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[Communales] Citoyens racisés, handicapés : ces voix qui manquent en politique


Emanuel Kamura, candidat LSAP à Esch-sur-Alzette, veut dénouer les problèmes rencontrés par les réfugiés. (photo Fabrizio Pizzolante)

Ce dimanche, des candidats en situation de handicap ou issus des minorités se présenteront face aux électeurs, pour porter la voix de ceux qu’on n’entend pas à la commune et peser, enfin, dans les décisions.

Sur les bancs de la Chambre des députés comme dans les fauteuils des conseils communaux, difficile de retrouver toute la diversité qui compose la société luxembourgeoise. Pour faire bouger les lignes et ouvrir davantage le pouvoir décisionnel, des citoyens au parcours de vie atypique s’engagent pour enrichir les débats politiques et porter haut la voix de toute une communauté.

Ainsi, dimanche, marquera la troisième participation aux élections communales de Luciano Fratini, 59 ans. Même s’il avoue qu’il a beaucoup hésité avant de remettre ça : «J’ai été déçu dans le passé», explique le candidat CSV à Luxembourg. «Moi, je suis dans l’action et le temps politique est différent. Sur des questions aussi cruciales que celle du handicap, c’est parfois difficile à accepter», confie ce militant, privé de l’usage de ses jambes à la suite d’un accident de moto.

Luciano Fratini figure sur la liste CSV à Luxembourg-Ville, avec l’espoir d’accélérer enfin l’accessibilité physique. Photo : fabrizio pizzolante

«Au Luxembourg, on a 20 ans de retard en ce qui concerne l’accessibilité. Il n’y a aucune coordination entre les communes et l’État, tandis que les ministères se renvoient la balle», dénonce cet ancien cadre dans la finance, aujourd’hui aux commandes d’un magasin d’équipements pour personnes en fauteuil. «Trente-cinq ans que je porte ce combat sans qu’il aboutisse, mais on trouve encore le moyen de me dire que je suis trop pressé !»

Or, mieux vaut ne pas l’être. Car si l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur l’accessibilité le 1er juillet prochain l’a convaincu de rempiler, les obligations qu’elle impose aux lieux ouverts au public ne seront applicables qu’en… 2032. Et aucun organe de contrôle n’est prévu. «Sans élu handicapé, il ne passera rien. Les politiques disent qu’ils me comprennent, mais il faut s’être déjà pissé dessus pour comprendre que des toilettes accessibles, c’est essentiel», tranche-t-il, volontairement cynique.

En s’appuyant sur ce nouveau texte, il espère voir inclus, dès le départ, le volet de l’accessibilité dans les études et la planification de nouveaux projets. «J’ai aussi cette idée de lancer une cellule spéciale pour étudier les problématiques d’accessibilité et les résoudre rapidement», revendique-t-il.

Un pari compliqué selon lui, alors qu’il dit faire face à de la «mauvaise volonté politique» y compris au sein de son parti : «À chaque fois que j’ai exposé ma démarche, tout le monde était d’accord, mais personne n’a agi pour autant. J’ai même parfois senti que je gênais», rapporte-t-il.

«Et puis, j’entends des choses comme « On a déjà fait beaucoup pour vous« . Mais qui est « on« , quel est ce « beaucoup«  et qui est « vous » ?», interroge-t-il, à bout de patience.

«En tant que réfugié, j’ai vécu tout ça»

Arrivé au Luxembourg en 2014 avec le statut de réfugié, Emanuel Kamura, 34 ans, a connu les foyers pour bénéficiaires de protection internationale, tout en poursuivant ses études de droit. Aujourd’hui juriste, avec la nationalité luxembourgeoise, ce militant socialiste de longue date se présente face aux électeurs : «J’aime la politique et le fait de se battre pour ses convictions. Défendre et partager ses valeurs en portant la voix de ceux qu’on n’entend pas.»

