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«Le Luxembourg s’oriente vers un Singapour européen»


René Kollwelter se confie dans notre grande interview du lundi : «C'est arrivé souvent dans ma vie d'avoir été mis à la porte » (Photo : Editpress).

René Kollwelter a démissionné du Conseil d’État, le dernier mandat de sa carrière politique. Cet été, il a publié un livre, Voyage au bout des jours, dans lequel il raconte ses souvenirs.

Vous avez écrit un livre qui n’était pas destiné à être publié, vous le réserviez d’abord à un cercle d’intimes. Que s’est-il passé ?

René Kollwelter : En premier lieu j’aime écrire et c’est mon cinquième livre. J’ai vidé ma maison à Éguilles, en Provence, et vous ne pouvez pas savoir le nombre de documents que j’ai pu conserver, dont certains que j’ai rédigés, et j’étais surpris de moi-même. Avec l’âge, j’ai commencé à penser à mon père et à m’interroger sur lui, ce qu’il a pensé, ce qu’il a fait. Et je me suis rendu compte que je le connaissais peu. Il y a quatre ans, je me suis dit que j’allais raconter toutes ces mémoires à ma fille qui a 30 ans aujourd’hui. Je me suis mis à rédiger et j’ai envoyé les premières feuilles à mon ami Dulli Fruehauf, malheureusement décédé, avec qui j’avais déjà écrit un atlas de l’environnement en 1987. Il m’a alors convaincu de les publier. J’avais déjà écrit quatre chapitres pour ma fille et après j’ai poursuivi.

Quel était votre but ?
Écrire est une thérapie. Je voulais mettre sur papier des choses importantes pour moi et pour mes proches, pour ceux qui m’aiment et même pour ceux qui me détestent (il rit).

C’est un livre règlement de comptes, une autobiographie ?
Il y a quelques règlements de comptes forcément, mais ce n’est pas un livre destiné à régler mes comptes avec le parti. Ce n’est pas non plus une autobiographie. Ionesco a utilisé l’expression « journal en miettes » que j’ai adoptée. C’est un catalogue de choses vécues. J’ai raconté des anecdotes et écrit tout un chapitre que j’ai appelé « brèves de comptoir ». Des petites histoires rigolotes. Mais tout est véridique.

Blague à part, Robert Angel était un chic type

Un exemple d’anecdote ?
Dans le livre, j’en raconte une à propos de Robert Angel, père de Marc, futur député européen. Il n’aimait pas écrire les discours. Robert Angel était à la Chambre et on s’est retrouvés dans l’antichambre de la fraction socialiste, mon meilleur ami, Jean Regenwetter, et moi, quand un haut fonctionnaire est entré avec une enveloppe pour Robert Angel qui contenait le discours qu’il devait prononcer dans le cadre d’un débat sur l’état de la Nation. Avec mon copain Jean, on a enlevé la page 3 du discours avant de le donner à Robert Angel et le pauvre, qui découvrait le discours en direct au pupitre, a sauté la page 3. Personne, absolument personne ne s’en est aperçu, même pas l’orateur. Cela étant dit et blague à part, Robert Angel était un chic type, avec des convictions fortes, un anticlérical que j’appréciais beaucoup.

Votre père avait rejoint le Parti chrétien-social dont il était un élu. Vous n’avez pas suivi le même chemin politique. Pourquoi ?

Je suis un enfant de mai 1968, pas question donc de virer à droite, ce n’était pas dans l’air du temps. J’avais toujours envie de contester toute forme d’autorité, surtout celle qui est bête et méchante. J’ai ainsi atterri à gauche. Quelques jours avant le congrès national du LSAP qui s’est tenu en 1977 pour décider de l’implantation ou non d’une centrale nucléaire à Remerschen, j’ai pris ma carte du parti, suis allé au congrès et ai voté contre. C’était serré, le contre l’a emporté à trois voix près, donc j’ai bien fait (il rit).

Votre histoire avec le LSAP s’est mal terminée et vous avez fini par le quitter, pourquoi ?
C’était la conclusion d’une liaison qui avait un peu dégénéré. Quand j’étais candidat aux élections européennes il y a dix ans, on m’a reproché de ne pas être en règle avec mes cotisations au parti. J’étais en retard de paiement comme beaucoup d’autres, mais c’était un premier accroc important. Cela ne suffisait pas pour me radier du parti, ce que certains désiraient ardemment. C’est arrivé souvent dans ma vie d’avoir été mis à la porte (grand éclat de rire). Et cela est arrivé avec le Parti socialiste quand j’ai accordé ma signature à déi Lénk pour qu’elle puisse présenter une liste aux élections. J’avais envoyé une lettre à Asselborn en 1994 quand je me suis senti un peu mis à l’écart. On était quelques-uns d’ailleurs. Je me suis dit, ou bien je joue des coudes ou je fais autre chose. J’ai terminé mon mandat jusqu’en 1999 et j’ai fait autre chose. J’ai livré à Jean Asselborn ma déception, car j’étais un soldat fidèle du parti et je trouvais dégoûtant la façon dont il me traitait.

C’est la raison pour laquelle vous avez créé la plateforme « Génération Europe » ?
Je l’avais créée dans le cadre des élections européennes et cela m’a permis d’émettre des opinions plus personnelles. C’était l’idée au départ.

