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[Critique série] «Elvira», une vague de fraîcheur sur le polar nordique


Elvira propose une peinture sociale qui tranche avec la froideur habituelle du polar nordique. (Photo ZDFNeo)

Adaptée du premier roman d’une trilogie signée Anne-Sophie Lunding-Sørensen, Elvira bouscule le polar grâce à ses thèmes et à la tension qu’elle installe tout au long de ses huit épisodes.

Du crime au Danemark, on connaît surtout The Killing et Bron, les séries étalons du «Nordic noir» (la vague de polars venue du froid au milieu des années 2000), ainsi que la plongée ultraviolente dans les bas-fonds de Copenhague par le cinéaste Nicolas Winding Refn. Elvira n’appartient à aucune des deux catégories : concrète sans être pour autant naturaliste, et sûrement pas portée sur l’hémoglobine, elle apparaît comme un objet à part dans l’univers du polar scandinave. Adaptée du premier roman d’une trilogie signée Anne-Sophie Lunding-Sørensen, la série amène une fraîcheur inédite par les thèmes auxquels elle touche, tout en se montrant exemplaire quand il s’agit de faire monter la tension.

Cela commence comme bien d’autres mystères criminels : deux hommes débarquent dans un endroit reculé à bord d’un van pour y abandonner le corps de leur victime. Le lendemain, on apprend la disparition de Candy, une prostituée. On fait facilement le lien, mais rien n’est aussi simple : avec elle, ce sont aussi 50 000 couronnes qui se sont volatilisées. Ce qui met dans l’embarras Elvira (Sara Klein Larsen), réceptionniste de la «Clinique» – le bordel miteux où travaille Candy –, et le gérant du lieu, Køster (Peter Plaugborg), ami d’enfance d’Elvira et flic ripou. Pendant que ce dernier trouve un moyen de régler sa dette auprès des mafieux suédois qui font office de nouveaux patrons du bordel, Elvira, portée par l’intime conviction que Candy est vivante mais en danger, se lance à sa recherche.

Un personnage à l’opposé des codes du genre

Là où la veine classique du polar aurait volontiers suivi le chemin du policier endetté et corrompu pris au piège d’une affaire aux nombreuses couches, c’est bel et bien Elvira qui mène l’enquête. À l’extrême opposé de l’image rêvée de la mère maquerelle, la trentenaire est une femme introvertie et en surpoids, locataire dans un HLM, qui se déplace en bus et qui, des écouteurs vissés dans les oreilles, quitte rarement sa surchemise à carreaux et sa doudoune violette. Sa vie sociale est quasiment inexistante et, après avoir passé ses nuits à prendre les appels de clients, elle s’occupe, le jour, de son frère addict, Sixten (Anton Hjejle), qu’elle espère pouvoir envoyer en centre de désintoxication une fois qu’elle aura réuni la somme nécessaire.

Si la série prend pour décor les quartiers marginalisés de la capitale danoise, Elvira en est autant le produit que la lueur d’espoir. C’est son cœur, qu’elle a grand, qui la pousse dans cette course contre la montre, sans qu’elle se sente obligée de justifier son manque d’expérience. On apprend à la connaître à travers son quotidien de femme sans ambition, trop occupée à se charger des tâches les moins charmantes que demande son métier (changer les draps, recharger le tiroir de préservatifs, choisir le film X qui tournera, la nuit, sur l’écran de la salle d’accueil…); d’épisode en épisode, elle se transforme sous nos yeux, ses envies d’enquêtrice du dimanche améliorant sa confiance en elle, jusqu’à en faire une justicière à la détermination inébranlable.

D’épisode en épisode, Elvira se transforme de femme sans ambition à justicière déterminée

Parallèlement à l’enquête, Elvira fait ainsi une peinture sociale qui tranche avec la froideur habituelle du polar nordique. Dans le pays le plus heureux du monde, on garde les zonards bien à distance, dans des rues peu accueillantes où prolifèrent l’alcoolisme, la toxicomanie et la délinquance, mais le regard avisé et pourtant tendre de l’héroïne rend la vie – à commencer par la sienne – plus chaleureuse. À force de courage, elle rallie à ses recherches Sixten, Køster et Henry (Morten Brovn), un client habitué qui deviendra son confident privilégié – l’«empowerment» est le thème de prédilection de cette série, non seulement vis-à-vis de la femme mais aussi de ceux que la société a rendus invisibles –, mais c’est toute seule qu’elle se fraie un chemin à l’intérieur des limites du territoire bien gardé du trafic d’êtres humains.

La touche d’humour noir, venue assaisonner le subtil mélange des genres, est toujours bienvenue mais s’évanouit au fur et à mesure que monte la tension, souvent jusqu’à l’irrespirable, dans laquelle s’empêtre en premier Køster, mettant en danger ses amis. Et si le retournement final n’est pas à la hauteur du dangereux labyrinthe dans lequel évoluent les personnages, il permet au moins de donner acte, une dernière fois, de la cruauté dont les héros sont les victimes.

Elvira de Heidi Maria Faisst et Lærke Sanderhoff. Avec Sara Klein Larsen, Peter Plaugborg, Anton Hjejle… Genre polar. Durée 8 x 40 minutes

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