (178 points), le choix décisif du public confirmant la légère préférence du jury.

Machinerie opaque

La grand-messe marquait l’occasion de retracer le parcours du Grand-Duché au plus célèbre concours de la chanson, d’abord grâce au retour de «Madame Eurovision», Désirée Nosbusch, qui reprenait samedi son rôle de coprésentatrice, 40 ans après la dernière finale de l’Eurovision organisée au Luxembourg en 1984.

Sur scène sont apparues les chanteuses grecque Vicky Leandros et française Anne-Marie David, vainqueures consécutives en 1972 et 1973 pour le Luxembourg, et hommage a été rendu à France Gall et son Poupée de cire, poupée de son (1965, deuxième victoire du pays), repris par les huit finalistes au complet, qui ont encore une fois démontré leur immense talent.

Car l’Eurovision, c’est aussi – et surtout? – un folklore, soutenu par l’apparition de figures iconiques de l’évènement, en vidéo (Conchita Wurst, Marie Myriam…) ou en chair et en os (Alexander Rybak, Ruslana). Mais derrière le spectacle à gros budget, la machinerie reste opaque à tous les niveaux, de la comptabilisation des votes du public, qui représentent 50 % du résultat final, à la présence écrasante de médias internationaux spécifiquement dédiés à l’Eurovision (près de la moitié des 90 journalistes présents à l’évènement, hors RTL).

Dans un post Facebook publié peu avant la finale, le musicien Serge Tonnar dénonçait pour sa part une «mascarade (…) largement payée par le gouvernement luxembourgeois qui soutient ainsi activement le remplacement de la culture et de l’art part le marketing et le business».

Difficile de lui donner tort, quand le «nation branding» a envahi la Rockhal jusque sur son parvis et que le seul «merchandising» disponible n’était pas à l’effigie des musiciens, mais aux couleurs de Lët’z Make It Happen. De quoi se demander si le ministre Éric Thill, présent dans la salle, était venu soutenir la Culture ou tâter le terrain avec son autre portefeuille, celui du Tourisme.

Réponse au printemps, quand un village luxembourgeois aux couleurs de l’Eurovision aura pris ses quartiers à Malmö.

Tali, la victoire en chantant

Dernière d’une série de petites gaffes qui font désormais rire la chanteuse, le lâcher de micro survenu en conférence de presse post-victoire. Quelques minutes plus tôt, c’est son trophée qu’elle a fait tomber devant les caméras de RTL, et aussi ce qu’il convient d’appeler «l’instant “what the fuck?”», d’après sa première réaction – toujours en direct – aux votes du jury.

Sur X, le compte officiel de l’Eurovision avait réagi avec humour au gentil dérapage en tweetant simplement «Language!» («Attention aux gros mots!»), suivi du drapeau luxembourgeois.

Au-delà de la chanson Fighter, on retiendra ainsi la spontanéité d’une chanteuse pour qui «la vie, c’est avant tout se connecter avec les gens». «Il faut toujours garder les pieds sur terre. Ces choses-là peuvent vite monter à la tête», assure celle qui a étudié la comédie musicale et le théâtre à New York, et qui écrit, compose, joue. Et chante, bien sûr.

«Faire une carrière est difficile, j’ai déjà essuyé beaucoup de refus»; chanter et gagner avec Fighter, «c’est une belle revanche». Avec les sept autres finalistes, qu’elle a beaucoup côtoyés ces derniers temps, Tali dit avoir «formé une petite famille» et espère en créer une autre, d’envergure internationale, avec ses futurs compétiteurs, qu’elle a «hâte de rencontrer».

D’ici à Malmö, Tali sait que sa prestation sera différente de celle donnée samedi. On peut d’ores et déjà s’attendre à nouveau à un «show» avec danseurs, eux qui lui «donnent tellement d’énergie sur scène», mais la chanson même pourrait être légèrement modifiée.

Dans l’objectif, on l’espère très fort, de faire un retour spectaculaire dans le giron de l’Eurovision. Et, sans penser au résultat, Tali se voit déjà revenir au Luxembourg pour y rester. «J’ai fait du théâtre ici, j’adorerais en refaire», glisse-t-elle. Côté musique, elle se concentre sur l’Eurovision puis travaillera à un premier EP «et, j’espère, beaucoup plus par la suite…».

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