Parce que les idées du Parti socialiste ne vous convenaient plus ?
Toute la social-démocratie est malade et cela me fait mal au cœur. Mais la gauche a raté le coche il y a 20 voire 30 ans, parce qu’elle n’a pas su allier les deux tendances fortes qui étaient le social et l’environnement. Les Verts en ont profité. Oskar Lafontaine en Allemagne avait vu juste en publiant à cette époque son manifeste « Arbeit und Umwelt » (Travail et environnement). Les socialistes l’ont ignoré et aujourd’hui ils le paient cash.

Vous êtes quand même satisfait de les voir au gouvernement ?
Oui. Historiquement, c’était bien de laisser les chrétiens-sociaux sur la touche pendant encore cinq ans. Ils vont connaître la vie quotidienne de tous les partis. Je n’ai pas de haine farouche contre eux, mais je n’ai jamais supporté le lien étroit entre la politique et la religion. Je ne suis pas antireligieux, je suis laïc, mais je déteste le mélange des genres.

Que vous inspirent le Parti socialiste aujourd’hui et son désir de renouveau ?
Le renouveau ne se fait pas dans les discours mais dans les actes. Le renouveau ne se limite pas à placer des jeunes aux postes des prédécesseurs. Donc j’attends encore de voir. Je ne palpe pas la touche socialiste dans ce gouvernement, car le plus grand problème au Luxembourg, c’est le coût des logements. J’ai entendu le nouveau ministre déclarer qu’il n’est pas communiste et c’est déjà une forme de démission! Pour régler ce problème, il faut être communiste. Si l’État ne met pas les bouchées doubles, ce n’est pas le marché qui va nous aider. Entre 1974 et 1979, c’est le ministre socialiste Benny Berg qui a créé le Fonds du logement.

On est arrivé dans une situation d’apartheid

Et le Luxembourg, que vous inspire-t-il ?
On s’oriente vers un Singapour européen. Toute la discussion sur la croissance est excellente, mais il faut savoir lâcher du lest et personne n’en a envie. Il n’y a pas trois partis au pouvoir, mais quatre parce qu’il faut ajouter la CGFP (Confédération générale de la fonction publique) qui à Luxembourg domine tout plus que jamais et qui est surprotégée. On est arrivé dans une situation d’apartheid. Si un jour au Luxembourg quelqu’un parvient à fédérer les mécontents, et je pense en particulier à la politique du logement, ce sera l’effet « gilets jaunes ».

Certains vous ont reproché d’avoir décroché un poste à l’école de la deuxième chance à Marseille payé par le Luxembourg…
C’est vrai que je me suis fait détacher à Marseille dans une école tout en gardant un salaire luxembourgeois, mais c’est Marc Fischbach (NDLR : alors ministre), qui me l’a proposé. Il était venu me voir en Provence en 98 où j’avais ouvert une maison d’hôtes. J’ai travaillé dur sur le terrain à Marseille pour aider à reproduire ce modèle d’école de la deuxième chance au Grand-Duché. J’ai rédigé un avis favorable au Conseil d’État (il rit).

Qu’avez-vous retenu de votre expérience au Conseil d’État ?
C’est une bonne expérience, mais je n’aurais pas voulu la faire plus jeune, parce que ça manque un peu de sport. On y travaille beaucoup, mais ça ronronne. Quand j’ai été nommé, j’avais 56 ans. Si Alex Bodry entre au Conseil d’État, ce sera une grande perte pour la fraction parlementaire. Mais je le comprends, il est élu depuis 1984.

Vous avez derrière vous une carrière de footballeur international. Elle a beaucoup compté pour vous ?
Il y a un chapitre dans mon livre où je parle de tous les aspects du football avec sa fonction sociale mais aussi ses dérives. Le football est pour moi l’école de la vie, c’est irremplaçable, plus important que la politique. L’individu dans le groupe et le groupe au service de l’individu. J’ai vécu des émotions fortes. J’étais étudiant à Aix-en-Provence et j’ai eu l’occasion d’être joueur-entraîneur dans un club de la banlieue de Marseille, à Septèmes-les-Vallons dans les quartiers nord de Marseille et encore dernier bastion du Parti communiste. C’était le début des années 70, le club était en autogestion, principe cher à Michel Rocard alors président du PSU. Quand j’ai quitté le club, tout le monde a pleuré, c’était un chagrin collectif (NDLR : il a conservé un article paru dans la presse locale qui atteste tout le bien que pensait le club de lui, qui estimait ne « jamais pouvoir retrouver un animateur de cette qualité »). Quand le Parti socialiste me met à porte, je lis ça et je me console (il rit).

Vous avez été longtemps au conseil communal de Luxembourg ?
Oui, près de 25 ans je crois. J’étais un opposant farouche à Lydie Polfer, mais maintenant je m’entends très bien avec elle !

Vous avez des regrets dans la vie ?
Non, je n’ai pas de regret. J’ai beaucoup regardé en arrière pour écrire ce livre. Je me suis beaucoup amusé. Il m’a permis de revivre une deuxième fois ma propre vie. C’est une renaissance.

Si c’était à refaire ?
Je me suis posé la question. Pour faire de la politique, on n’est pas obligé d’être élu ou de participer à une élection, je l’ai fait avant d’être élu. Aujourd’hui, il n’y a plus de formation politique sur le terrain, un engagement.

Entretien avec Geneviève Montaigu

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