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Echternach : derniers jours pour sauver le Sura


En face de l’emplacement actuel de cette petite salle de 109 places a eu lieu la première projection cinématographique du Luxembourg, en 1896.

La campagne de financement participatif s’achève pour le Ciné Sura, qui doit remplacer son projecteur défectueux. Pour que l’histoire du cinéma continue de s’écrire à Echternach.

Depuis 32 ans qu’il est ouvert, le Ciné Sura est toujours resté fidèle au morceau d’histoire qu’il représente, niché dans le cœur historique d’Echternach. Son identité se reflète dans sa programmation, en équilibre entre les cinémas hollywoodien, d’art et essai et de patrimoine, les films à destination des jeunes publics… et des projets luxembourgeois fièrement indépendants.

La salle de 109 places est par exemple l’un des lieux favoris du collectif artistique et militant Richtung22, qui y a projeté «pratiquement tous ses films», fait valoir Thorben Grosser, vice-président de l’ASBL Ciné Sura qui exploite la salle. Cette grande diversité de programmation a été rendue possible après que tous les cinémas du pays se sont convertis à la projection numérique, il y a une douzaine d’années.

Pour les plus petites salles, comme le Sura, l’entretien du matériel peut devenir un fardeau : à Echternach, l’appareil de projection – le même depuis 2010 – a fait son temps, et doit maintenant être remplacé par un projecteur laser.

Son coût : 60 000 euros. C’est la somme que le Ciné Sura veut atteindre dans la cagnotte en ligne lancée début décembre et qui s’achève dimanche. À l’heure où ces lignes sont imprimées, quelque 48 000 euros ont été récoltés sur la plateforme StartNext, auprès de plus de 300 donateurs.

«Les premiers jours ont été les plus heureux», analyse aujourd’hui Thorben Grosser, qui observe «un ralentissement depuis Noël», mais aussi «une nouvelle vague» de dons dans cette dernière ligne droite. Le plus important, il ne le souligne jamais assez, c’est le «bouche à oreille».

La preuve : après le lancement de la campagne de financement participatif, la commune d’Echternach s’est sentie concernée et «a promis de nous soutenir», glisse Thorben Grosser, confiant. Mais pour l’heure, il reste environ 12 000 euros à trouver auprès des donateurs en ligne… et quatre petits jours.

«Notre ancien projecteur 35 mm, on l’a gardé une cinquantaine d’années», rembobine celui qui est arrivé au Ciné Sura il y a vingt ans, au moment où l’ASBL a changé de comité de direction. «C’était une belle machine : quand une pièce était défectueuse, on la remplaçait et on était tranquille pour une dizaine d’années. Ces projecteurs anciens, c’est simple, ils sont indestructibles. L’inconvénient du passage au numérique, c’est que, quand ça casse, il faut remplacer tout l’appareil.»

Une obligation qui s’accompagne de mauvaises surprises : à la suite du premier devis de 60 000 euros pour un projecteur laser flambant neuf de la marque belge Barco, «le fournisseur nous a fait part de coûts supplémentaires en termes d’installation et a prévenu qu’il faudrait changer l’écran afin d’avoir la bonne qualité de projection», pour un coût total qui avoisine les 90 000 euros.

Subventions obligatoires

En même temps qu’il a l’idée de faire une cagnotte en ligne pour sauver le cinéma – car «sans projecteur, pas de cinéma», rappelle-t-il –, Thorben Grosser est allé chercher de l’aide auprès du ministère de la Culture. Sans succès : «La réponse du ministère a été de nous renvoyer vers le réseau Cinextdoor», dont le Ciné Sura est membre, «car c’est à lui que sont adressés les subsides de l’État. Mais Cinextdoor n’a pas beaucoup d’argent, car tous ses cinémas ont le même problème : ils sont gérés par des bénévoles et n’ont, pour la plupart, qu’une seule salle, toute petite. Et nous sommes évidemment déjà assurés du soutien du réseau, même s’il n’est pas financier.»

Après une pandémie qui «a coûté au Ciné Sura tout l’argent qu’on avait épargné» et les inondations, à l’été 2021, qui ont atteint la rue de la Montagne et fait de gros dégâts dans la salle, ces cinq petits pixels défectueux, premiers signes de l’obsolescence de l’appareil de projection actuel, sont la frustration de trop.

À tel point qu’«au détour d’une discussion, avant de lancer la campagne de crowdfunding, Michael Battenberg (NDLR : le président de l’ASBL Ciné Sura) m’a dit qu’il en avait franchement marre», confie Thorben Grosser, bénévole comme tout le personnel de la salle, à l’exception d’une seule employée rémunérée.

