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«C’est la violence domestique qui tue le plus au Luxembourg»


Kristin Schmit donne des cours en interne aux policiers pour les sensibiliser à la question des violences domestiques.

Kristin Schmit fait partie du comité violences domestiques depuis plus de 18 ans et nous explique son rôle au sein de la police grand-ducale, pour former les policiers sur cette thématique.

Est-ce que la violence domestique ou conjugale est un sujet qui a pris davantage d’importance ces dernières années? 

Kristin Schmit : On voit qu’il y a effectivement un changement de paradigme, par rapport à il y a 20 ans. Maintenant, les policiers y sont habitués. Les jeunes surtout n’ont vécu que ça, c’est leur quotidien en fait. Ils voient ça tous les jours et y sont davantage sensibilisés.

On note une vraie prise de conscience : les policiers sont plus sensibilisés à ces questions parce que le tabou, pour moi, est brisé. C’est devenu tellement quotidien que pour eux, ce n’est plus du tout acceptable aujourd’hui et ça reste un sujet grave.

Est-ce que les policiers sont formés à ces types de situation?

Depuis 2003, c’est obligatoire pour tous les policiers. Cela fait partie de la formation de base. Dans le détail, cela comprend une coopération avec les ONG et avec moi. Pour ma part, j’explique la procédure et les mesures de sécurité individuelles. C’est toujours une opération à haut risque donc il faut voir comment se confronter à la victime et à l’auteur.

Avec les organisations, nous abordons tout le volet « qui fait quoi, à quel moment« , notamment avec le service d’assistance des victimes domestiques, mais aussi avec Riicht Eraus, qui s’occupe du volet «auteurs». Il y a également tout un chapitre sur le cycle de la violence, abordé avec l’association Femmes en détresse, qui leur explique la genèse du problème. La police est un acteur, mais ne va pas résoudre le problème : on sera là oui, mais c’est aux gens de faire leurs propres choix. Parfois, savoir qui est l’auteur et qui est la victime n’est déjà pas évident non plus.

J’interviens et j’insiste beaucoup auprès des policiers pour leur expliquer que c’est important qu’ils soient là, à l’écoute des victimes, mais qu’il faudra peut-être qu’elles reviennent dix fois pour avoir un déclic. Les fonctionnaires stagiaires se rendent compte que c’est vraiment leur manière d’intervenir qui influence comment tout se passe, comment les gens réagissent. La première impression que l’on donne, en tant que policier, est importante : c’est ça qui va marquer les gens et leur faire dire : « OK, je vais les appeler ou non, je vais gérer moi-même« .

Nous essayons de leur apprendre comment la victime ou l’auteur peut penser. Il faut qu’ils comprennent comment les gens réagissent et c’est une question qui devient de plus en plus importante. Nous sommes très vigilants sur la désescalade aussi : mon cauchemar, c’est un cas où des policiers seraient blessés. C’est déjà arrivé dans nos pays voisins! C’est un peu l’objet de ma formation : entrer dans ce type d’interventions en sachant que c’est dangereux et qu’il faut être préparé. Tout ce qui concerne la gestion des conflits est basé sur un cas pratique de violence domestique. Ces cours durent plusieurs jours.

Avez-vous observé une hausse des plaintes ou des appels pour violences domestiques?

Le comité publie toujours un rapport d’activités, où nous observons des hausses et des baisses, sans pour autant les expliquer. Nous avons essayé, mais depuis 20 ans, nous n’avons pas vraiment trouvé de raisons. Il y a des petits points : quand les personnes sont à la maison, les week-ends ou les jours de fête, nous sommes préparés à voir des pics de violence domestique.

Cela dépend aussi de la météo par exemple. Pendant la crise du Covid-19, la météo était belle, les gens étaient à l’extérieur, nous n’avons pas observé de hausse comme dans d’autres pays. Nous avons eu, en revanche, une hausse des appels. Je crois que cela fait partie d’une certaine prise de conscience du public aussi. La population n’accepte plus d’être dérangée par des gens qui font du bruit, qui commencent à se rebeller, etc. Désormais, les gens appellent la police et nous constatons une hausse ces dernières années.

De toute manière, nous nous déplaçons pour chaque appel. Cela ne veut pas dire que chaque appel donne lieu à une expulsion, mais nous allons sur place pour voir s’il y a eu une violence domestique ou non.

L’expulsion est un très bon moyen de prévention pour ces violences

Les violences conjugales sont souvent associées à des violences physiques, mais ce n’est pas toujours le cas… Les violences psychologiques sont également très répandues. Comment les policiers peuvent-ils réagir face à cela?

Malheureusement, la menace psychologique n’est pas couverte par la loi sur la violence domestique. La définition claire pour nous, c’est « la menace ou l’atteinte à l’intégrité physique« . Il faut donc constater une menace à l’intégrité ou des coups et blessures. Autrement, impossible de demander une expulsion.

