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[Concert] Mahmood, la «Morocco pop» de la Botte


L'artiste sera ce soir à sur la scène de la Rockhal. (photo DR)

Avec une mère italienne et un père égyptien, Mahmood incarne la pop transalpine dans ce qu’elle a de plus métissé. L’heureux (double) gagnant de Sanremo le prouvera hors de la péninsule, ce jeudi soir, à la Rockhal.

Sanremo fait office d’inépuisable tremplin pour la pop italienne. Le célèbre festival a en effet permis sa diffusion à l’international, surtout le versant fleur bleue, de Dio come ti amo par Domenico Modugno et Gigliola Cinquetti à Sarà perché ti amo signé Ricchi e Poveri. Pendant des décennies, les «ti amo» ont été chantés si fort qu’ils ont brisé les frontières. À côté de cela, la scène indé de la Botte jouit depuis peu d’un grand intérêt hors de la péninsule. Et ce via, entre autres, l’entremise du mastodonte Phoenix, qui a invité Calcultta ou Giorgio Poi lors de sa tournée 2017 intitulée… «Ti Amo».

Si les points de repères italiens ont longtemps été les «latin lovers» (Umberto Tozzi, Eros Ramazzotti, Laura Pausini…), deux poids lourds déchirent le cliché carte postale des «gelati» qui fondent sous les couchers de soleil en forme de ballon rond. Leurs noms? Maneskin et Mahmood. Les premiers rappellent que l’Italie fait du rock, alors que cela fait partie de son ADN depuis que la pop est pop, du «king» Adriano Celentano aux punk démentiels de Skiantos, en passant par les groupes grunge Afterhours ou Verdena. Mahmood, lui, vient du télécrochet X-Factor; c’est là qu’il s’y distingue en 2012 avec son cocktail pop-trap et R’n’B-rap, saupoudré de sonorités arabes. Surtout, Sanremo propulse l’artiste; en 2019, avec Soldi, le vingtenaire termine «numero uno».

La victoire est accompagnée d’un tweet, devenu célèbre, de Matteo Salvini : «La plus belle chanson italienne? J’aurais choisi Ultimo. Et vous, qu’en dites-vous ?». Traduction : plébiscitons un chanteur «plus italien» (par le nom et le teint) que le gagnant. Rétrospectivement, la réponse à Salvini serait celle-ci : non seulement Sanremo a choisi Mahmood en 2019, mais à nouveau en 2022 pour Brividi (en duo avec Blanco), un an après la victoire du Zitti e Buoni de Maneskin. Et si, contrairement aux rockeurs, Mahmood n’a pas décroché l’Eurovision, Soldi lui a tout de même valu de finir dauphin du vainqueur néerlandais, Duncan Lawrence, avant de s’octroyer une sixième place en 2022.

Le «mood» Mahmood

Né d’une mère italienne et d’un père égyptien, Alessandro Mahmoud grandit à Gratosoglio, une banlieue de Milan. S’il chante depuis tout petit, cela s’entend : sa fluidité vocale résulte d’un intensif entraînement autant que d’une évidente dextérité qu’il semble avoir acquise par le don. Son grain aiguisé, sur le fil de l’androgynie, et ses inflexions variables lui permettent de s’adapter à tous les styles – pop, rap, trap, rock, ballades, electro «club-friendly» (à l’image de son dernier tube, Tuta Gold).

À travers des «beats» à l’imprévisible architecture, jonchés de guitares ou de synthés, Mahmood échafaude des hits entêtants à coups de «lalalala» (Sabbie Mobili) ou de gimmicks qui roulent sur des dos d’âne («La notte la notte la notte», dans Klan). Et le tout déployé avec une ambition universelle, du «groove» à la sauce latino aux clins d’œil japonisants (Inuyasha, Bakugo). Sans oublier la fusion linguistique de Sempre/Jamais avec Angèle, où les timbres se confondent au point de ne faire plus qu’un.

Mais avec Mahmood, il est question, avant tout, de pop urbaine. Par-delà son chant nasal quand il escalade les mélodies, l’artiste possède une voix presque métallique, qui n’aurait pas besoin d’être maquillée par l’autotune. Logés dans la même gorge vibrent l’accouplement entre un robot et un humain, un timbre velouté et chaud digne des plus grands vocalistes de soul et la fragilité d’un crooner 2.0. Il serait, par analogie, le Frank Ocean des rappeurs italiens ou l’équivalent de feu Nate Dogg pour la West Coast, en somme l’homme qui, dans des morceaux âpres, apporte son grain de sucre. Un rappeur à voix autant qu’un chanteur à «flow». Et, bien plus que de l’«ego trip», Alessandro vise l’introspection; à l’ère de l’hégémonie des réseaux sociaux, autant raconter sa vie en rimes et en rythme. Et l’artiste de faire les selfies de son «mood», avec pudeur mais sans filtre, jusqu’à livrer une version rajeunie de tous les «ti amo» via T’amo.

Pendant longtemps, le mariage entre Italie et Égypte renvoyait à Dalida. Aujourd’hui, à Mahmood. Alors qu’il a choisi un nom de scène qui rappelle ses origines arabes et qu’il fait, selon ses termes, de la «Morocco pop», lui se dit «100 % italien». Il faut préciser que la pop transalpine est rarement représentée par des artistes d’origine arabe – peu de raï sur la Rai, même si des exceptions telles que Laïla Al Habash ou Ghali confirment qu’il n’y a pas de règle. Quant à Marracash, l’un des plus imposants rappeurs italiens (avec qui Mahmood a chanté), son pseudonyme est à l’origine du surnom qui lui a été attribué dans sa jeunesse : avec sa peau halée, le Sicilien ressemblait à un Marocain. Les origines de Mahmood traversent logiquement son répertoire, de Baci dalla Tunisia à la phrase «Tu mettais dans la voiture tes chansons arabes» (Gioventù bruciata). Enfin, Soldi reprend les mots que son père lui disait quand il était enfant, avant de prendre la poudre d’escampette : «Mon fils, mon amour, viens ici.…». À ce propos, depuis Sanremo et l’Eurovision, Soldi cumule près de 250 millions d’écoutes sur Spotify. Un record. Traduction : le titre italien le plus écouté en streaming contient des mots en arabe. N’en déplaise à Salvini.

De notre collaborateur Rosario Ligammari

Ce jeudi soir, à 20 h. Rockhal – Esch-sur-Alzette.

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