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Justice : le prévenu n’a pas supporté que son épouse gagne son indépendance


L’affaire fait jour à des divergences culturelles, notamment sur le droit des femmes à disposer de leur vie en toute indépendance et de réflexions sur le couple.

Un réfugié syrien arrivé au Luxembourg en 2017 a eu plus de mal que son épouse à s’adapter à la vie occidentale. Il n’a pas accepté qu’elle demande le divorce et prenne son indépendance.

Il est des prévenus plus convaincants que d’autres. Sheiar élude les réponses et ne remet absolument pas ses actes en question. Ce Syrien d’origine kurde n’a, semble-t-il, pas supporté les velléités d’indépendance de son épouse qui ne supportait plus les brimades, les menaces de mort et les coups dont elle était victime depuis leur arrivée au Luxembourg en 2017. Khadija a trouvé le courage de demander le divorce après l’arrivée de sa sœur et s’enfuit dans la nuit avec les enfants. Sheiar est tombé des nues, selon une nouvelle version donnée vendredi matin à la barre de la 13e chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Illettré, ne parlant uniquement arabe, il paraît totalement dépassé par une culture dont il ne maîtrise pas les codes.

Le jeune homme de 33 ans conteste les coups et les menaces quand, mis dos au mur par la juge, il n’a pas de trous de mémoire. Il accuse les témoins de mensonges, minimise ou prétend ne jamais avoir dit certaines choses lors de ses différentes auditions. «Il nous raconte des choses qui ne collent pas et après, quand il est mis face à ses contradictions, il choisit la solution de facilité et dit qu’il ne se souvient pas», s’impatiente la présidente de la chambre criminelle, lassée de ne pas obtenir de réponses à ses questions. Elle le presse, mais le prévenu piétine, tourne autour du pot, adapte ses réponses, esquive. Sheiar fait preuve d’une rare endurance et épuise le tribunal.

À tout prix, il cherche à apparaître comme un mari généreux, aimant et large d’esprit avec son épouse, mais donne finalement l’impression inverse lors de son interrogatoire. Sheiar voulait absolument garder la main et le contrôle sur Khadija, même après leur séparation. Il lui a notamment tiré les cheveux en s’apercevant devant le foyer qu’elle avait un tatouage. «Et après, elle va porter des mini-jupes et se mettre à fumer ?», s’offusque-t-il à la barre avant d’ajouter qu’ils étaient encore mariés à l’époque et qu’ «elle aurait dû lui demander son autorisation». «Les femmes qui n’ont peut-être pas tous les droits dans leur pays d’origine changent souvent de comportement en arrivant en Europe et profitent de leurs nouveaux droits. C’est normal. Il faut s’adapter aux usages de ces pays quand on s’y installe», pointe la présidente au bord de l’agacement.

«Ta sœur est morte, c’est légitime»

Le prévenu ne parvient pas à lâcher prise même depuis sa cellule de prison. Selon Khadija, il a multiplié les appels téléphoniques et a piraté le compte Instagram de sa belle-sœur pour entrer en contact avec elle, l’a menacée de «la faire tuer par ses frères pour récupérer ses enfants». «Il ne voulait pas divorcer et préférait me voir morte qu’avec un autre homme», a témoigné la victime jeudi après-midi. «Il m’avait menacée de me découper en petits morceaux.»

«En tant que père et mari un tant soit peu responsable qui prétend aimer son épouse et ses enfants, vous auriez dû vous retenir de maltraiter votre femme à terre avec votre bébé à ses côtés et sous les yeux de vos deux autres enfants», note la juge. «Pourquoi avez-vous disjoncté ainsi ?» – «Je ne sais pas. Je ne me souviens plus», s’obstine Sheiar. Outre les coups et les menaces, il est également accusé de harcèlement téléphonique depuis la prison et surtout de tentative de meurtre sur son épouse. Le 30 décembre 2021, il s’est acharné sur elle à coups de poing et de pied à la tête après l’avoir plaquée au sol. Les faits ont eu lieu devant le foyer pour femmes battues du Rollingergrund dans lequel Khadija s’était réfugiée avec ses enfants après avoir engagé la procédure de divorce.

Il l’avait laissée pour morte à terre après qu’elle a perdu connaissance pour passer trois coups de téléphone à des proches en attendant la police. Un ami rapporte qu’il lui aurait confié que «voilà, c’est fait, elle ne bouge plus». La sœur de Khadija a été contactée par des membres de la famille du prévenu vivant en Turquie et en Allemagne pour lui annoncer son décès, a rapporté l’enquêteur de la police judiciaire. «Ils lui auraient dit : « Ta sœur est morte, c’est légitime«  et que l’acte allait dans le sens de la charia.»

Khadija était, semble-t-il, la chose du prévenu. «Il m’a confié que depuis qu’elle avait un salaire, elle ne le respectait plus», a ajouté l’enquêteur. Effectivement, Sheiar s’est plaint vendredi qu’elle passait moins de temps à faire le ménage et à s’occuper des enfants. «Elle a changé de comportement.» Selon lui, l’altercation qui a débouché sur l’agression de son épouse, était due à ses difficultés à supporter les contraintes liées à leur séparation. «Votre épouse a pris cette décision notamment en raison de votre comportement», lui explique la présidente. Khadija avait été mariée à deux reprises avant d’épouser le prévenu. La première fois, elle avait 15 ans. Un traducteur précise que dans leur culture musulmane traditionnelle, un mari dont la femme demande le divorce «perd la face».

L’interrogatoire du prévenu n’en finit pas. De nouvelles dates d’audience supplémentaires ont été ajoutées. Le procès se poursuivra les 25 et 26 janvier.

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