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Esch-sur-Alzette : l’art à ciel ouvert 


Vingt-trois sculptures XXL relient différents endroits clés dans la ville. (photos Lukas Roth, Cologne)

À Esch-sur-Alzette, 23 sculptures d’envergure dessinent un parcours «touristique» entre différents endroits clés de la ville, interrogeant le rôle de l’art dans l’espace public et les contraintes propres à ce décloisonnement. Visite guidée.

C’est assurément l’une des plus belles pièces de la réunion, mais malheureusement on n’y voit pas grand-chose ! L’œuvre de Tony Cragg (Points of View) peine en effet à exister au milieu de la fête foraine, place de l’Hôtel-de-ville à Esch-sur-Alzette, coincée entre deux manèges aux néons clinquants. Se frayant un chemin d’un pas déterminé, chassant les odeurs de sucre et les sonorités pop bon marché, le commissaire d’exposition Alex Reding, inquisiteur, vérifie que le plastique de protection, à sa base, est toujours en place.

Il en revient doublement rassuré : rien n’a bougé, et d’ici le vernissage prévu jeudi, la foire sera déjà loin. La sculpture à la surface miroitante pourra alors refléter l’honorable intention du projet «Nothing is Permanent» : amener l’art contemporain au cœur de la ville et devant le public.

Pour que les gens viennent vers l’art, il faut aussi que l’art vienne vers les gens !

Une évidence pour Alex Reding qui, il y a quinze ans déjà, exposait en plein air Claude Lévêque du côté du parc Heintz, dans la capitale. Idem avec la LuxArtWeek, agrémentée chaque édition d’une œuvre d’envergure installée dans l’espace public. «Pour que les gens viennent vers l’art, il faut aussi que l’art vienne vers les gens!», lâche-t-il dans un slogan rodé. En évitant, au passage, de les effrayer : «Ça ne sert à rien de faire dans le conceptuel ou le sophistiqué. Car il faut que le grand public comprenne, que le message soit le plus pur et le plus direct possible !»

Une invitation qui prend ici la forme de 23 sculptures XXL reliant différents endroits clés dans la ville (musée de la Résistance, Ariston, Konschthal, parc Laval…). Avec tout ce qu’il faut pour rendre ce parcours plaisant et pédagogique : QR code, signalétique et carte géolocalisée.

Camion plié, totem et prestidigitateur

En attendant la mise à disposition de trottinettes électriques («c’est en cours d’étude», dit-il), c’est au pas de course qu’il faut suivre Alex Reding, pour une balade estimée entre «une et deux heures». Esquivant des enfants rieurs et leurs familles traînant les pieds de stand en stand, il s’arrête pour expliquer la démarche, portée par la commune et l’estampille «Esch 2022» : «L’intérêt est multiple : il s’agit d’abord d’avoir un évènement de qualité, de prestige au centre d’Esch. Ensuite, de mettre en valeur les institutions et les endroits symboliques de la ville. Enfin, d’amener la culture sous le nez des gens. Un camion plié, comme celui d’Erwin Wurm, en pleine rue de l’Alzette, tout le monde en parle !»

D’autres exemples témoignent de cette volonté de se mettre à la hauteur du public, à travers des œuvres «qui touchent» par leur esthétisme, leur ironie ou leur engagement politique : notamment celle du Belge Wim Delvoye, «l’un des artistes les plus renommés au monde» (Pluto & Proserpina, rue Helen-Buchholtz), de Guillaume Bijl (Le Magicien, place des Sacrifiés) et le triptyque de Wang Du (Les Modes, rue de l’Hôpital). Sans omettre les trois «coups de cœur» avoués d’Alex Reding : Katinka Bock, artiste déjà passée par le Mudam (Zzeiger, ancienne rue des Artisans), Bernar Venet (11 Acute Unequal Angles, près de la station Total), ainsi que le totem de Stefan Rinck (Rabbiator, domaine du Schlassgoart), élève de Stephan Balkenhol – lui aussi présent sur le parcours.

La nouvelle ère d’Esch-sur-Alzette

«Toutes ont un message fort à faire passer», clame encore le commissaire. Cepedant, une, plus que les autres, explique mieux l’idée derrière le titre de l’exposition, «Nothing is Permanent» (emprunté à une œuvre de Michel Majerus, dont une peinture sera exposée à la Konschthal) : Heimatlos de Barthélémy Toguo, posée juste devant le palais de justice. Soit un énorme tampon qui ressemble à un buste d’homme, sur lequel est gravé le terme «apatride», qui résonne bien avec «la crise migratoire» et parle, en creux, de la «grande histoire» qu’a le pays tout entier avec l’immigration. Toujours en cours d’ailleurs. «Le Luxembourg est une terre ouverte. Les choses changent en permanence!»

Esch-sur-Alzette en est une riche illustration pour Alex Reding : «Elle est entrée dans une nouvelle ère, et ça ne va pas s’arrêter ! Il y a des projets immobiliers qui tablent sur 20 000 habitants de plus ces dix prochaines années. Ça va être une nouvelle ville ! Selon moi, Esch 2022 est un signe, un symbole de ce potentiel et de cette croissance.» «Nothing is Permanent», appellation qui n’a donc rien de «négatif», appuie habillement sur cette notion de mutation permanente. Par contre, dans les faits, exposer l’art dans l’espace public ramène à certaines constantes, notamment une qui préoccupe Alex Reding : les dégradations. Une «crainte» qu’il avoue avoir «mal estimé».

Intempéries et vandalisme

Accroché à son téléphone, le commissaire panse alors les plaies et cherche des solutions, conscient toutefois des limites qu’imposent une telle exhibition : «On peut difficilement refaire les œuvres, ni les contrôler, ni nettoyer encore et encore. Sur six mois, c’est injouable !» Pourtant, les faits sont là : Playground, de Tina Gillen, a dû quitter le parc Laval pour un séjour en atelier, «pliée» par des jeunes qui sont montés de dessus. «Dès que l’on a une sculpture un peu à l’écart, ça craint !» Idem pour celle de Claudia Passeri (Sunset Finale), à peine installée sur un plan d’eau dans le parc du Schlassgoart et pourtant déjà défraîchie après un gros orage. «Ça ne fonctionne plus du tout !», s’énerve-t-il juste à côté de l’artiste, venue constater les dégâts, dont une fissure qu’il va falloir réparer.

Alex Reding n’est, en tout cas, pas au bout de ses peines : «Les intempéries sont aujourd’hui plus violentes, et les actes de vandalisme, même involontaires, fréquents. Je me retrouve face à des problèmes que je n’avais pas envisagés.» Il évoque notamment des créations moins robustes – «la grosse sculpture en bronze, classique, en bronze ou en acier qui fait plus d’une tonne, ça tient, c’est fait pour !». De quoi aussi s’interroger sur le niveau de professionnalisme des artistes du Luxembourg (qui représentent tout de même un tiers de l’exposition), dont les carrières ne sont pas aussi avancées que certains homologues internationaux, et dont les productions imposent alors des «contraintes» inattendues. Rappelons alors, à ce titre, cette heureuse évidence : oui, rien n’est permanent !

«Nothing is Permanent». Jusqu’au 11 novembre.

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