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Edgar Morin en état d’alerte


D’une écriture à l’épure éblouissante, l’auteur est toujours en état d’alerte sur les choses de la vie qui va. (Photo : afp)

Le 8 juillet, il fêtera son 102e anniversaire. Sociologue et philosophe parmi les plus importants de l’époque, Edgar Morin aura publié cette année deux nouveaux livres. L’un pour une réflexion sur la guerre, l’autre pour dire et écrire : «Tout m’étonne!»

On le dit passionné et engagé. On le présente franc-tireur. Le 8 juillet prochain, Edgar Morin fêtera son 102e anniversaire. Voilà deux ans, pour célébrer son siècle, il avait twitté : «Évitez d’être centenaire. Passez directement à 101 ans», et avec humour, il glissait : «J’étais tellement surpris de ne pas être mort à 90 ans que j’ai fini par m’habituer à vivre.» Pour l’occasion, il publiait un nouveau livre au titre joli et simple : Leçons d’un siècle de vie. En cette année 2023, Edgar Morin, né Edgar Nahoum en 1921 à Paris, fait plus fort encore en nous offrant deux nouveaux ouvrages : d’abord, De guerre en guerre. De 1914 à l’Ukraine, et ensuite, en cet été naissant, Encore un moment…

Lors du récent festival du Livre de Paris, le philosophe-sociologue était l’invité d’une conférence, lui qui vit l’essentiel de l’année à Montpellier et qui s’offre quelques séjours dans la capitale française et à Marrakech. L’un des questionneurs lui demandait alors : «Vous publiez à un rythme de jeune homme…», et Morin de lui répondre : «Que voulez-vous, je suis un graphomane!» Un autre sociologue de l’époque, Jean Viard, ne tarit pas d’éloges quand on évoque Edgar Morin : «Il a inventé une sociologie qui refuse les grilles idéologiques. Il annonce un changement de civilisation. Il tisse les disciplines entre elles dans une époque où la construction de la pensée est à la séparation.»

«Éviter la tragédie d’une nouvelle guerre mondiale»

Ainsi, lui qui confie que le principal trait de son caractère est sa complexité, saisit toute occasion pour partager ses réflexions. À preuve, De guerre en guerre. De 1914 à l’Ukraine. En une centaine de pages, «j’ai écrit ce texte pour que ces leçons de quatre-vingts années d’histoire puissent nous servir à affronter le présent en toute lucidité, comprendre l’urgence de travailler à la paix, et éviter la pire tragédie d’une nouvelle guerre mondiale». Au fil des pages d’un texte qui fait écho à son premier livre, L’an zéro de l’Allemagne, qu’il écrivit en 1946, il propose une réflexion sur les guerres (pas seulement celle que subit l’Ukraine depuis février 2022) et les crimes inhérents.

J’étais tellement surpris de ne pas être mort à 90 ans que j’ai fini par m’habituer à vivre

Il évoque, en chapitres courts, les mensonges en temps de conflit, la criminalisation du peuple ennemi, l’espionnite, la radicalisation des conflits, la dialectique des relations États-Unis – Russie… Et de conclure : «Plus la guerre s’aggrave, plus la paix est difficile, plus elle est urgente. Évitons une guerre mondiale. Elle serait pire que la précédente.» Dans la foulée de la parution, sociologue de formation et féru de philosophie, d’histoire, de sciences de la communication et politique ou encore d’écologie, il s’est retrouvé confronté à de violentes critiques qui le soupçonnaient de complaisance à l’égard de la Russie et de Vladimir Poutine.

«Je suis fondamentalement pacifique et très inquiet»

Lors de la rencontre au festival du Livre de Paris, il s’est expliqué : «Tout en condamnant de la manière la plus absolue l’invasion de Poutine, bien entendu, j’essaie de la contextualiser. De dire qu’il faut résister aux fausses informations, des deux côtés, étudier tous les aspects d’un problème, d’une situation historique… Je suis fondamentalement pacifique, et très inquiet. À travers cette guerre, ce sont les grandes puissances impérialistes ennemies qui sont à la manœuvre, les États-Unis contre la Russie. Avec la Chine en embuscade. Cette guerre peut déborder des frontières ukrainiennes. Il faut tout faire pour empêcher que ce conflit dégénère en guerre mondiale.»

