La salle la plus célèbre de la Grande Région nous ouvre ses portes à la rencontre de celles et ceux qui permettent l’expérience d’un concert.
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En ce soir de semaine, 1 500 personnes sont accueillies au sein du Club, la petite salle de la Rockhal, dans une ambiance incandescente. Les bras pointent vers le ciel, les pieds trépignent sur le sol brûlant, les hanches sont ensorcelées et les têtes marquent le tempo dans une mécanique frénétique.
Sur la scène du Club, l’artiste Jain et ses quatre musiciens nourrissent de leur terrible énergie un public insatiable. Les chansons déroulent, les lumières transforment l’espace en boîte des années 70, en hangar techno ou en cratère volcanique. Le son englobe chaque centimètre carré du lieu chauffé à blanc par l’artiste. Les sourires sur les visages du public de la Rockhal sont immenses, le voyage est total.
«La mise en spectacle pour célébrer des moments uniques est l’une de nos missions, nous faisons en sorte que ces instants de rencontre entre un artiste et le public soient les meilleurs», souligne Olivier Toth, directeur de la salle. Pour celles et ceux qui œuvrent chaque jour dans les coulisses, ce mardi soir, la mission est accomplie.
Une organisation millimétrée
Le jour même, vers 10 h, les deux semi-remorques qui accompagnent la tournée de Jain se garent au niveau du bâtiment barré de rouge à Belval. Moins de quatre heures plus tard, l’escalier en colimaçon chargé de paillettes argentées, qui constitue le centre de la scénographie de l’artiste, trône au milieu de la scène. La structure est entourée d’instruments qui n’attendent qu’à être joués.
À l’arrière, un rideau tout aussi étincelant finit d’installer l’univers de l’artiste. Tout ce montage réalisé par les équipes de tournée est accompagné par Johan, l’un des régisseurs de la Rockhal. «Une fois que la date de show a été définie, je suis la personne de contact principale de l’artiste et de ses équipes, le premier et dernier interlocuteur.»
Tout est organisé pour que les artistes et les équipes puissent profiter
Grâce à un document nommé «le rider» transmis par l’entourage de Jain, Johan connaît l’ensemble des exigences et besoins techniques et de sécurité pour l’accueil de la production et du public. Le régisseur a un large éventail de points à organiser et d’informations à communiquer aux équipes en amont du jour J.
«Les infrastructures de la Rockhal ainsi que son emplacement répondent à beaucoup de critères pour les artistes. L’aéroport est très proche, il y a des hôtels et de quoi se restaurer à proximité. Tout est organisé pour que les artistes et les équipes puissent profiter et travailler sereinement», détaille Johan.
Ce 12 décembre, l’installation d’une structure métallique de 450 kg et l’ajout de dix machines sur le devant de la scène se déroulent sans encombre. Et si la pose du lourd escalier suscite une préparation particulière pour l’équipe de production et pour les techniciens de la Rockhal, tout se passe comme sur des roulettes.
«Les équipements de la Rockhal nous permettent de répondre facilement et rapidement aux demandes des artistes. Aussi, le rendu d’un concert comme celui de Jain met en valeur notre salle et l’expérience proposée au public», expose le régisseur. Il est alors 14 h, l’artiste et ses musiciens sont en plein soundcheck et le concert débute dans un peu plus de six heures.
Quand les sons deviennent épices
C’est le moment où Freddy Museur, le technicien chargé du son, nous invite dans son univers. Sous sa casquette, une connaissance minutieuse des technologies et une capacité incroyable à suivre le chemin des fréquences dans des labyrinthes de câbles. Il nous explique l’itinéraire du son dans la salle.
«Dans un premier temps, nous vérifions que tout est bien branché. Depuis la scène, le signal qui part du groupe va prendre le chemin d’une stage box où il sera divisé. D’un côté, il va partir vers la console monitor, qui se trouve à droite de la scène, et de l’autre, en direction de la console principale qui est placée en face de la scène.»
La console monitor est dédiée à l’artiste. Elle lui permet d’avoir un retour via des petites oreillettes appelées «in ears». La console principale va, elle, contrôler le son qui part en direction du public depuis les haut-parleurs.
«Notre dispositif permet à toute la salle d’avoir le même rendu sonore, soit une couverture complète», détaille Freddy Museur. «Nous avons des enceintes à gauche et à droite, au niveau du sol, les subs et deux grandes courbes, appelées « PA« , au-dessus de la scène.»