Le vice-président de l’ASBL ne remet pas en cause la redistribution des aides ni les différences de budget entre les salles du réseau Cinextdoor, comme le Ciné Starlight, à Dudelange, intégré au Centre national de l’audiovisuel (CNA), ou le Ciné Scala, auquel la commune de Diekirch peut apporter son aide, car elle a «davantage de fonds disponibles qu’Echternach» – après tout, eux aussi devront tôt ou tard remplacer leur projecteur.

Ce que Thorben Grosser regrette, c’est que «le fonctionnement d’une petite salle comme la nôtre, qui fait ses recettes sur les revenus du ticket d’entrée, du pop-corn et du Coca, est impossible sans subventions». Coup dur pour le cinéma dit «indépendant»…

Dans l’ADN d’Echternach

Ce qui met du baume au cœur à Thorben Grosser, Michael Battenberg et toute l’équipe du Sura, c’est «la résilience des personnes qui participent à faire vivre le cinéma depuis si longtemps. Malgré les épreuves que l’on a traversées depuis vingt ans, il n’a jamais été question d’arrêter.»

«L’autre chose qui me remonte le moral, ajoute-t-il, c’est la façon dont cette collecte nous montre l’amour des habitants d’Echternach pour leur cinéma.» Une partie du paysage cinématographique du Luxembourg a apporté son aide via la cagnotte en ligne : producteurs, comédiens, cinéastes, exploitants… Mais l’histoire du cinéma au Grand-Duché est profondément liée à Echternach, et même à la rue de la Montagne, puisque c’est là qu’eut lieu la toute première projection cinématographique de l’histoire du pays, en 1896.

Qu’on le veuille ou non, le Sura est dans l’ADN des habitants d’Echternach. Thorben Grosser en a vu les effets depuis le lancement de la campagne de financement participatif : «Des gens du coin sont apparus et nous ont aidés», comme cette coiffeuse d’un village voisin qui «a mis de côté tous ses pourboires du mois de décembre, puis nous en a fait don», ou encore cet habitant d’Echternach «qui a pris sur lui d’appeler toutes les communes alentour et d’organiser l’achat de 4 000 tickets de cinéma à destination des enfants scolarisés dans le canton d’Echternach».

Des histoires qui ont profondément ému le vice-président, qui conclut par ce constat : «Cette campagne nous a fait réaliser que le Ciné Sura n’appartient pas à l’ASBL Ciné Sura. Nous sommes les exploitants, oui, mais le cinéma est aux Epternaciennes et Epternaciens.»

www.startnext.com/cinesura

Le Ciné Sura en dates

18 octobre 1896 Jacques Marie Bellwald organise la première projection cinématographique au Luxembourg, à Echternach, où le photographe a son atelier. Parmi les films montrés, L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat des frères Lumière. La projection a lieu à l’Hôtel du Cerf, rue de la Montagne, en face du futur Ciné Sura.

1919 Le cinéma Seffer est inauguré au 18-20, rue de la Montagne, à Echternach.

1940 L’occupant nazi impose au cinéma Seffer de prendre le nom de Ton-Lightspiel-Theater Germania Echternach, qu’il gardera jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

1949 Deux exploitants fondent la société Ciné Sura et reprennent le cinéma. Bientôt, le Plaza, une autre salle, ouvrira à quelques rues de là, à l’emplacement de l’actuel Cactus.

1962 Après douze ans de rivalité avec le Plaza, le Sura ferme ses portes – «temporairement», est-il précisé.

1969-1972 Le Sura est racheté puis rouvert au public. Après trois ans de fonctionnement, la salle ferme définitivement.

1987-1990 Un groupe de cinéphiles d’Echternach milite pour la réouverture de la salle emblématique. Dans la foulée, des travaux de restauration sont entrepris.

1990 Fondation de l’ASBL Ciné Sura, présidée par Michel Kneip.

21 novembre 1991 Réouverture du Ciné Sura.

2005 Un nouveau comité reprend le flambeau de l’ASBL, présidé par l’exploitant allemand Michael Dohrmann.

2010 Tous les cinémas du Luxembourg se convertissent au numérique. La transition se fait en douceur, en particulier dans les plus petites salles comme le Ciné Sura, où la projection numérique ne sera pleinement effective qu’en 2012.

2015 Michael Battenberg devient le président de l’ASBL Ciné Sura.

2021 Le réseau CDAC, dont fait partie le Ciné Sura avec sept autres salles indépendantes du pays, devient Cinextdoor.

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