Et puis, à la veille de son 102e anniversaire, Edgar Morin revient également avec Encore un moment… Un peu plus de 200 pages pour un recueil de textes «personnels, politiques, sociologiques, philosophiques et littéraires». Tenu pour un des penseurs majeurs de la seconde moitié du XXe siècle et des premières années de ce XXIe siècle, il présente son nouveau livre : «C’est un recueil de textes très différents les uns des autres. Quelques-uns récents, des méditations de mon âge devant la vie, d’autres plus anciens, sur la mission de l’intellectuel, la question de la médecine, les villes, les campagnes… Tout m’étonne!»

Et de préciser : «J’ai essayé d’éclairer quelques zones d’ombre de l’histoire passée et récente, d’explorer plusieurs grands problèmes culturels et politiques de notre temps, sans oublier le thème majeur, permanent et capital : qu’est-ce que la conscience?» D’une écriture à l’épure éblouissante, l’auteur est toujours en état d’alerte sur les choses de la vie qui va : il peut aussi bien faire l’éloge du lit que rendre hommage aux femmes de Téhéran, réfléchir à la mission de l’intellectuel que s’émerveiller de l’élégance de l’hirondelle, raconter les objets de la pensée que questionner la complexité du réel. En penseur de l’ère planétaire, lui qui se définit comme un «opti-pessimiste», Edgar Morin demande encore un moment… Impensable de le lui refuser!

De guerre en guerre. De 1914 à l’Ukraine. Éditions de l’Aube.

Encore un moment…  Denoël.

Les 5 livres indispensables

Écrivain prolifique, le sociologue et philosophe Edgar Morin a écrit une quarantaine d’ouvrages, largement traduits dans le monde latin et les pays anglo-saxons. Parmi tous, cinq sont de grands titres. Donc, indispensables.

Autocritique (1951)

Celui qui a adhéré au Parti communiste français en 1941 à 20 ans, en pleine Seconde Guerre mondiale, s’en éloigne à partir de 1949. Il en est exclu deux ans plus tard pour avoir écrit dans le journal France-Observateur, dénoncé comme pro-américain par le PCF. «Ce fut comme un chagrin d’enfant, énorme et très court», dit-il. Il rédige alors cet essai où il dénonce la force de l’endoctrinement et enjoint à l’autocritique politique permanente.

La Rumeur d’Orléans (1969)

Avec une équipe de chercheurs, Morin se livre à une exploration sociologique de la propagation de la rumeur à travers celle, abracadabrante, qui a fait s’emballer Orléans en mai 1969 : des jeunes filles utilisant les cabines d’essayage de commerçants juifs auraient été droguées, enlevées via les souterrains de la ville et prostituées dans le cadre d’une supposée traite des Blanches.

Le Paradigme perdu : la nature humaine (1973)

Cet essai naît de ses réflexions pluridisciplinaires sur les liens entre biologie et anthropologie. Morin propose de sortir du débat nature/culture. À ses yeux, il est nécessaire d’inscrire l’Homme et la société dans l’ordre du vivant sans céder au réductionnisme biologique.

La Méthode (1977-2004)

C’est l’œuvre majeure d’Edgar Morin, qui l’a qualifiée d’encyclopédique. Fondatrice de sa pensée, écrite sur 30 ans, déclinée en six volumes, elle dévoile sa théorie de la complexité et la nécessité d’une méthode reliant les connaissances dans un tout englobant.

Vidal et les siens (1989)

Edgar Morin, fils de juifs originaires de Salonique, se penche sur l’histoire de sa famille, en particulier celle de son père, Vidal Nahoum, son exil, son arrivée à Marseille au cours de la Première Guerre mondiale et sa naturalisation.

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