Les forêts, comme tous les autres biotopes, n’ont pas échappé à la volonté de l’homme d’adapter la nature à ses besoins. Mais ponctuellement, aujourd’hui, des actions sont entreprises pour corriger les balafres du passé.
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Cela peut paraître contre-intuitif, mais certaines forêts ne sont pas si naturelles que cela. Exploitées depuis des millénaires pour leur bois et leur gibier, des chemins les parcourent depuis les temps anciens. La modification des espaces forestiers naturels est particulièrement forte dans les zones humides. Les zones humides rendant vite les terrains inexploitables, des travaux d’envergure ont été entrepris pour les assécher. C’est ce qu’il s’est passé dans l’Enneschte Bësch, la forêt située entre Bertrange et Leudelange, aux portes de la capitale.
Serge Bisenius, responsable du triage forestier de la zone Strassen/Bertrange, explique la situation dans laquelle se trouvait cette section, située à l’ouest du CR123, entre Helfent et Leudelange-Gare. «Une cunette (NDLR : un petit canal) a été creusée, on ne sait pas trop quand, pour conduire ce ruisseau qui n’a pas de nom le plus rapidement possible hors de la forêt. Ce fossé a été très efficace, il a complètement modifié le milieu naturel.»
La tranchée n’est pas le seul élément artificiel de l’endroit. Danièle Murat, responsable au niveau national de la conservation des forêts à l’administration de la Nature et des Forêts, fait remarquer : «Vous voyez ces arbres, ce sont des peupliers hybrides et ils ne sont pas en station, car ils ne correspondent pas à la végétation naturelle que l’on pourrait retrouver sur un tel site. Ils ont été plantés par l’homme, il y a longtemps, parce que leurs racines prélèvent beaucoup d’eau et assèchent le terrain. Leur présence est une falsification du milieu.»
Réduire le risque d’inondation en aval
Mais, finalement, pourquoi faudrait-il aujourd’hui effacer cet ancien aménagement de la forêt? D’une part, ce milieu anthropique, artificiel, ne convient ni à la faune ni à la flore naturelle qui devraient s’y épanouir. Alors qu’en dehors des forêts, les sols sont partout et de plus en plus artificialisés, il est important de recréer dès qu’on le peut les niches écologiques dégradées.
Et puis, des évènements récents et désormais récurrents nous montrent à quel point il est essentiel de prendre grand soin de nos cours d’eau, même lorsqu’ils ne sont signalés que d’un simple trait fin sur les cartes topographiques. «Il y a deux ans, il y a eu d’importantes inondations à Helfenterbruck (NDLR : à la jonction de Bertrange et Luxembourg). Donc ce petit ruisseau-là, qui rejoint le Merelerbach et se jette ensuite dans la Pétrusse, justement à Helfenterbuck, était un des responsables de la crue», souligne Serge Bisenius.
Le site est désormais en libre évolution […], le ruisseau fera comme il veut!
Pour limiter au maximum un épisode similaire, la décision a été prise d’agir ici. «Notre but est de laisser l’eau le plus longtemps possible dans la forêt et pour ça, il faut ralentir son cours, relève Danièle Murat. Ce petit bout de forêt peut sembler insignifiant, mais la multiplication de ces actions locales produit des effets réellement positifs sur la capacité de rétention des sols forestiers.»
En août dernier, alors que la sécheresse estivale permettait de passer avec les machines, le plan mis en place deux ans auparavant a pu être réalisé. «Nous avons remodelé le terrain en effaçant la cunette et en créant des méandres, des flaques, des mares…, précise le préposé forestier. Les souches des peupliers qui ont été coupés sont restées dans le sol. Elles se décomposeront avec le temps et, en attendant, elles vont ralentir le flux de l’eau.»
Mais, contrairement à ce qui avait été réalisé auparavant, ces aménagements n’ont pas de caractère autoritaire. «Le site est désormais en libre évolution, soutient Danièle Murat. Si le ruisseau décide de ne pas emprunter les méandres que nous lui avons proposés et en creuse d’autres, il fera comme il veut! Nous laissons la place aux systèmes dynamiques naturels.»
La QuestionPourquoi renaturer cet endroit-là plutôt qu’un autre?
Délivrer les entraves qui contraignent la nature est un acte nécessaire, mais, après tout, il existe beaucoup de lieux où la renaturation de forêts alluviales pourrait être envisagée. Alors, pourquoi ce secteur-ci a eu la chance de devenir prioritaire?
«Un plan d’action définit au niveau national les sites de renaturation possibles, précise Danièle Murat, responsable nationale de la conservation des forêts à l’administration de la Nature et des Forêts. Tous les cours d’eau sont cartographiés et leurs rives sont étudiées 30 mètres à droite et 30 mètres à gauche. Nous notons si les peuplements sont en station ou pas (NDLR : si les arbres présents vivent dans leur environnement naturel ou s’ils ont été plantés par l’homme) et avec d’autres informations, nous calculons les potentialités d’une éventuelle renaturation.»
Bien sûr, les seules conclusions scientifiques ne suffisent pas. Comme partout, les actions entreprises dépendent des budgets alloués.
Le travail de la responsable sera maintenant d’observer le retour à la nature des lieux. Alors qu’elle sort des photos avant/après de travaux similaires réalisés sur d’autres sites, on est étonné de la rapidité avec laquelle la nature reprend ses aises. Dans cette forêt, «on observe déjà ici une strate herbacée qui n’existait pas avant et qui est tout à fait adaptée au milieu naturel restauré». Des canards pataugent déjà dans les mares. Les papillons et les libellules sont en train de revenir. Bientôt, Danièle Murat s’attend à voir des aulnes et des saules à la place des peupliers. Tout se fera naturellement, sans plantation.
«En tant que biologiste, ces observations sont passionnantes, sourit Danièle Murat. Lorsque l’on donne de bonnes conditions à la vie pour qu’elle se développe, elle vient toute seule.» Heureusement, dans le domaine forestier, les interventions de l’homme sont à considérer comme quantité négligeable par rapport à d’autres milieux naturels. Mais même ici, réparer prend un temps considérablement plus long que détruire.
Carte d’identité
Nom : Danièle Murat
Âge : 52 ans
Poste : Responsable nationale pour la conservation des forêts à l’administration de la Nature et des Forêts (ANF)
Profil : Danièle Murat a étudié la biologie et l’écologie en Autriche, à Innsbruck. Elle s’était alors spécialisée dans la limnologie, avant de se passionner pour les milieux forestiers à son retour au Luxembourg, où elle a été recrutée par l’administration de la Nature et des Forêts en 1999.