Nous sommes assez limités sur la violence psychologique dans le code pénal : c’est une subtilité qui est difficile, mais qui n’est pas pénale. Si l’auteur se limite à une manipulation ou une pression sans devenir violent, nous, nous ne pouvons pas le constater. Il y a toutefois une volonté d’instaurer le harcèlement via les réseaux sociaux ou les smartphones dans le code pénal. Il ne sera plus possible de traquer son ou sa partenaire sans son consentement par exemple.

Actuellement, ce sont les femmes qui sont majoritairement victimes de violences domestiques au Luxembourg?

Ce sont majoritairement des femmes, oui. Je dirais que cela concerne trois quarts de nos cas, donc ça reste une violence domestique par rapport aux femmes, oui. Si on regarde les statistiques sur le nombre de morts dans le pays, c’est la violence domestique qui tue le plus. Pas les règlements de comptes entre réseaux criminels, non. Les morts violentes aujourd’hui au Luxembourg se trouvent dans les couples, ce sont les violences domestiques.

La plateforme féministe JIF a fait part d’une revendication pour mettre en place un système d’enregistrement et de suivi des plaintes « qui rende justice aux femmes victimes de violences« . Elle « préconise l’utilisation d’un formulaire pour l’entretien avec des victimes de violence domestique, à l’image de ce qui se fait en France. Ces formulaires permettent à la police ainsi qu’à la victime de mieux évaluer le danger« . Qu’en pensez-vous?

Une analyse de risque en amont, avec des questions plus poussées (même si les questions actuelles le sont déjà pas mal!) et un développement informatique pourraient être une piste. Ce sont des réflexions qui sont menées à l’heure actuelle. Mais il faut dire que l’analyse déjà mise en place se fait au moment de la demande auprès du parquet pour une expulsion. Il y a donc déjà une grande analyse des risques à la base parce que si nous demandons une expulsion, c’est pour prévenir que la victime court encore d’autres risques.

Nous sommes constamment en train de chercher des améliorations et l’analyse des risques en fait partie. Parfois, l’expulsion ne va pas résoudre le problème, l’auteur sera encore très dangereux. Il faudrait trouver d’autres moyens. Et je trouve ça dommage de comparer notre situation avec la France, où le système d’expulsions n’existe pas. Nous n’avons pas la même base de données. Le modèle luxembourgeois est axé sur le modèle autrichien d’il y a 20 ans, et nos voisins allemands ont suivi.

Cet axe de l’expulsion, pour moi, est un très bon moyen de prévention. Si nous expulsons quelqu’un, c’est qu’il y avait déjà quelque chose et que les policiers ont bien fait leur propre analyse des risques. Maintenant, ce que nous prévoyons pour le futur, c’est de trouver des solutions si l’expulsion ne suffit plus. Là, nous pouvons encore améliorer nos procédures et c’est prévu.

Nous voulons mettre en place une cellule spécialisée des violences domestiques, toujours en coopération avec les ONG. C’est une proposition qui date d’il y a deux ans, mais qui demande des ressources : nous ne pouvons pas prendre le premier stagiaire qui sort de l’école et le mettre dans cette cellule.

Le terme de « féminicide«  n’est toujours pas inscrit dans le code pénal, comme l’exige la Convention d’Istanbul ratifiée par le Luxembourg il y a quelques années. Est-ce une notion importante pour vous, pour faire avancer les choses sur le terrain?

En termes de peine, cela ne changerait rien, nous sommes déjà au maximum. Si vous tuez quelqu’un, que ce soit un homme ou une femme, cela ne change rien. Mais je pense que ce serait tout de même une prise de conscience que la violence est davantage dirigée vers les femmes.

Il s’agit surtout de voir comment le public, la population réagit face à ce genre de crime. Je crois que les pays qui emploient ce terme font face à un problème très grave, l’ont reconnu et ont réagi. Ce n’est pas notre cas. Nous, nous avons plus de 20 ans d’expérience derrière nous et une méthode qui fonctionne : l’expulsion. Je pense que cela nous donne un peu d’avance sur les autres pays qui ont peut-être réagi plus tard.

Nous n’avons pas mis cette loi en place à cause des féminicides : ce sont des faits graves, mais il faut intervenir avant. De mon point de vue, je pense que le Luxembourg a une certaine expérience sur ce terrain à faire valoir par rapport à certains autres pays, et nous pouvons vraiment faire confiance au système de l’expulsion. Il a changé la donne, c’est une procédure lourde qui compte beaucoup.

Un commentaire

  1. Etoile filante

    Il faut une réforme du Code pénale: La violence psychique est certainement tout auss répandue sinon plus que la violence physique avec laquelle elle va de pair. Elle tétanise la victime qui devient alors incapable de se défendre y compris contre la violence physique. Comme la violence physique elle tue, mais à petit feu, ce qui est tout aussi cruel pour la victime.

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