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[Cinéma] L’immigration racontée avec tendresse


La forme du film, réalisé en «stop motion», convoque l’imaginaire, mais le récit est un vrai témoignage de l’expérience migratoire. (Photo : gebeka films)

Le film d’animation d’Alain Ughetto Interdit aux chiens et aux Italiens, en salles ce mercredi, rend hommage à la mémoire migratoire à travers l’histoire de sa propre famille.

La pancarte est d’abord apparue en Belgique au début du XXe siècle, accrochée sur la porte d’un café. Puis elle apparaîtra en France, en Suisse, évidemment aux États-Unis, dans les zones de forte immigration italienne. «Interdit aux chiens et aux Italiens» : à lire le message, on se croirait en pleine Amérique ségrégationniste. Cette pancarte a pourtant a fait partie de l’histoire de nos parents, de leurs parents et de leurs parents avant eux. Il n’y a pas si longtemps, un siècle ou à peine plus. Cette histoire de l’immigration italienne que raconte Alain Ughetto, c’est aussi l’histoire de toutes les immigrations, observées avec une infinie tendresse dans son nouveau film d’animation, à travers l’histoire dont il est le produit : celle de sa famille.

Le périple a lieu dans les premières années 1900, quand Luigi Ughetto, grand-père du cinéaste, quitte son existence précaire dans les montagnes du Piémont et traverse les Alpes avec sa famille, destination la France, à la recherche d’une vie meilleure. C’est en tout cas ce que la légende raconte, s’amuse Alain Ughetto, car lui n’a jamais connu ce grand-père, mort en 1942, huit ans avant sa naissance.

Remplir les blancs de la mémoire familiale

Pour en connaître plus sur le destin de sa famille, qui a emprunté un chemin plus complexe que celui d’un point A à un point B, il s’imagine un dialogue avec sa grand-mère Cesira, qui lui permet de remplir les blancs de cette mémoire familiale. Ce témoignage, imaginé, est nourri de souvenirs et de documents du passé, achevant un portrait nostalgique et poétique de l’expérience migratoire.

L’idée du film remonte au début des années 2010, après le décès du père d’Alain Ughetto. Le réalisateur entreprend un voyage dans le village d’origine de son grand-père Luigi, à la recherche de ses racines : «J’avais commencé une enquête sur mes origines italiennes (…) et j’ai appris qu’un village portait le nom d’Ughetto : Ughettera, « la terre des Ughetto »… Mais il ne reste plus rien de mes grands-parents là-bas. Puis j’ai retracé les contours des grandes guerres qu’ont connues mes grands-parents, les itinéraires qu’ils ont empruntés.»

C’est une histoire personnelle qui s’adresse à tous : on commence avec « je », avant d’arriver au « nous »

Le dialogue avec Cesira, «devenue pour l’occasion une marionnette de 23 cm», «n’aurait pas été possible dans un documentaire», raconte Alain Ughetto. Et bien que, dans sa forme, le film, splendidement réalisé selon les techniques de «stop motion», convoque l’imaginaire, le récit est bel et bien réel. «Ce qui m’intéressait, reprend le réalisateur, c’était de faire revivre mes grands-parents (…) C’est une histoire personnelle qui s’adresse à tous : on commence avec « je », avant d’arriver au « nous »… On y parle de migrations, et les migrations sont inscrites dans l’ADN des peuples.»

La fabrication même du film puise son inspiration dans ces racines italiennes, avec des décors construits à partir de matériaux et des documents d’époque ramenés par Alain Ughetto du village de ses ancêtres et des alentours. Ce qui confère une authenticité brute aux séquences en Italie, qui collent aussi à la rude condition de vie dans les montagnes piémontaises. Plus surprenant, le réalisateur fait irruption dans son film, avec cette main qui change les décors, modèle les personnages… «En modelant, j’ai pu imaginer, voire fantasmer mon grand-père en paysan, puis ouvrier, j’ai pu l’imaginer travaillant, aimant (…) Ma main est devenue un personnage qui agit sur ce monde.»

«J’ai travaillé plus de neuf ans sur ce film»

C’est elle qui transforme Cesira, cette grand-mère qu’Alain Ughetto a toujours connue vieille et vêtue de noir, en une femme jeune et belle. C’est elle aussi qui recrée les scènes du quotidien, documentant par l’image la vie des immigrés, et qui met en scène de spectaculaires morceaux de leur histoire allant des bombardements de la guerre au passage du Tour de France. Cette main qui «travaille, bricole, questionne et intervient», c’est enfin et surtout l’hommage du cinéaste à son grand-père, son père et tous les travailleurs manuels faisant partie de l’histoire de l’immigration.

Huit millions d’Italiens ont quitté le pays entre 1900 et 1915; Luigi et Cesira Ughetto étaient de ceux-là, mais leur histoire peut parler pour l’ensemble de ces personnes qui ont migré vers un avenir meilleur, et celles qui continuent de le faire jusqu’à aujourd’hui. «J’ai travaillé plus de neuf ans sur ce film, et j’en aime toutes les images», assure Alain Ughetto. C’est «une longue et belle aventure commune où nous nous sommes mis tous ensemble, producteurs, animateurs, techniciens arrivant de tous les coins de l’Europe pour réaliser ce film témoignage, mais avant tout un film d’amour dont je suis très fier».

Interdit aux chiens et aux Italiens, d’Alain Ughetto.

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