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«Beyond My Eyes» aux Rotondes : le choc des générations


(photos DR)

Treize binômes, composés de jeunes artistes et d’autres plus expérimentés, montrent aux Rotondes tout le potentiel de la création à deux dans d’intéressants allers-retours qui gomment les âges et les disciplines.

Il était évident que ces deux-là se rencontreraient un jour. D’un côté, le collectif Beyond My Eyes qui, comme écrit sur son site, promeut «l’échange créatif et le dialogue intergénérationnel» tous azimuts. De l’autre, les Rotondes, défenseurs d’une culture sans élitisme et sorte de grand frère quand il s’agit de soutenir la jeune scène de tout horizon (ce qu’elles font notamment avec leur Triennale et «XPO E», projet tourné vers l’enseignement secondaire). En 2022, dans la foulée de sa création, le premier avait déjà montré ses généreuses envies de brassage avec une exposition, réalisée en autonomie, qui avait pris ses quartiers au Carré à Hollerich. Faute de place, il s’est tourné cette année vers le second pour une nouvelle démonstration qui pourrait tenir en une simple formule : à deux, c’est toujours mieux!

Oui, le mélange a du bon, comme en témoignait vendredi dernier un vernissage où se mêlaient, autour du ministre de la Culture Eric Thill, des familles, des enfants et des artistes de tout âge (et de tout bord), loin de «l’entre-soi» habituel comme le note Séverine Peiffer, qui fêtait à cette occasion son 43e anniversaire. Dans une ambiance sans «ego trip», elle s’affichait alors aux côtés de sa partenaire Lisa Folschette, la même avec laquelle elle exposait déjà en 2022. Selon elle, leur quasi double décennie d’écart n’empêche en rien de solides liens «d’amitié» et une «complicité artistique» débutée il y a huit ans, quand l’une travaillait chez Lanterne magique (projet spécialisé dans l’enseignement des anciennes techniques photographiques, aujourd’hui révolu) et que l’autre y était stagiaire.

L’identité en question

«On a une sensibilité commune» pour le noir et blanc, l’approche expérimentale et les travaux de Diane Arbus et Francesca Woodman, ainsi qu’un «vécu» aux échos fédérateurs. Autant dire qu’entre elles deux, le tandem s’apprécie de manière horizontale, comme l’explique Séverine Peiffer dans ce qui pourrait être une synthèse des attentes derrière l’exposition «Beyond My Eyes» : «C’est bénéfique pour tout le monde! Les jeunes y gagnent en expérience, et les plus « grands » trouvent à leur contact une certaine fraîcheur, une façon de sortir de leur zone de confort, d’enlever leurs œillères». Ce qui s’observe avec le poétique ex nihilo, leur œuvre combinant photogramme (photographie réalisée sans appareil) et vidéo évoquant «ce que l’on devient quand on fait abstraction du passé», quand les «repères se troublent».

Avec ce thème imposé qu’est l’exploration autour de l’identité et la notion du temps, le projet ouvre pourtant en grand les possibilités, tellement le sujet a évolué d’une génération à l’autre. Dans la foulée de la crise sanitaire et des différents confinements, Séverine Peiffer s’était intéressée à la question avec «Transitions» et ses imposants portraits disséminés dans le parc de Merl. Elle a donc un avis bien mûri : «L’identité ouvre une multitude d’interrogations que l’on se pose au long d’une vie et que l’on ne résout pas! Chacun est concerné». «Beyond My Eyes» est donc à voir comme une sorte de «grand déversoir», «éclectique» à plus d’un titre : dans les disciplines abordées (peinture, art numérique, sculpture, installation, photographie). Et dans les réponses apportées par les binômes, tantôt partagées, tantôt opposées.

Deux exemples confirment la tendance disparate. D’abord celui des deux sœurs Lou et Ella Zepp qui, après des études au Lycée Technique Agricole de Gilsdorf, s’inspirent toujours du travail de leur ancien professeur Bob Nosbusch, adepte du gyotaku, un art traditionnel japonais. Il faut dire que l’effet en impose, avec cette trace qu’a laissée son corps sur une fragile feuille de papier, marque à l’encre de l’intime devenant paysage abstrait, en équilibre entre la performance de Pollock, le test de Rorschach et le suaire de Turin. Le reste du binôme (devenu trinôme pour éviter les «querelles» familiales!) lui répond avec un tableau en mousse à modeler façon «métamorphose» de Kafka, et un collage de mains, rugueuses, veineuses, fines, épaisses, avec ou sans bague, organe apparemment cher à Lou, 18 ans : «On peut apprendre tant de choses sur quelqu’un rien qu’en regardant ses mains!», confirme-t-elle. Au milieu de son œuvre, deux autres cherchent à se joindre. Un message «d’entraide» qui colle bien à l’idée qui les réunit tous.

Un retour en 2026?

Ensuite celui de Carmen Cavaco et Hidekuni, tandem qui, comme d’autres, s’est trouvé à l’école (selon une géométrie enseignant(e)-élève qui compose près de la moitié des duos présents). L’aînée, s’appuyant sur son expérience de styliste, dévoile une installation faite de costumes sombres et cousus, suffisamment identifiables pour saisir la métaphore du vêtement comme «armure» derrière laquelle on se cache tous. À l’inverse, le jeune artiste fait dans le «flashy» avec sa série sur carton de baskets Converse All Star qui, au gré des goûts de ceux et celles qui les portent, se modifient à souhait, en fonction de ce que l’on a envie de montrer (ou pas). Une «confrontation visuelle», résultat de leurs inclinaisons communes pour «le sauvage, le sale et le freestyle», et fruit d’un travail libre, «sans contrôle», échangé sur Pinterest.

Dans ce dialogue intergénérationnel à travers lequel les binômes se mêlent, se juxtaposent, se repoussent, s’apprivoisent ou encore se révèlent, d’autres propositions détonnent. Notamment celle de Fanny Omes et Milo Hatfield. Si l’une puise dans ses archives familiales pour mieux interroger, avec délicatesse et distance, les liens qui nous unissent à nos ancêtres disparus, le second fait dans l’original avec un faux annuaire téléphonique qui recense, page après page et par ordre alphabétique, les annonces mortuaires du Luxembourg de 2023 reprises des journaux.

Une manière de dire, en conclusion, que pour savoir qui on est et où l’on va, mieux vaut au moins savoir d’où l’on vient. Une philosophie que va sûrement s’approprier Beyond My Eyes pour, qui sait, revenir aux Rotondes en 2026.

«Beyond My Eyes –  In Search of Identity II» Jusqu’au 14 avril. Rotondes – Luxembourg.

 

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