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[Gardiens de la nature] Le grand dilemme des landes à callune


Autour de Benjamin Pauly, les landes à callune et un secteur où la couche supérieure du sol vient d’être étrépée (raclée) pour la régénérer.

Très communes au Moyen Âge, on ne trouve plus aujourd’hui au Luxembourg que de très rares reliquats de landes à callune. Cet écosystème où poussent les bruyères se trouve donc sous haute protection.

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Au centre-ouest du pays, sur la commune de Kehlen, la lande à callune se trouve entre les champs cultivés et une forêt d’épicéa plantée dans le ravin abrupt qui plonge au fond de la vallée de l’Eisch. À chaque extrémité débutent aussi de denses hêtraies.

Au premier regard, les callunes n’ont pas grand-chose d’extraordinaire. Ces bruyères couvrent le sol sans jamais dépasser une quarantaine de centimètres de haut. Mais il s’agit d’un des paysages les plus rares du pays. La lande du Telpeschholz est la plus grande et la mieux conservée du Grand-Duché, mais elle ne couvre que 1,5 hectare, une broutille.

Sur la carte de Ferraris, dessinée dans les années 1770-1780, on constate que ce type de paysage était pourtant très commun autrefois. Les landes recouvraient 32 500 ha dans le pays, et c’est logique, comme l’explique Benjamin Pauly, animateur du Comité de pilotage de la zone Natura 2000 Mamer/Aïschdall/Gréngewald.

Les paysans y amenaient leurs quelques bêtes en pâture tous les jours

«Les landes à callune sont des habitats d’origine humaine, créés grâce à l’exploitation agricole sur des sols sablonneux pauvres en nutriments, explique-t-il. Les paysans y amenaient leurs quelques bêtes en pâture tous les jours, avant de les ramener le soir à la ferme. Elles broutaient les herbes et les jeunes pousses, mais laissaient les callunes qui pouvaient se développer idéalement.»

Ce va-et-vient des animaux sur ces pâtures maigres, mais suffisants pour un élevage extensif durait en moyenne une quarantaine d’années, avant que les callunes vieillissent, se lignifient (leur tronc se transformant en bois dur et sec) et finissent par mourir. «À ce moment-là, les paysans les brûlaient, selon la technique de l’essartage par le feu, relève Benjamin Pauly. Les cendres fertilisaient le sol qui pouvait être mis en culture pendant deux ou trois ans avant de s’épuiser à nouveau.» Le cycle du pâturage reprenait alors pour quelques décennies.

Les objectifs initiaux redéfinis

Aujourd’hui, les pratiques agricoles ne permettent plus l’entretien de ces écosystèmes. Pourtant, ce sont des milieux riches d’une grande biodiversité. «On ne trouve plus beaucoup de ces milieux semi-ouverts, les transitions entre les cultures et la forêt sont souvent très nettes, avance Benjamin Pauly. Là, autour des callunes, il y a des bosquets, de vieux arbres… beaucoup d’espèces en profitent.»

Les chauves-souris, par exemple, y vivent nombreuses. Celles qui se sont spécialisées dans la chasse en forêt y trouvent leur compte, tout comme celles qui préfèrent évoluer dans les milieux plus ouverts. Elles se régalent des nombreux insectes qui vivent dans les landes : abeilles sauvages, sauterelles, papillons…

La valeur écologique des dernières landes du Luxembourg est indiscutable, mais comment les maintenir en état? C’est une grande question. «Dans le plan de gestion initial de cette zone Natura 2000, nous avions prévu d’étendre les landes à callune avec un objectif de 25 ha pour 2051, mais nous avons complètement revu nos objectifs, reconnaît le biologiste. Désormais, plutôt que d’agrandir la superficie, nous voulons conserver dans un très bon état celles qui existent.»

Ce nouveau point de vue est justifié. D’une part, si les landes à callune sont rares au Luxembourg, elles le sont moins pas très loin, au nord de l’Allemagne par exemple. Et puis, pour en créer de nouvelles, il n’y a que deux solutions : «Soit on déboise, mais il n’en est pas question, les forêts sont trop importantes, particulièrement avec le réchauffement climatique puisqu’elles créent de l’air frais et garantissent un climat intraforestier.» La deuxième option serait de prendre du terrain sur les cultures, «mais les agriculteurs vivent de ces terres et nous n’allons pas les en priver». Entre les lignes, ce processus montre que ces zones naturelles ne sont pas des territoires sous cloche et que les spécialistes savent adapter leurs plans en fonction des réalités locales.

Les dernières landes à callune sont donc chouchoutées et placées sous haute surveillance. Leur entretien se déroule en deux phases. «Nous enlevons d’abord les vieilles plantes, nous débroussaillons, puis nous raclons la surface sur une dizaine de centimètres pour enlever la matière organique, ce qui permet aux espèces pionnières dont fait partie la callune de se développer. C’est ce que l’on appelle l’étrépage.» L’opération s’effectue généralement avec des machines, mais elle peut aussi se réaliser à la main dans les secteurs difficiles d’accès. Cet étrépage se réalise en mosaïques, au rythme de quelques secteurs chaque année. «Ensuite, lorsque la végétation a repris, nous faisons venir des troupeaux de brebis de 300 têtes pendant un ou deux jours pour qu’elles débroussaillent naturellement le secteur. »

Sans le savoir, ces moutons reproduisent ici une forme de Moyen Âge. Le passé, comme quoi, se conjugue parfois au futur.

LA QUESTION Les landes vont-elles résister encore longtemps ?

Souvenir de pratiques agricoles disparues, les landes à callune forment aujourd’hui comme un vestige archéologique d’un paysage pratiquement disparu. Leur espérance de vie se trouve donc dans les seules mains des équipes de l’administration de la Nature et des Forêts, des stations biologiques, des parcs naturels et des syndicats intercommunaux pour la protection de la nature. Benjamin Pauly explique que leur conservation est une priorité, qu’« elles sont un des bijoux naturels du pays». De ce côté-là, c’est certain : on ne les laissera pas tomber.

Le risque de les voir régresser, voire peut-être disparaître à terme, relèverait plutôt du réchauffement climatique. «Les callunes supportent très bien la sécheresse, moins les grosses chaleurs, a remarqué le biologiste. Les températures des étés 2018, 2019, 2020 et 2021 ont été très élevées et j’ai constaté qu’elles avaient beaucoup moins fleuri ces derniers temps… Elles ont souffert, tout comme la forêt qui se détériore vite avec l’évolution du climat.»

Carte d’identité

Nom : Benjamin Pauly
Âge : 30 ans
Poste : Animateur du Comité de pilotage Natura 2000 Mamer/Aïschdall/Gréngewald, employé par l’administration de la Nature et des Forêts (ANF).
Profil : Après un bachelor en biologie obtenu à l’université du Luxembourg et celle de Strasbourg, il a réalisé son master en écologie et biodiversité à l’université d’Innsbruck (Autriche) où il s’est spécialisé dans la limnologie, c’est-à-dire l’étude des eaux continentales. Son mémoire portait sur les effets du réchauffement climatique et particulièrement sur les répercussions de la fonte des glaciers dans les lacs de montagne.

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