On a plein d’ingrédients que l’on mixe en appuyant sur tel ou tel bouton
Depuis la console principale, le technicien se décrit comme une sorte de cuisinier du son. «On a plein d’ingrédients que l’on mixe en appuyant sur tel ou tel bouton. On peut faire ce qu’on veut. Par exemple, on peut ajouter du reverb et du delay, c’est un peu comme des épices qui vont relever le rendu.» Avec la digitalisation des machines, les réglages sont enregistrés sur la console par les techniciens. On retrouve sur l’écran les noms des précédents concerts qui ont animé la Rockhal avec, à chaque fois, les bons paramètres pour chaque chanson.
Pour le spectacle du jour, Jain se déplace avec ses propres techniciens. Freddy est un appui pour ses derniers. «Le Club est un outil très polyvalent et la Rockhal possède beaucoup de matériels, ce qui nous permet de nous adapter facilement. Ce soir, je suis là en cas de souci technique ou pour répondre aux demandes de l’équipe de Jain.»
Lorsque, pour un concert, le technicien est aux manettes, il commence, en amont, par écouter des lives de l’artiste sur YouTube pour «avoir un premier aperçu de ce que fait le groupe».
«Le jour du show, c’est une question de feeling et d’expérience suivant le genre, tout est toujours une question de dosage», complète-t-il. L’un des principaux challenges de son métier? «Cela peut être compliqué de gérer le son d’un concert sur lequel sont présents des instruments acoustiques et un DJ, par exemple. Il faudra gérer les fréquences pour qu’on entende tous les musiciens, sans que les sons partent dans les extrêmes.»
L’art de la lumière
Tom Wagner est le pendant de Freddy pour la lumière. Assis juste derrière le poste de son partenaire de jeu, il a la possibilité de manier, depuis ses écrans, les 62 machines présentes dans cette espace de la Rockhal. Un rôle à enjeux car «tu as vite fait de casser l’ambiance», avoue ce Luxembourgeois de 37 ans.
Il sera, lui aussi, en appui des techniciens de Jain ce soir. Et lui, aussi, a dû adapter la salle à la fiche technique envoyée par l’artiste. «Nous avons échangé un mois à l’avance et j’ai dû ajouter des lumières depuis notre stock. Ce soir, je serai le prolongement du technicien de Jain», explique-t-il.
De la même manière que son homologue du son, quand il est aux commandes, Tom se prépare en amont en échangeant avec l’artiste et en écoutant attentivement ses chansons. «Pour certains artistes, je vois directement avec eux ce qu’ils souhaitent, le soir même. Pour les grands groupes en tournée, soit ils savent ce qu’ils veulent, dans l’autre cas, je tâche de rendre le concert le plus agréable et chaleureux possible.»
Couleurs, mouvements, via une large palette de paramètres, Tom peut facilement, du bout de ses doigts, plonger la salle dans des ambiances particulièrement immersives.
Derrière ses trois écrans, sur lesquels il retrouve tous les spots de la salle ainsi que toutes les options, ses marges de manœuvre sont quasi infinies. «Je peux créer des tableaux suivant le style de l’artiste. Si la musique est calme, il y aura moins de mouvements, mais les positions des lumières vont donner un appui à l’artiste. À l’inverse, sur de l’electro, je peux mettre plus d’action», énonce-t-il.
La programmation, toute une stratégie
Avec environ 250 évènements par an, la Rockhal a un calendrier très chargé. Derrière cette organisation au cordeau se trouve Arnaud Velvelovich, l’un des programmateurs. L’homme, qui est presque depuis le début de l’aventure dans les murs de la salle, décrit son rôle comme le fait de «dérouler un agenda».
Il est en constante relation avec des artistes, des agents ou des maisons de disques pour choisir ce qu’il se passera bientôt dans la salle luxembourgeoise. «Pour une programmation constante et de haut niveau, il est nécessaire de produire une rotation attractive et dynamique», explique le Français de 41 ans.
Cela suggère de prendre en compte la mixité et la densité des populations qui forment un territoire à la croisée des frontières, de décrypter les chiffres issus du secteur ou encore de regarder ce qu’il se passe ailleurs. Tout cela en s’inscrivant dans les impératifs des tournées des artistes.
Jain est le parfait exemple d’artistes que la Rockhal a vu grandir. Bien avant ce concert de décembre, la chanteuse et ses musiciens ont séduit le programmateur via quelques chansons postées sur SoundCloud. «Jain était signée dans la même équipe que celle de Stromae. On travaillait beaucoup avec eux, ils nous ont fait découvrir son esthétique et nous avons décidé de nous engager avec cet artiste.»
Dans ses points forts pour la salle, on retrouve : un passé international, des chansons interprétées dans différentes langues, de la pop chantée par une femme, une enfance en Afrique… «Elle avait les codes pour percer», résume le bookeur.
