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La vie de Jan, être transgenre loin des villes


«Il est difficile de trouver une personne de confiance lorsque l’on vit en ville», estime Jan Berlo. (photo Didier Sylvestre)

Jan Berlo est une personne transgenre qui vit dans un petit village au nord du pays. Il nous parle de son quotidien entre tranquillité et isolement.

C’est une longue route, bordée tantôt de forêts, tantôt de champs verts et vallonnés, qui conduit à Fouhren. La localité de 439 habitants, logée tout près de la frontière avec l’Allemagne, au nord-est du Luxembourg, est découpée en six rues qui serpentent en son sein. Une pizzeria, une petite épicerie, une église, des fermes et, sur une fenêtre de l’une des imposantes bâtisses du village, plusieurs drapeaux arc-en-ciel fièrement scotchés, bien en vue des passants.

C’est là que vit Jan Berlo. Comme ses grands-parents et ses parents, le jeune infirmier de 26 ans est né et a grandi ici, dans ce bourg de campagne. De sa naissance à son adolescence, Jan a évolué dans ce milieu rural sous le nom de Jeanne, le prénom que son père et sa mère lui ont donné lors de sa venue au monde.

Vivre et annoncer sa transition

«Vers six ans, j’ai commencé à remarquer que je n’étais pas comme mes amies. Je me sentais différent d’elles. Puis à douze ans, j’ai vu des documentaires et des vidéos sur des personnes transgenres et je me suis reconnu. Je suis né fille, mais je suis un garçon», raconte Jan Berlo.

Il définit la transidentité comme le fait de naître avec «un appareil génital qui ne correspond pas à ses sentiments». Peu de temps après avoir mis des mots sur ses ressentis et ses envies, Jan, qui est encore Jeanne aux yeux de tous, décide d’écrire une lettre à ses parents pour leur révéler sa vérité. «J’avais peur de leur réaction, je ne me sentais pas de la leur dire en face à face. À la fin de la lettre, je leur demandais de m’écrire par SMS si tout était O. K. pour eux.» La réponse sera un «OK» fait d’amour et de compréhension. Suivent les questions, la détermination de Jan et l’annonce au reste de la famille et à ses proches via une vidéo envoyée par e-mail et à laquelle tous répondront par du soutien.

Le Nord est oublié par les associations

En 2017, celui qui se fait maintenant appeler Jan entame son traitement pour modifier les taux d’hormones sexuelles de son corps et apparaître de plus en plus masculin. Un passage aussi excitant qu’impressionnant au cours duquel Jan a des difficultés à trouver des informations et des conseils. «J’ai été accompagné par un psy, des médecins, des endocrinologues, mais je trouve que le nord du Luxembourg est oublié par les associations. Elles se trouvent au sud et, lorsqu’on est jeune et sans voiture, il est compliqué de les rencontrer et de se renseigner, explique Jan. Heureusement qu’il y a les réseaux sociaux.»

Le village, comme une bulle

Cette période se compose de longues séances devant le miroir et de moments d’euphorie devant les premières transformations. «Je me filmais tous les jours pour voir les changements au niveau de ma voix. C’est la première chose qui a changé chez moi. Aussi, je n’ai pas eu de fatigue, de séquelles ou d’effets indésirables», indique le jeune homme.

«Comment va votre fille ?» Dans les rues du village, «où tout le monde se connaît», ce sont surtout ses parents qui sont confrontés aux questions. «Ça a été plus difficile pour eux que pour moi, expose Jan. Moi, je n’ai rien caché, et puis, j’ai toujours porté des vêtements de garçon.»

Tout le monde se connaît à Fouhren, ça me rassure

Dans ce milieu qu’il a toujours connu, l’infirmier qui travaille à Ettelbruck se sent bien, proche de ses repères. Loin du bruit, du stress et de l’agitation de la ville, il apprécie le calme et le microcosme qu’offre la ruralité. «Ici, mes voisins sont plus vieux, il y a moins de contacts. En ville, j’estime qu’il y a plus de risques. Aussi, le fait que tout le monde se connaisse à Fouhren me rassure.» Pour lui, la campagne n’est pas un milieu conservateur. Dans ce village de moins de 500 habitants, il avoue n’avoir pas eu à faire face à des remarques pointant son identité. «Je n’ai jamais eu à subir cela directement. À chaque fois, cela s’est produit uniquement sur les réseaux sociaux.»

Jan apprécie la petite bulle qu’il s’est construite. Ce cercle construit autour de sa famille, de ses amis, du théâtre et de son petit copain, qu’il a eu la chance de rencontrer dans le village. Pour autant, il aime à discuter avec d’autres membres de la communauté LGBTQIA+ sur les réseaux sociaux, allant même jusqu’à s’investir pendant un temps au sein de Rosa Lëtzebuerg, une ASBL qui défend les intérêts des personnes LGBTQI.

«J’ai beaucoup de contacts avec des personnes qui sont au début de leur chemin en tant que trans. J’avais envie d’aider.» Dans son discours, il souligne également la demande d’informations de la part des parents. «Ils souhaitent savoir comment aider leurs enfants, comment entamer certaines procédures…»

Des mentalités qui changent

Membre de l’ASBL Rosa Lëtzebuerg, Laurent Boquet ne cache pas que, malgré les efforts de l’association, le nord du Grand-Duché nécessite une meilleure couverture en termes d’information. «Il est compliqué de venir en bus jusqu’à la capitale. De notre côté, on essaie de faire de plus en plus une offre décentralisée via les écoles, des groupes d’échange, des événements d’information… Mais nous souffrons d’un réel manque de ressources», souffle le trésorier.

Les clans s’ouvrent, ainsi que les mentalités

Le Nord et sa ruralité ont évolué, d’après cet observateur. Le cercle fermé dans lequel s’épanouit Jan Berlo est en train de se modifier. «Le marché immobilier amène les gens à bouger vers le nord. Les clans s’ouvrent, ainsi que les mentalités.» Des façons de penser moins conservatrices et plus ouvertes. Ces bouleversements vont de pair avec les avancées technologiques. Chats, applis et sites de rencontre offrent de nouveaux moyens pour sortir de l’isolement induit par la ruralité, sans avoir à monter dans un bus, un train ou une voiture.

Un changement d’état civil
simplifié depuis 2018

En juillet 2018, le projet (n° 7146) de loi «relative à la modification de la mention du sexe et du ou des prénoms à l’état civil et portant modification du Code civil» était largement approuvé à la Chambre. Elle permet à une personne transgenre de modifier son sexe et son prénom à l’état civil en effectuant une demande écrite et sur présentation de certaines pièces (acte de naissance, casier judiciaire, etc). Pour obtenir ce changement, il suffit de correspondre à un des critères suivants prouvant que la personne ne correspond pas au sexe mentionné à l’état civil :

– Le fait qu’elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué;
– Le fait qu’elle soit connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical, professionnel ou associatif;
– Le fait qu’elle ait obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué.

Concernant les mineurs, un accord des parents est nécessaire. Dans le cas contraire, la demande peut être adressée au tribunal d’arrondissement, qui tranchera dans l’intérêt de l’enfant. Quant aux mineurs de moins de cinq ans, il faut recourir à une requête au tribunal d’arrondissement.

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