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Le tueur à gages aux Philippines : «C’était un plan de Pieds nickelés»


Lors du procès pour viols, c'est le père qui s'est retrouvé sur le banc des prévenus. Et ses filles s'étaient constituées parties civiles. Lors du procès lundi, les rôles étaient inversés. (Photo : Didier Sylvestre)

Pour avoir projeté de tuer leur père au printemps 2012, deux jeunes femmes étaient convoquées lundi après-midi à la barre. La tentative de parricide avait émergé après la plainte pour viols.

Si l’idée fomentée au printemps 2012 avait abouti, il n’y aurait vraisemblablement pas eu plainte pour viols. Et sans cette instruction, la tentative de parricide à plus de 10 000 km ne serait sans doute jamais remontée jusqu’au Grand-Duché….

Le père, 63 ans aujourd’hui, en est convaincu : ses trois filles ont inventé cette histoire d’abus sexuels après qu’elles n’eurent pas réussi à le tuer aux Philippines. C’était sa ligne de défense lors de son procès. À l’époque, son avocat avait souhaité que les deux affaires soient jugées ensemble. «Le parricide manqué a fait naître le viol.» Mais la 13e chambre criminelle s’y était opposée. Elle avait même estimé que les deux affaires devaient être jugées par deux compositions différentes. Car les sœurs entendues comme témoins dans le premier procès risquaient de se retrouver sur le banc des prévenus dans le second. Et inversement pour le père.

Un peu plus d’un an plus tard, rendez-vous donc, lundi après-midi, devant la 9e chambre correctionnelle. Le père condamné en première instance pour avoir abusé de ses trois filles au Luxembourg et aux Philippines entre 2006 et 2012 à douze ans de réclusion, dont quatre ans avec sursis, s’est constitué partie civile.

Le père réclame 15 000 euros aux filles

Il réclame 15 000 euros au titre du préjudice moral et une indemnité de procédure de 1 500 euros. «Sa progéniture a émis une résolution criminelle. Elle a échafaudé un plan», argue Me Roby Schons. Et sur le banc des prévenus on retrouve l’aînée des sœurs et sa demi-sœur. Les deux jeunes femmes (33 ans et 39 ans) sont poursuivies pour avoir «offert ou proposé directement de commettre un crime punissable d’une peine criminelle», c’est-à-dire d’avoir prévu une personne avec pour mission de tuer leur père.

C’est en raison de SMS que cette affaire a éclaté au grand jour. L’enquête de la police judiciaire lancée dans le cadre de la plainte pour viols avait mis au jour un éclat entre la sœur aînée et le père le 22 mai 2012. Mais cela ne s’arrêtera pas là. Finira par transparaître le plan de tuer le paternel dans le pays dont cette famille recomposée est originaire.

Face aux enquêteurs, l’aînée avait confié avoir appris à l’époque que ses sœurs cadettes avaient été abusées par leur père alors en voyage aux Philippines… Ayant elle-même été victime de faits similaires durant des années, elle aurait voulu protéger sa famille. Sur quoi elle avait informé sa demi-sœur qui, comme elle, se trouvait à l’époque au Grand-Duché. Choquée par ce qu’elle avait entendu, cette dernière avait voulu l’aider.

L’«oncle» et le transfert de 250 euros

L’enquête a permis aux enquêteurs luxembourgeois de retracer l’envoi de 250 euros par le biais de Western Union aux Philippines et l’établissement d’un contact avec un «oncle». C’est cet homme qui aurait dû passer à l’acte. Les jeunes femmes ont reconnu lui avoir parlé par vidéoconférence. Mais elles n’ont pas non plus caché aux enquêteurs qu’il avait rigolé en entendant leur projet…

Ce que l’on sait aujourd’hui c’est qu’il n’y a pas eu parricide. C’est la raison pour laquelle l’aînée a d’ailleurs porté plainte pour viols. Le père n’a pas non plus fait état d’une quelconque agression dans l’immédiat. Il finira par évoquer un incident : un jour, quand il se déplaçait à moto, deux hommes l’auraient pris pour cible avec un pistolet 9 mm. Mais tous ces détails n’interviendront qu’une fois qu’il aura connaissance de tout le dossier…

On n’aura pas entendu les prévenues de vive voix lundi à l’audience. «Le tribunal n’a pas l’intention de poser de questions. Le dossier est complet. Vous avez répondu clairement lors de l’instruction. Je ne vais pas remuer le couteau dans la plaie», laissera entendre la présidente demandant si elles voulaient ajouter quelque chose. Comme tel n’était pas le cas, on est directement passé aux plaidoiries.

«Désespoir et agitation émotionnelle»

Me Michel Foetz a soulevé le moyen de l’«infraction impossible» : «Difficile de croire qu’un « oncle » sur demande de sa nièce et pour une somme ridiculement basse prenne cela au sérieux.» L’avocat de la sœur aînée estime qu’il est impossible de les condamner. Il donnera aussi lecture d’une des expertises psychologiques qui figurent au dossier. «Elle a agi dans le grand désespoir, dans l’agitation émotionnelle qu’elle n’arrivait plus à contrôler. Elle n’a vu d’autre issue que d’engager un tueur à gages.»

Me Lisa Schuller défendant la demi-sœur plaidera également l’acquittement. «L’amalgame émotionnel très bien décrit dans l’expertise a amené ma cliente à avoir l’idée de tuer son père. Il s’agissait plus d’une réaction à chaud que d’un plan bien établi!»

Le parquet se rapporte à prudence quant à la question de l’«infraction impossible». Mais pour son représentant, «c’est un plan de Pieds nickelés. Il n’y a rien de constructif. Et la somme de 250 euros dont il est question est dérisoire.» Il parlera encore des «élucubrations de deux personnes énervées». Si le tribunal venait à retenir l’infraction, il propose une suspension du prononcé. Le parquet donne à considérer que les deux femmes étaient traumatisées et que pour cette affaire, il y a dépassement du délai raisonnable. Le tribunal rendra son jugement le 23 juillet.

À noter que la condamnation du père dans l’affaire des abus sexuels sur les trois sœurs n’a pas encore acquis force de chose jugée. Le procès en appel fixé mi-mars a été remis en raison de la crise sanitaire. Reprogrammé au 9 juin, il a finalement reporté au 16 novembre…

Fabienne Armborst

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