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[Interview du lundi] À Bonnevoie, au Dernier Sol : «Ici, c’est le quartier où on cache toute la misère»


Au Dernier Sol, "il y a des bagarres, du bruit. Il ne se passe pas une journée sans que la police ou l'ambulance ne vinne. C"est dommage de ne pas mieux répartir les personnes marginalisées", regrette-t-elle. (Photo: Alain Rischard)

Bienvenue à Bonnevoie, au Dernier Sol. Sûrement «le quartier le plus défavorisé de Luxembourg», avertit Isabelle Gérard, qui ne craint pourtant pas d’y accomplir sa mission d’assistante sociale pour Médecins du monde. Extrait.

Médecins du monde est installé à Bonnevoie, au Dernier Sol. Un quartier qui fait souvent peur. Est-il aussi infréquentable qu’on le dit?

Isabelle Gérard : D’une part, je ne crains pas du tout de m’y promener. J’aime travailler sur le terrain. Quand on est avec plein de gens, ce n’est jamais dangereux. À part, à la limite, être isolée avec une personne qui a des problèmes mentaux, je n’ai pas peur de grand-chose. Maintenant, c’est mon discours, moi, l’idéaliste de MdM qui est dans un des quartiers les plus défavorisés de Luxembourg, sinon le plus défavorisé. Par contre, je comprends que les habitants du Dernier Sol ne soient pas contents quand une nouvelle association s’installe ici. Je trouve dommage de mettre toutes ces associations sociales dans le même quartier.

Pour quelles raisons? Pratiques? Idéologiques?

Pour les deux, je crois. On aime cacher. On cache les toxicomanes à l’Abrigado; ici, c’est le quartier où on cache toute la misère. Du coup, je comprends les habitants qui se sentent en insécurité.

Une ghettoïsation?

Je ne voulais pas employer ce terme, mais oui, on concentre la misère, ce qui la renforce. C’est comme les HLM en France. Je parle régulièrement avec les habitants des quartiers. Une dame me disait encore, l’autre jour, que « lorsqu’il n’y avait que le foyer Ulysse, on vivait bien ici avec nos marginaux. On n’avait pas peur d’eux. Mais aujourd’hui, il y en a trop ». Donc forcément, il y a des bagarres, du bruit. Il ne se passe pas une journée sans que la police ou l’ambulance ne vienne. C’est dommage de ne pas mieux répartir les personnes marginalisées, car qui vont-elles rencontrer, sinon d’autres personne marginalisées?

Un discours peu relayé…

Je crois que ce discours remonte en haut lieu. Il y a des comités de quartier qui en parlent. Pourquoi n’est-il pas entendu? Je ne le sais pas. Honnêtement, pour nous, cette concentration est bien pratique, on n’a pas à courir partout dans la Ville. Mais on n’approuve pas pour autant.

(Photo: Alain Rischard)

« On concentre la misère, ce qui la renforce. C’est comme les HLM en France » (Photo: Alain Rischard)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vous avez travaillé en Belgique dans des milieux difficiles comme la prison avant d’arriver au Luxembourg. Est-ce que vous vous attendiez à travailler dans ces conditions?

Non. Car quand j’enseignais à mes élèves en Belgique, notamment sur la législation sociale, je disais toujours : c’est le Grand-Duché qui a le meilleur système de sécurité sociale au monde. Parce que c’était l’impression que j’en avais. Mais dans la réalité, je me suis trompée.

Le Luxembourg est pourtant d’ordinaire très généreux en matière sociale!

Oui, mais avec la santé, pas pour tous. Parce que sans adresse, vous ne pouvez pas prétendre aux mêmes aides que les autres. En Belgique par exemple, le rôle de MdM est d’aider les personnes à obtenir l’AMU (NDLR : l’Aide médicale urgente, qui s’applique aux personnes sans autorisation de séjour, aux sans-papiers…) ou à les remettre en ordre avec la sécurité sociale. C’est d’ailleurs la mission qu’on m’avait confiée ici au Luxembourg. Mais finalement, je fais ça très peu, car la loi luxembourgeoise ne le permet pas. Donc MdM travaille beaucoup plus en première ligne au Luxembourg qu’en Belgique ou en France.

En première ligne?

C’est-à-dire en fournissant gratuitement les soins que les plus démunis ne peuvent obtenir autrement. Ça surprend souvent les habitants du quartier. Pour eux, MdM, c’est une ONG qui va soigner à l’étranger. Ils n’imaginent pas qu’on soigne des gens ici (NDLR : 800 personnes en 2017, selon MdM).

Le Luxembourg est en effet un des derniers pays européens à exiger que les patients avancent le paiement d’une consultation chez le médecin, si ce coût est inférieur à 90 euros…

Oui, or le prix des consultations est élevé au Luxembourg, plus de 40 euros par exemple chez un généraliste. La personne qui n’a pas ou peu de ressources, elle ne peut pas se le permettre.

Il existe pourtant des aides!

Oui, mais elles sont conditionnées à l’existence d’une adresse postale. Les sans domicile fixe ne peuvent pas en bénéficier.

Entretien avec Romain Van Dyck.

Interview à retrouver en intégralité dans la version papier de notre journal de ce lundi.

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