Après un essai dans la plus petite des trois salles de la Rockhal, le Floor qui accueille 250 personnes, Jain est programmée ensuite dans le Club, d’une capacité d’environ 1 500 personnes, où le scénario se répète.
Deux ans plus tard, elle joue à nouveau à guichets fermés dans la plus grande salle du lieu. «Elle est partie de zéro, a explosé son potentiel et a élargi son public», conclut Arnaud Velvelovich.
Aux premières loges
«Aujourd’hui, nous ne pouvons pas faire plus que ce que l’on fait en termes de maximisation des dates et de remplissage», expose le programmateur. «On observe des courbes de fréquentation très intéressantes depuis le covid. Ce n’est pas forcément une réponse à une frustration, mais je crois que les gens ont simplement envie de sortir.»
Nous, les techniciens, sommes les plus en contact avec les artistes
Parmi les personnes rencontrées dans les coulisses de la salle de concert, chacune est très investie dans l’expérience vécue aussi bien par le public que par l’artiste. Leur métier a changé leur point de vue sur la scène. Tous peuvent être amenés à côtoyer des gens qui les font rêver.
Certains étaient au son pour un show de B. B. King, d’autres ont pu observer le décor de M prendre place sur scène, et quelques-uns qui ne travaillaient pas lors du concert des Red Hot Chili Peppers sont venus pour pouvoir profiter du spectacle.
«Nous, les techniciens, sommes les plus en contact avec les artistes. Ce que j’aime à dire, c’est qu’on ne voyage pas beaucoup, mais que, eux, nous emmènent dans leur univers», philosophe Freddy Museur.
Olivier Toth, directeur de la Rockhal : «Animés par le fait d’être ambitieux»
Pouvez-vous nous raconter les débuts de la Rockhal?
Olivier Toth : La salle est née en 2005, il y a 18 ans. C’était un projet extrêmement ambitieux, j’avais une grande passion dans le potentiel de cet immeuble. C’était intense, car il y avait tout à construire. Nous avons bénéficié d’une grande confiance de la part des politiques et jusqu’à aujourd’hui, à aucun moment, la passion n’a cédé.
Entre hier et aujourd’hui, tout a beaucoup changé, les attentes du public et des artistes ont évolué. Mais nous avons réussi à mettre la barre de plus en plus haut. Lorsque je regarde dans le rétroviseur, ça reste des moments de plaisir.
À ce jour, la Rockhal est constituée d’une équipe de 42 personnes. Nous avons toujours été animés par le fait d’être ambitieux et de faire de notre mieux. Nous avons réussi à imprimer notre marque dans le monde du spectacle.
Comment la Rockhal est-elle devenue l’une des salles les plus attractives en Europe?
C’est une question difficile. Je dirais que d’une part, les gens nous ont fait confiance et d’autre part, que cela s’est produit grâce à notre ambition. La constance de notre énergie est la source de notre succès. Un succès généré par des personnes passionnées et engagées.
Nous sommes déterminés à laisser notre empreinte dans le secteur en faisant venir de grands noms et en créant de grands moments. Je ne peux pas vous dire comment nous avons réussi à faire venir Prince. Tout est une question de contexte qui fait qu’il nous a fait confiance.
Puis d’autres artistes se disent : « Pourquoi je ne le ferais pas aussi? Peut-être que je devrais le faire? » Notre ambition s’est peu à peu propagée et nous nourrissons de bonnes relations avec les gens du secteur.
Comment vous adaptez-vous aux évolutions de l’industrie musicale?
Cela a des répercussions de manière constante. La manière d’écouter de la musique est en permanente évolution. Nous misons sur notre expérience et nous restons attentifs aux attentes du public. Aussi, nous insistons sur le caractère unique de l’expérience du live. Une grande partie du public recherche ces moments uniques de rencontres.
Être nombreux dans une salle avec d’autres personnes qui aiment le même artiste. Ce sont des vrais instants de communion qui ont lieu dans nos murs. Si l’on essaie de les célébrer en étant attentif, on peut dessiner le futur de manière très active. On se pose des questions comme : « Quelles sont les tendances? », « À quoi va s’attendre le public? », « Comment allons-nous accompagner le public dans ce voyage avec l’artiste? »
Aussi, nous faisons évoluer nos infrastructures. En 2019, nous avons installé un bar à la pointe de la technologie pour une optimisation idéale de la qualité du service et des produits. Nous avons également ajouté un balcon dans la petite salle ainsi qu’un nouveau système de son et bientôt un nouvel éclairage.
Nous avons à cœur d’offrir la même expérience client pour les concerts de petite ou de grande envergure. Notre moteur est de toujours nous demander : « Que peut-on encore modifier pour améliorer l’expérience du public? ».