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Justice : il enlève sa fille et l’emmène en Tchétchénie « pour son bien »


Nadia a mobilisé les plus hautes sphères de l’État pour tenter de récupérer sa fille. (photo : archives lq/julien garroy)

En près de neuf ans, Nadia n’a vu sa fille qu’une seule fois. Son père l’a enlevée «pour son bien» et l’a amenée en Tchétchénie d’où il est originaire. Il risque la prison.

L’enquête a débuté en janvier 2014. Le 11, un père a profité de son droit de visite pour enlever sa fille de 4 ans. Les pistes mènent les enquêteurs luxembourgeois en Russie. Aslanbek est originaire de Tchétchénie. Tout son clan se resserre autour de lui, lave le cerveau de l’enfant, raconte avec émotion l’enquêteur de la police à la barre de la 7e chambre correctionnelle du tribunal d’arrondissement de Luxembourg. Le père aurait menti aux autorités russes pour conserver la garde de la fillette. «Il a toujours prétendu l’avoir enlevée pour la sauver des maltraitances qu’elle subissait auprès du nouveau compagnon de sa maman», précise le policier. «Nous n’en avons trouvé aucune trace au Luxembourg.»

Aslanbek, 41 ans, et Nadia, 39 ans, se sont rencontrés en 2007. Une année plus tard, la jeune femme ukrainienne tombe enceinte. Aslanbek ne semble guère se soucier de l’enfant à naître jusqu’en 2012 où il réapparaît dans la vie de Nadia et de sa fille pour réclamer sa garde, explique le policier. Le tribunal de la jeunesse, après de nombreuses rencontres sous surveillance entre le père et la fille, autorise le prévenu à passer du temps seul avec l’enfant. Il profite de ce premier rendez-vous pour enlever la fillette, le 11 janvier 2014.

Une médiation qui n’aboutit pas

«Le temps jouait contre nous», poursuit l’enquêteur. Officiers de liaison, Interpol, diplomates, médiateurs, tribunaux… Les moyens déployés pour rendre la fillette à sa mère sont énormes. Jean Asselborn, Étienne Schneider et Xavier Bettel se sont entretenus avec Sergei Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères, et Ramzan Kadyrov, le président de la République de Tchétchénie, entre autres. Une médiation, qui n’aboutit pas, est même organisée.

Près de 9 ans après les faits, Nadia vit toujours sans sa fille qu’elle a pu rencontrer à une seule reprise en 2019 en Tchétchénie. Les autorités russes et tchétchènes refuseraient à présent d’extrader l’enfant qui a entre-temps acquis la nationalité russe «de manière illégale», selon la partie civile, Me Aline Condrotte. Sa mère a accepté de remettre son extrait de naissance à son père dans le cadre d’un contrat.

« J’ai eu peur quand il est réapparu »

«Quand je suis tombée enceinte, il m’a dit que quand elle aurait trois ans, il la prendrait et il la ramènerait chez lui parce que c’est comme cela qu’on fait chez lui», se souvient la jeune femme qui a refait sa vie après la naissance de sa fille. «J’ai eu peur quand il est réapparu et qu’il a demandé un droit de visite.» Aslanbek lui aurait dit qu’elle ne reverrait jamais sa fille. «Aujourd’hui, ma fille ne veut plus revenir au Luxembourg. Elle m’a encore écrit hier que je pouvais dire aux juges qu’elle était bien dans la famille de son père», témoigne Nadia. «Tant que son père sera en prison, elle ne reviendra pas. Peut-être que s’il s’installe en Belgique, cela changera quelque chose.» Sauf que «Monsieur risque de se retrouver en infraction continue s’il ne ramène pas l’enfant», explique le président de la chambre correctionnelle. «Le parquet sera libre d’intenter une nouvelle procédure.»

Nadia s’est constituée partie civile pour elle-même, sa fille ainsi que pour la demi-sœur et les deux demi-frères de cette dernière. Elle demande notamment 5 euros par jour depuis la date de l’enlèvement, soit plus de 43 000 euros en tout pour les quatre enfants.

«Une solution de détresse»

À la barre, le prévenu continue sur sa lancée. Il a voulu sauver sa fille, qu’il n’avait pas reconnue, de la maltraitance. «Vous auriez dû aller déposer une plainte à la police au lieu de vous barrer à Moscou avec votre fille», constate le président. «Vous avez mis les faits avant le droit. Si l’enfant était revenue, vous seriez déjà libéré de détention préventive.» «Tout ce que je fais, c’est pour protéger ma fille», explique le prévenu qui accuse la justice et la police grand-ducale, l’enquêteur en particulier, d’être contre lui.

Pourtant, note le représentant du parquet, «tout le monde souffre de la grave erreur qu’il a commise en enlevant l’enfant. Acte incompréhensible étant donné que les choses étaient sur le bon chemin» grâce à «des décisions de justice favorables au prévenu». Depuis 2014, il n’aurait rien fait pour arranger les choses. Le magistrat a requis une peine de prison de 3 ans contre le prévenu. «Il s’agit d’une action planifiée à l’avance», précise le parquetier. «Il ne parle jamais du chagrin de la mère. Il y a peut-être des coutumes en Tchétchénie, mais leur mise en œuvre est contraire à notre droit pénal.» Un sursis n’est pas envisageable étant donné que le prévenu a été condamné en Belgique pour d’autres faits.

Une décision qui décision ne ramènera pas l’enfant

L’avocate du prévenu qualifie l’enlèvement de «solution de détresse» et de «seule solution». «Il pensait agir dans l’intérêt de sa fille face à des décisions de la justice luxembourgeoise qu’il jugeait trop lente par rapport aux violences que l’enfant subissait de la part de son beau-père», rappelle l’avocate qui estime que le prévenu «a pris la décision de revenir au Luxembourg faire face à ses responsabilités». Seul.

«Il va être condamné, mais cela ne résout rien», lance Me Condrotte, l’avocate de Nadia. Cette décision ne ramènera pas l’enfant aujourd’hui âgée de 13 ans.

Le prononcé est fixé au 24 novembre.

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