L’immigration et le vivre-ensemble, voilà les thématiques sur lesquelles il veut travailler. «Il y a une totale méconnaissance des besoins des réfugiés. Je suis bien placé pour savoir comment améliorer leur situation, et je veux pouvoir y contribuer», explique le candidat LSAP à Esch-sur-Alzette.

Pour lui, il est important d’apporter quelque chose à son pays d’adoption, en mettant à profit sa propre expérience : «En tant que réfugié, j’ai vécu tout ça, je comprends toutes leurs difficultés», avance-t-il. «Personne ne peut parler à ma place, c’est pour ça que je veux faire partie de ceux qui décident.»

Ce qu’il a déjà fait, en plaidant la cause de jeunes réfugiés auprès du ministre des Affaires étrangères, Jean Asselborn, afin de modifier certains règlements. Comme l’interdiction pour les étrangers d’avoir un job étudiant en première année : «J’ai fait remonter ce problème et aujourd’hui, ils ont droit à 60 heures de travail par mois, comme les autres.» Il a aussi soutenu la prise en charge de leurs cotisations sociales à la CNS, désormais en vigueur.

Des petites victoires qui l’encouragent à porter d’autres idées pour faciliter la reconnaissance des diplômes ou encore l’entrée sur le marché du travail quand on a un titre de séjour limité. Mais surtout, sa parole compte : «Si je n’étais pas entendu au sein de mon parti, j’arrêterais. Les responsables politiques sont accessibles, on peut échanger avec eux et ils sont à l’écoute», souligne-t-il.

Et quand il lui arrive de subir des attaques racistes – comme cet homme qui lui a récemment intimé de «rester à sa place» – Emanuel Kamura refuse de jouer les victimes. Au contraire, il y puise encore plus de motivation : «Me mettre à l’écart reviendrait à leur donner raison. Ce n’est pas parce que je suis noir que je dois me taire.»

«Les alliés c’est bien, mais ça ne suffit pas»

À 35 ans, Susanna van Tonder, s’épanouit dans son travail de conseillère pour l’emploi des personnes handicapées à l’Adem, malgré une santé fragile, suspendue aux poussées de sa sclérose en plaques. Fraîchement diplômée en sciences sociales et engagée depuis des années dans le milieu associatif, elle se lance aux côtés du LSAP à Walferdange pour enfin peser dans le jeu politique.

Susanna van Tonder, candidate LSAP à Walferdange, soutient l’inclusion et une diversité qui se vit au quotidien. Photo : julien garroy

«Je siège au Conseil supérieur des personnes handicapées (CSPH), à la vice-présidence de MS Lëtzebuerg, et au conseil d’administration d’Info-Handicap. Oui, on demande notre avis, mais les décisions ne nous reviennent pas», pointe-t-elle. Or, pour la jeune femme, il est temps que les citoyens qui vivent avec un handicap aient leur mot à dire : «Ils représentent 16 % des habitants de l’UE et seulement 1 % des élus, c’est incroyable.»

Elle aussi est convaincue qu’elle peut se rendre utile : «Avec tout ce par quoi je suis passée depuis mon diagnostic, je suis légitime pour parler maladie chronique et handicap. Ne pas pouvoir marcher, être écrasée par la fatigue jusqu’à être privée de la parole, je sais ce que ça fait», raconte-t-elle. «Les alliés c’est bien, mais ça ne suffit pas : on doit absolument être représentés politiquement.»

Auprès de ses colistiers, elle se sent soutenue, et rapporte des échanges constructifs et un climat de cocréation au moment d’élaborer leur programme. «On me respecte pour mon expertise», assure Susanna van Tonder, qui propose la création d’un poste d’agent communal d’inclusion pour centraliser les requêtes et coordonner le déploiement de solutions.

Parmi les sujets qui lui tiennent à cœur : la sensibilisation, la mobilité, l’accessibilité et par-dessus tout, l’inclusion. «Le handicap est partout autour de nous, mais personne n’en parle. Il est encore lié à la stigmatisation et aux inégalités. Moi, je rêve d’une commune où la diversité se vit au quotidien.»

 

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